Déclaration de M’bour sur l’accaparement des terres
A l’issue de l’atelier "L'accaparement des terres en Afrique - Dangers et défis", les participants ont rédigé une déclaration qui doit servir d’outil pour faire pression auprès des autorités politiques et pour transmettre des recommandations à l’Eglise et aux groupes de société civile.
Cet atelier a rassemblé des représentants de diverses organisations catholiques de développement, des réseaux et leurs alliés issus de 25 pays de quatre continents (Afrique, Asie, Europe et Amérique latine) pendant 3 jours à M'bour (Sénégal), à l'occasion du Forum social mondial 2011 à Dakar.
TEXTE:
DÉCLARATION de MBOUR sur l’accaparement de terres en AFRIQUE
Nous participants, provenant de 25 pays de quatre continents
(Afrique, Asie, Europe et Amérique latine), et représentant diverses
organisations catholiques de développement, des réseaux et leurs alliés,
réunis à Mbour, au Sénégal du 6 au 9 Février à l'atelier
sur "l'accaparement des terres en Afrique - Dangers et défis", à
l'occasion du Forum social mondial 2011 ;
Concernés par le phénomène récent
de l'accaparement des terres à travers l'Afrique, en Asie et en Amérique
latine, qui consiste en un transfert massif de terres des communautés locales[1] vers un individu et / ou des entreprises d’intérêts locaux et
étrangers dont le but est la production d’agrocarburants, la production de
cultures d'exportation, l'extraction de ressources naturelles et la spéculation
financière ;
Convaincus
que la terre est un don de Dieu et un bien commun qui nous est confié par les
générations passées pour notre usage, et qui appartient aux générations encore
à naître ;
Convaincus que
la terre doit être considérée non pas comme une simple marchandise à but
lucratif, mais plutôt comme un territoire dans lequel s'inscrivent notre
culture, notre identité et la source de notre subsistance ;
Parvenant à la compréhension commune
que l'accaparement des terres en Afrique entraîne des conséquences négatives menaçant
la vie des communautés africaines, en particulier par le déplacement de
populations, l'aggravation de la pauvreté et de la faim, l’augmentation des conflits, la perte des
droits fonciers et des moyens de subsistance, la remise en cause de la
souveraineté alimentaire, et l’irréversible dégradation de l'environnement ;
Considérant l’accaparement de terre comme une violation des
droits de l'homme et le droit de toutes les familles d'agriculteurs de disposer
de la terre pour vivre dans la dignité ;
Convaincus que ce phénomène
doit être arrêté et que cela nécessite la construction d'alliances, de réseaux
et des efforts concertés par les collectivités locales, la société civile, les organisations
internationales et les organisations confessionnelles, ainsi que les
gouvernements ;
PAR
LA PRESENTE, NOUS
Exigeons de nos gouvernements de
1. garantir la reconnaissance légale et la protection des droits
coutumiers de la population relatifs à la terre et aux ressources naturelles et
d’assurer un accès équitable à la terre pour les familles d'agriculteurs, les
pasteurs et les communautés autochtones ;
2. faciliter les consultations préalables et transparentes
des communautés locales pour tous les projets qui affectent leurs moyens de
subsistance comme le requièrent les directives de l'Union africaine pour la
politique foncière ;
3. respecter, protéger et remplir ses obligations à
l’égard du droit international des droits de l'homme, en particulier en vertu
de la Déclaration universelle des droits de l'homme (article 8), de la
Convention des Nations Unies relative aux droits économiques, sociaux et
culturels (articles 1,2,11), du Pacte international relatif aux droits civils
et droits politiques (articles 1,2) et de faire respecter ses obligations extraterritoriales
en vertu de ces traités;
4. rejeter la souscription massive aux différents
processus internationaux en cours (tels que les accords de partenariat économique
/ accords de libre-échange, principes sur les Investissements Agricoles Responsables
dirigés par la Banque mondiale, le Marché du Carbone), étant donné que ceux-ci
tendent à promouvoir les intérêts de l'agrobusiness, des industries extractives
et des spéculateurs au détriment des populations locales et des familles
d'agriculteurs ;
5. mettre en œuvre les recommandations de l'Evaluation Internationale
de l'Agriculture, de la Science, la Technologie pour le Développement (angl.: IAASTD),
qui propose une gamme complète d'options politiques pour réorienter les
systèmes alimentaires locaux et mondiaux vers plus d’équité sociale et de
durabilité ;
Recommandons à l'église de
1. dénoncer les contrats de terres qui violent les droits
de l'homme comme actes illégaux et illégitimes ;
2. intégrer les questions foncières dans l'évangélisation,
avec l’apport de la théologie de la terre, et mettre en priorité les questions
foncières dans le travail pastoral, en particulier au niveau du travail de
Caritas et des Commissions Justice et Paix et à tous les niveaux ;
3. renforcer les liens et approfondir la confiance avec
les communautés locales à travers des consultations plus étroites, et soutenir
les communautés en difficulté ;
4. suivre attentivement la mise en œuvre de la Politique foncière
de l'Union Africaine et diffuser la mise en œuvre des propositions 22, 29 et 30
sur les terres de la
deuxième Assemblée du Synode des Évêques pour l'Afrique ;
Invitons les autres confessions
religieuses et les personnes de bonne volonté à
partager nos réflexions sur le droit à la terre et
partager leurs réflexions sur ces questions, et à défendre les droits des
communautés à la terre et à la nourriture ;
Recommandons aux organisations de la société civile de
1. renforcer les consultations avec les
communautés locales afin de promouvoir les processus partant de la base pour
améliorer la compréhension des préoccupations des communautés par les Organisations
de société civile et donner plus de légitimité au travail de ces dernières ;
2. renforcer les liens entre les organisations de la
société civile du Sud et leurs homologues du Nord afin de soutenir les
communautés locales du Sud dans la lutte contre l'accaparement des terres, et mettre
en lumière les principaux défis de celles-ci;
Demandons aux institutions internationales de
soutenir les gouvernements et les organisations de la
société civile qui visent à générer des réformes agraires alternatives en
plaçant les droits des familles d'agriculteurs au centre et en promouvant des
systèmes agricoles de type agro-écologique plus durables que les modèles
agro-alimentaires actuels ;
Nous nous engageons à
1. dénoncer et condamner le mythe selon lequel il existe des terres en Afrique «non utilisées» ou «sans propriétaire», ainsi que la rhétorique du « gagnant-gagnant » ;
2. créer des
alliances et des réseaux qui nous permettront de développer des stratégies de
communications et utiliser des moyens médiatiques pour faire connaître à la fois les réussites et les
défis et les luttes des communautés locales ;
3. faire pression sur les
gouvernements pour qu’ils accordent une reconnaissance légale des droits
fonciers coutumiers des communautés locales et mettent en œuvre des programmes
qui facilitent l’accès de ces dernières à la terre ;
4. promouvoir l'agriculture familiale durable et le
renforcement des systèmes alimentaires locaux conformément aux recommandations
de l'IAASTD ;
5. Continuer la lutte pour s’assurer
que l'Afrique ne soit jamais confrontée à un génocide causé par l’accaparement des
terres !
[1] Conscients des contextes très différents en milieu rural, nous utilisons le terme «communautés locales» pour désigner les petits agriculteurs et l’agriculture familiale, les éleveurs, les pêcheurs et les groupes autochtones.