“Combler le fossé entre la politique et la pratique : les principes internationaux et les acquisitions de terres à grande échelle en Afrique”
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Introduction par Maria Arena, parlementaire européenne, groupe S&D
Ces dernières années le phénomène de l’accaparement des terres à grande échelle sur le continent africain a pris des proportions sans précédent. Ce phénomène a des conséquences catastrophiques pour les populations locales en termes de malnutrition, de souveraineté alimentaire et de souveraineté tout court. Toutes ces conséquences méritent d’être prises en considération.
En tant que parlementaire européenne (MEP), Mme Maria Arena s’occupe des questions de commerce international, comme les APE et l’exploitation des minerais ; elle suit aussi la question de l’accaparement des terres et des ressources en Afrique. De surcroît, Mme Arena est rapporteur élu du groupe S&D sur la question des minerais de conflit.
On s’est rendu compte dans le cadre de ce dossier qu’il y a des points de vue diamétralement opposés au sein du Parlement européen. En effet, il existe une tension entre d’une part la logique purement économique, et d’autre part la logique des partenariats basés sur le respect des droits humains. Du point de vue purement économique ; l’UE veille à ses approvisionnements en énergie et en matières premières et à la compétitivité de ses entreprises. Pour ce faire, elle doit garantir l’accès aux ressources, donc garantir l’accès aux terres : les terres elles-mêmes mais aussi ce qui est en dessous des terres. Un autre aspect important est celui des droits humains : l’UE doit veiller à ce que les partenariats se construisent dans le respect de ces droits et donc, par exemple, ne pas donner la possibilité à une entreprise d’exploiter des ressources dans le cadre d’une situation de conflit ou lorsque cela risque d’entraver le développement de la région.
Au sein du Parlement Européen, la tendance à garantir la compétitivité des entreprises prime dans la plupart des cas sur la logique des droits humains. Il faut sensibiliser l’ensemble des élus à la question des droits humains, notamment de la souveraineté alimentaire des populations. C’est un concept que nous devons promouvoir en tant que parlementaires européens, dit Madame Arena.
Nous, les ONG européennes et africaines, nous avons besoin les unes des autres. Nos amis africains vivent la réalité et peuvent témoigner de la violation des droits humains. Les ONG du Nord peuvent relayer ce cri auprès des institutions européennes et des Etats membres. C’est ensemble que nous poursuivons l’objectif d’avoir un monde plus juste.
Amadou Kanouté, Cicodev Afrique
Monsieur Amadou Kanouté, Directeur exécutif du CICODEV Afrique -Institut panafricain pour la Citoyenneté, les Consommateurs et le Développement- a présenté les résultats préliminaires d’une étude de cas sur le respect des législations nationales et des principes internationaux, notamment les directives de la FAO, par les sociétés minières et l’impact de leurs activités sur la vie des populations qui utilisaient initialement ces terres. L’étude de cas a été menée dans le village de Koudiadiène, dans la communauté rurale de Chérif Lo près de Tivaoune dans la région de Thiès au Sénégal. Cette région est connue pour la richesse de son sous-sol en minerais, en particulier du phosphate.
L’étude révèle que les activités des sociétés minières installées à Koudiadiène et dans les villages environnants ont un impact socio-économique qui fragilise l’environnement et les droits socio-économiques des populations riveraines. Ces sociétés appartiennent à des groupes européens spécialisés en agrofourniture. Le phosphate exploité à Koudiadiene est principalement destiné à l’exportation sur le marché européen pour y être utilisé, après transformation, comme engrais, fertilisant et autres produits chimiques.
L’étude montre par ailleurs que plusieurs dispositions des lois sénégalaises et des directives de la FAO telles que l’information préalable des communautés affectées par les activités des entreprises, les compensations justes et préalables aux paysans qui cultivaient les terres, l’étude d’impact environnemental et social n’étaient pas respectées. De surcroît, les effets nuisibles des activités minières pour la santé, la sécurité alimentaire, le revenu de la population locale ainsi que pour l’environnement sont mis en évidence par le rapport préliminaire.
Pour un aperçu plus détaillé des impacts sur la population et des revendications de la société civile, reportez-vous à la présentation de Mr Kanouté et au document « Conclusions et recommandations »
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Consultez le résumé et les recommandations de l'étude ici
Bridget Mugambe, l'Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique
Il y a une nouvelle bataille pour les ressources de l’Afrique, notamment la terre, les minerais solides, les semences, l’eau et la forêt, bataille menée à la fois par des acteurs locaux et étrangers. Dans toutes ces batailles, la terre a pris spécifiquement la place centrale. Divers acteurs sur la scène, tant locaux qu’étrangers, publics et privés, sont occupés à acquérir de vastes étendues de terre agricole fertile pour diverses entreprises commerciales, sans considération de l’impact sur les communautés locales. Nous appelons cette situation ACCAPAREMENT DE TERRES. La demande de bio-carburants, de minerais solides et d’autres produits extractifs d’Afrique et le changement climatique ont provoqué une demande sans précédent de terre en Afrique. Malheureusement, tout ceci provient d’Europe et d’Amérique. Par conséquent, différents cadres sur la terre, tels que les principes de la FAO pour des investissements responsables et le cadre de l’Union Africaine sur l’acquisition de terre à grande échelle sont apparus et ont été taillés pour altérer les systèmes agraires africains et les lois en faveur des investisseurs et entreprises d’Europe. De plus, des pays individuels font face à des défis spécifiques provenant d’accords bilatéraux comme les APE de l’UE et la nouvelle alliance du G8 pour la nourriture.
Bien que les différents cadres sur la terre puissent avoir la bonne intention de promouvoir des investissements, la mauvaise nouvelle est que ce sont des directives volontaires qui ne peuvent pas être utilisées pour demander des comptes aux gouvernements et aux investisseurs. De plus, les décisions de louer ou de ne pas louer des terres communes sont laissées dans les mains d’un très petit nombre de personnes individuelles. Ceci crée d’énormes différentiels de pouvoir dans la politique africaine et des tensions injustifiées au sujet de la terre. Il n’y a pas de clarté sur les problèmes spécifiques de la terre en Afrique dont ces cadres veulent s’occuper, mais il est clair que ces cadres sont poussés par l'UE et les Etats-Unis, avec de nouveaux paradigmes de développement définis par le libre-échange et l’entreprise privée, qui ont déjà créé une crise du développement pour des pays africains et une énorme pauvreté.
On croit de plus en plus en Afrique que l’UE n’a pas de contrôle sur les entreprises privées européennes qui exercent leurs affaires en Afrique. Elles manipulent les gouvernements africains, négligent les facteurs de droits humains et les problèmes environnementaux dans leurs transactions et elles ne sont pas punis pour non-respect des législations locales en Europe. Il est devenu impératif pour le Parlement Européen et les organisations de la société civile de considérer ces sociétés comme responsables de ce qu’elles font en Afrique.
Stéphane Parmentier, Oxfam Solidarité, Belgique
Améliorer la gouvernance de la terre par l’usage des directives volontaires sur la gouvernance des régimes fonciers
L’intervention de Stéphane Parmentier se focalisait sur les directives volontaires sur la gouvernance des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts. Les directives ont un engagement fort envers le respect des droits humains et la protection des personnes les plus vulnérables affectées par l’acquisition des terres. Le caractère ‘volontaire’ des directives n’exempte pas les gouvernements et l’UE de la responsabilité d’une mise en œuvre correcte des directives. Même lorsque ce ne sont pas des principes légalement contraignants, ce sont des normes acceptées internationalement pour la gouvernance responsable et il y a un engagement implicite à progresser dans la bonne gouvernance. Actuellement, les directives volontaires impliquent une double responsabilité pour l’UE. D’une part, mettre les politiques européennes pertinentes en cohérence avec les principes des directives, en s’occupant à la fois des politiques qui ont un impact sur la gouvernance des terres à l’intérieur de l’UE et à l’étranger, y compris dans les pays en voie de développement (ex. Politique agricole commune, politique des biocarburants, traités commerciaux et d’investissement) ; et, d’autre part, le défi de soutenir constamment la mise en œuvre des directives à l’étranger, y compris et surtout dans les pays en voie de développement. Finalement, M. Parmentier a indiqué certaines priorités que l’UE devrait soutenir pour la mise en œuvre des directives en assurant un processus plus démocratique, l’adoption de mesures qui améliorent la gouvernance des terres et la réponse aux besoins des personnes les plus vulnérables et marginalisées.
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Remarques finales par Gervase Taratara, président d’AEFJN
Le président Gervase Taratara a remercié les participants au nom de la famille AEFJN. Les transactions économiques entre l’UE et l’Afrique n’ont pas favorisé le côté africain, c’est pourquoi, il y a 25 ans, des missionnaires ont lancé une initiative de plaidoyer, AEFJN, dans l’espoir que ceux qui sont impliqués dans les transactions économiques entre les continents seraient guidés par des réglementations contraignantes et justes au bénéfice des deux parties, et pas seulement des puissants. Cependant, l’Afrique souffre toujours d’un commerce non équilibré, spécialement lorsque des investisseurs internationaux achètent de la terre en Afrique pour la cultiver ou l’exploiter essentiellement à des fins d’exportation. Le président était satisfait de ce que les orateurs avaient clairement démontré le fossé qui existe entre les politiques et la réalité, spécialement du fait du manque de règles contraignantes solides pour gouverner la terre. Entre-temps, des terres et des ressources africaines sont prises, avec le prétexte de combattre l’insuffisance alimentaire, la pauvreté et la faim. Cependant, la ruée vers la terre africaine se produit pour d’autres raisons, la production d’agro-carburants, de nourriture et de fleurs pour l’exportation, l’approvisionnement en minerais et en matières premières agricoles (nourriture pour bétail, agro-carburants, industrie alimentaire), l’exploitation des forêts, etc. Tout ceci contribue peu à améliorer le niveau de vie des Africains moyens, alors que ces projets prétendent contribuer au développement. Beaucoup de ces projets sont non durables du point de vue de l’économie, de l’environnement et des personnes, ils empirent plutôt la vie des agriculteurs africains à petite échelle, qui vivent de la terre et qui finissent par être déplacés et sans terre. La tâche la plus importante de l’humanité est d’aimer et de préserver la terre pour les générations futures. La terre et les ressources que des personnes surexploitent aujourd’hui appartiennent à leurs petits-enfants, elles doivent donc être utilisées de manière responsable. Finalement, le président a exprimé sa gratitude envers tous les orateurs, les participants et la parlementaire européenne Maria Arena qui ont rendu possible cet événement. Il a souligné qu’il est important que l’UE soit consciente de la question de l’accaparement des terres en Afrique. Il a exprimé l’espoir que cette prise de conscience amènera le passage de lois douces à une législation contraignante.