Accaparement des terres en Afrique - Dangers et défis

Une cinquantaine de membres de l’Eglise, de religieux et de représentants d’organisations catholiques de développement et d’autres réseaux (agriculteurs, droits de l’homme,…) se sont réunis pendant 3 jours pour analyser le phénomène d'accaparement des terres et les réseaux possibles pour lutter contre ce fléau. Etaient invités aussi des experts d’Amérique latine et d’Asie pour comparer le phénomène entre continents. L'atelier « L'accaparement des terres en Afrique - Dangers et défis » a été organisé à M’bour, près de Dakar, 6-9 février 2011. Ils ont écrit une déclaration à l’adresse de l’Eglise, des pouvoirs politiques et des citoyens comme outil pour aider à faire pression. Ils ont aussi contribué à l’Appel de Dakar contre l’accaparement des terres rédigé par un ensemble d’organisations présentes au Forum Social Mondial à Dakar.


Le travail contenait 3 volets :

1. Analyse du phénomène d’accaparement des terres

2. Rédaction d’une déclaration qui sert d’outil pour agir

3. Proposition d’engagement collectif des participants / pays

 

CONCLUSIONS:

Les participants ont mis en évidenceque beaucoup d’acquisitions légales ne sont pas légitimes. Ils ont aussi relevé qu’il y a confrontation entre 2 concepts de la « Terre »: « Marchandise pour faire du bénéfice »  >< « Territoire comme moyen de vivre », générant des conflits à la fois juridiques, sociaux, économiques et environnementaux. Les dégâts sur la biodiversité et l’écosystème sont souvent irréversibles. Il est urgent d'enrayer ce phénomène d'accaparement des terres par la mobilisation des forces d'action de la société civile en organisant celle-ci en réseaux et par des actions juridiques.

 

 

1. Analyse du phénomène d’accaparement des terres :

1.a. Exposé de 8 cas :

4 cas africains : Région d’Afrique du Sud, Afrique de l’Est, Région de Lubumbashi (industrie extractive), Madagascar.

4 autres cas : Nepal, Cambodge, Brésil et Argentine.

1.b. Analyse :

I.      Le phénomène est semblable en Afrique, Asie et Amérique latine. 

On relève plusieurs points communs : l’accroissement du phénomène en nombre et en surface négociée dû à la volonté politique des gouvernements (Argentine : accélération à partir de l’an 2000, en Afrique :  2005), la non prise en compte des réalités et besoins des communautés locales, l’absence d’information et de concertation de celles-ci, l’abus de pouvoir des autorités ou personnes influentes et des compagnies étrangères, l’absence ou insuffisance de compensation pour les personnes affectées, la destruction de la biodiversité et de l’écosystème (souvent de façon irréversible), la compétition pour l’eau.

L’accaparement concerne les terres, les forêts et l’eau, pour divers secteurs d’investissement : agriculture, tourisme et mines essentiellement, mais aussi spéculation et marché du carbone.

 

II.      2 concepts de la « terre » se confrontent :

« Marchandise pour faire du bénéfice »  >< « Territoire comme moyen de vivre »

Cette confrontation est à l'origine des conflits à la fois juridiques, sociaux, économiques et environnementaux.

Il est donc essentiel de définir la terminologie et la finalité du concept « terre » : L’accaparement des terres concerne les acquisitions illégitimes, même si légales, de territoires qui sont sources de vie : culture, bois, pêche, plantes médicinales, lieu de culte,…

 

III.      Mobiles des investissements : capitalisation et utilisation des terres par d’autres usagers

 

IV.      3 types d’acteurs en présence :

a. Communauté locale

b. Autorité locale : corrompue, n’assure pas sa responsabilité vis-à-vis du citoyen

c. Ceux qui causent le problème : élites, Etat, investisseur (généralement il n’utilise pas directement la terre, mais il assure le lien entre une multinationale et un partenaire local)

Donc, il faut faire pression sur les autorités corrompues. Il faut aussi développer une stratégie pour protéger l’accès à la terre des communautés locales et obtenir la reconnaissance du droit coutumier relatif à la terre.

 

V.      Distinction entre acte légitime et acte légal.

Beaucoup d’opérations sont légales, mais elles ne sont pas toutes légitimes puisqu’elles ne sont pas conformes à la Déclaration Universelle des Droits Humains (ex. : droit à l’alimentation), et autres obligations internationales et nationales.

De fait, la majorité d’entre elles se passent sans prise en compte du droit d’occupation ‘ancestral’, des réalités et besoins des communautés locales, sans information ni concertation de celles-ci, avec abus de pouvoir par des autorités, des personnes influentes et des compagnies étrangères, en l’absence ou insuffisance de compensation pour les personnes affectées, avec destruction de la biodiversité et de l’écosystème (souvent de façon irréversible), et enfin, avec compétition pour l’eau.

 

Toutes ces pratiques violent le droit à l’alimentation [1] et les droits économiques, sociaux et culturels[2] des usagers de la terre. En effet, l’accès à la terre est à relier au droit à une alimentation suffisante pour lequel chaque Etat a l’obligation 1) de respecter, 2) de protéger contre toute atteinte par des tiers et 3) de s’efforcer de renforcer l’accès et l’utilisation par les peuples des ressources et des moyens de s’assurer leur subsistance. Les fonctions culturelles et sociales de la terre sont affectées aussi : lieux de culte et d’enterrement, héritage commun, lieu d’habitation et d’infrastructures sociales et culturelles. Ces fonctions particulièrement présentes en Afrique sont notées dans le document de l’Union Africaine « Cadre et Lignes Directrices de la Politique Foncière en Afrique ». Le problème, c’est que ces droits ne sont pas assortis d’un organe de sanction en cas de non respect comme il en existe pour les règles éditées par l’Organisation Mondiale du Commerce. La base légale mais illégitime de l’accaparement des terres qui s’est accéléré et accru ces dernières années a été préparée depuis 10-15 ans par des cadres juridiques mis en place sous pression de la Banque Mondiale, ex : ouverture des frontières. Il faut donc un ensemble de lois cohérentes qui protègent les citoyens de la dépossession de leur territoire et des ressources qu’il contient.

 

Les droits coutumiers ou traditionnels ont coexisté avec le droit ‘moderne’ hérité des colonies et inscrit dans la Constitution du pays. C’est parce qu’ils répondent à un mode de fonctionnement social : la gestion collective d’une même terre qui est utilisée par plusieurs acteurs ayant des droits d’usage différents (culture, chasse, collecte de produits naturels). Les titres de propriété ne permettent pas une telle gestion. C’est pourquoi les participants à l’atelier de M’bour demandent aux gouvernements de garantir la reconnaissance légale et la protection des droits coutumiers de la population relatifs à la terre et aux ressources naturelles.

 

VI.      Théologie de la terre : Brésil, Afrique du Sud et Kenya travaillent sur cette illégitimité.

La base légale mais illégitime de l’accaparement des terres observé actuellement a été préparée depuis 10-15 ans par des cadres juridiques mis en place sous pression de la Banque Mondiale. Ex : Burkina Faso : la Banque Mondiale a demandé d’ouvrir les frontières.

Il faut donc des lois pour protéger les citoyens de la dépossession de leur territoire.

 

VII.       Le Rapport IAASTD peut nous aider dans le travail de pression auprès des autorités politiques.

L’agro-écologie et l’agriculture traditionnelle se distinguent de l’agriculture industrielle par un bilan écologique meilleur.

 

Pour rappel,  IAASTD , en français : EICASTD : « Evaluation Internationale du rôle des Connaissances Agricoles, de la Science et de la Technologie pour le Développement » dans la réduction de la faim et de la pauvreté, dans l’amélioration des moyens ruraux d’existence et la facilitation d’un développement qui est écologiquement, socialement et économiquement fiable. Cette étude a été menée par plus de 400 experts du monde entier et publiée en avril 2008 et signée par 59 Etats. De même envergure que le rapport du GIEC pour le climat, ce rapport contient une analyse complète et fait plusieurs recommandations aux décideurs politiques.

 

2. Déclaration des participants de l’atelier à l’adresse de l’Eglise, des gouvernements, des institutions internationales et de la société civile

A l’issue des groupes de travail, les participants se sont accordés sur une déclaration qui devrait servir d’outil pour faire pression auprès des autorités politiques et pour transmettre des recommandations à l’Eglise et aux groupes de société civile.

 

Ils demandent aux gouvernements de:

1. garantir la reconnaissance légale et la protection des droits coutumiers de la population relatifs à la terre et aux ressources naturelles et d’assurer un accès équitable à la terre pour les familles d'agriculteurs, les pasteurs et les communautés autochtones ;
2. faciliter les consultations préalables et transparentes des communautés locales pour tous les projets qui affectent leurs moyens de subsistance comme le requièrent les directives de l'Union africaine pour la politique foncière ;
3. respecter, protéger et remplir ses obligations à l’égard du droit international des droits de l'homme;
4. rejeter la souscription massive aux différents processus internationaux au détriment des populations locales et des familles d'agriculteurs ;
5. mettre en œuvre les recommandations de l'Evaluation Internationale de l'Agriculture, de la Science, la Technologie pour le Développement

 

Les participants de l’atelier recommandent à l’Eglise de:

1) dénoncer les contrats de terres qui violent les droits de l'homme et sont des actes illégaux et illégitimes,

2) mettre en priorité les questions foncières dans le travail pastoral,

3) soutenir les communautés en difficulté

4) diffuser la mise en œuvre des propositions sur les terres du 2° Synode des Évêques pour l'Afrique.

 



[1] droit à une alimentation suffisante reconnu par l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme

[2] l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et

culturels

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