AEFJN & SIF & Centre Arrupe: exploitation de jatropha au Madagascar

La présente étude commanditée par le Réseau Foi & Justice Afrique Europe a été réalisée par Solidarité des Intervenants sur le Foncier (SIF), le Centre Social Arrupe (CSA) soutenu par Bimtt. L’étude porte sur l’investissement par une filiale locale de Fuelstock International, une société britannique. L’investissement concerne l’exploitation de 2.000 ha pour la culture de jatropha pour la production de biocarburant, situés dans les villages de Miadanasoa et Manjarisoa. Les terrains ont été accordés à la société par l’état malgache sous forme de bail emphytéotique de 30 ans et pour un prix dérisoire de 6,25 € par hectare par an. Les enquêteurs ont effectué des enquêtes auprès des ménages, des entretiens avec des personnes ressources et des entretiens dits « focus group » dans les villages, pour aboutir à des résultats qui reflètent les réalités vécues par les populations.

 

Ce type d’investissements dans les pays en voie de développement est souvent présenté comme un moteur pour un développement durable. Reste à savoir comment la population malgache qui consiste principalement en agriculteurs ou éleveurs (80%) peut bénéficier de cet investissement. De plus, il serait important d’analyser si de tels investissements ont la capacité de réduire la pauvreté au pays, car 71% de la population malgache[1] vit en dessous du seuil national de pauvreté. Les villages concernés par cette étude ont la même démographie qu’au plan national et consistent en premier lieu en paysans et éleveurs.

Actuellement la société exploite 600 ha sur les 2.000 qui lui ont été accordés. A part quelques cadres permanents, la société embauche principalement des ouvriers journaliers, dont le nombre varie selon la saison et les besoins de l’entreprise. De ce fait, ces ouvriers ne peuvent compter sur une sécurité d’emploi stable. Etant donné que l’agriculture et l’élevage restent les sources principales de revenus pour les populations dans les villages soumis à l’enquête, les revenus dérivés du travail constituent seulement un complément de revenu et non pas un emploi à part entière. En outre, le salaire perçu par les journaliers est en dessous du seuil national de pauvreté et du salaire agricole minimum. Les ouvriers touchent 1,25€ par jour « dans les meilleurs des cas » ; c’est-à-dire, s’ils arrivent à réaliser les volumes de travail journalier dits « impossibles », car on paie les ouvriers au prorata du travail réalisé. Si on applique l’indicateur de la Banque mondiale pour « une rémunération appropriée » de 2$ par jour, on constate que les ouvriers de Fuelstock sont bien en dessous de cela.

 

Les salaires des ouvriers journaliers ne leur permettent pas de répondre aux besoins alimentaires de leur ménage. En raison de cette rémunération faible et des retards d’au moins 15 jours de paiement du salaire, les ouvriers sont obligés de s’endetter pour subvenir à leurs besoins alimentaires quotidiens, souvent auprès de l’épicerie de Fuelstock qui applique des prix plus élevés qu’aux marchés.

 

En outre, les ouvriers sont exposés à des risques sanitaires, car ils sont obligés d’utiliser des insecticides à base de produits toxiques, en étant dépourvus d’équipements de protection. De plus, il n’y a pas de couverture pour les risques sanitaires liés au travail ni pour les accidents de travail.

 

Les enquêteurs concluent que les droits fonciers des populations n’ont pas été respectés, car les terrains octroyés consistaient en zones de pâturage utilisées par les communautés locales pour l’élevage des bovidés. Aucune consultation préalable n’a été effectuée, car les terres étaient considérées comme « inoccupées ». En conséquence il y a moins de surfaces destinées au pâturage, ce qui oblige les éleveurs à se déplacer plus loin avec leur bétail pour trouver des terrains disponibles, qui deviennent de plus en plus rares.

 

Selon les auteurs, l’insécurité alimentaire est fortement liée à la faiblesse des revenus des populations, c’est pourquoi ils recommandent à l’entreprise Fuelstock d’accorder une aide alimentaire à l’ensemble du personnel de l’entreprise. Actuellement, cette aide alimentaire est uniquement attribuée aux membres du personnel les mieux rémunérés, tandis que les ouvriers vulnérables s’endettent pour acheter leurs plats quotidiens. En effet, en ce moment, aucun ouvrier objet de l’enquête n’est convaincu que la présence de la société a eu un changement significatif sur le bien-être et les revenus des ménages dans les villages.

 

Les auteurs du rapport plaident pour renforcer les capacités des paysans locaux pour qu’ils puissent tirer un revenu plus élevé de leurs activités. Les paysans devraient être en mesure de stocker une partie des denrées alimentaires pour leur consommation personnelle ainsi que d’en vendre une partie sur les marchés locaux et régionaux pour avoir un revenu supplémentaire et décent.

 

L’étude en question révèle que jusqu’à présent les activités de la société Fuelstock ont eu peu d’impact pour atténuer la pauvreté dans les villages. En outre l’entreprise n’a pas réussi à donner une rémunération appropriée, ni une sécurité au travail, ni des conditions de travail salubres à ses ouvriers. Tandis que la réalisation de ces aspects qui font partie d’un travail décent aurait permis aux ouvriers d’améliorer leurs revenus familiaux, leur sécurité alimentaire et leur bien-être en général.   



[1] Ce chiffre augmente jusqu’à 92% de la population si on considère la définition utilisée par la Banque mondiale, à savoir moins de 1,25 USD/jour. (BM, 2013)

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