1312 - 1311 Le commerce et l'agro-industrie: la destruction de l'agriculture familiale
La Banque Mondiale (BM), le Fonds Monétaire International (FMI) et l’Organisation Mondiale du Commerce présentent aux pays en voie de développement la libéralisation comme la recette pour sortir de la pauvreté. Selon eux, l'investissement direct étranger et la libéralisation des échanges apporteraient de grands avantages aux pays en voie développement dans les domaines de l'emploi, de l'accès aux marchés internationaux et de la croissance économique résultant de l’exportation pour ne citer qu'eux. Toutefois, ces politiques de libéralisation ont affecté négativement l'agriculture familiale et la souveraineté alimentaire des pays en voie développement.
Préférences commerciales et agro-industrie
Actuellement, l'UE accorde un traitement préférentiel aux exportateurs de certains pays en voie de développement en leur permettant de payer des droits de douane moins élevés pour accéder au marché de l'UE par le système des préférences généralisées (SPG). Les opérateurs économiques des pays les plus pauvres, les pays les moins avancés (PMA), recevront le traitement le plus favorable dans le cadre de l’accord "Tout sauf les armes" (TSA). Sous le TSA tous les produits (sauf les armes et munitions) provenant des PMA peuvent être exportés vers l’UE en franchise de droits de douane. Cependant, non seulement les exportateurs des pays en voie de développement sont les bénéficiaires de ce traitement préférentiel, mais aussi les entreprises étrangères de l’agro-industrie opérant dans ce pays. Les préférences commerciales de l'UE et aussi la politique de subvention aux agrocarburants des états membres sont des incitations supplémentaires à l’agro-industrie pour acquérir des terres dans les pays en voie de développement. En outre, les entreprises étrangères de l’agro-industrie peuvent souvent compter sur d'autres incitations telles que les incitations fiscales du gouvernement hôte, des services de soutien des agences de promotion des investissements et la protection des investissements en raison de l’existence des traités bilatéraux d’investissement.
Cependant, il y a de plus en plus de preuves que ces investissements de l’agro-industrie ont un impact négatif concernant les droits humains dans les pays en voie de développement. Les entreprises de l’agro-industrie du monde entier acquièrent des terres en Afrique et une fois que leurs plantations et leurs installations seront pleinement opérationnelles, ils pourront exporter des matières premières, des aliments et des biocarburants à l’UE en franchise de droits de douane. De plus, au Libéria aussi bien qu’en Sierra Leone, l'agence de promotion de l'investissement utilise l'accès préférentiel au marché de l'UE comme un argument pour attirer des entreprises étrangères.[1] En même temps la société civile dans les deux pays a signalé des violations des droits humains et une augmentation de la pauvreté et de la faim dans les régions où des sociétés étrangères produisent de l'huile de palme.[2] Le risque d'une instabilité accrue et d’un déclenchement de conflitest présent, car les deux pays sont en train de se relever après des décennies de guerre civile.
La négligence de l'agriculture familiale
Certains commerçants, producteurs et agriculteurs des PMA et des pays en voie de développement bénéficient de meilleures conditions d'exportation pour leurs produits vers l'Europe au titre de la TSA ou de la SPG, mais beaucoup d'entre eux ont besoin d'aide pour surmonter les obstacles liés à l'accès aux marchés européens. Toutefois, contrairement à tout le soutien que l’agro-industrie reçoit des décideurs politiques du monde entier, il y a peu d’aide pour les agriculteurs familiaux. Jusqu’aux années 80 et 90 les agriculteurs familiaux recevaient un soutien par le biais des offices publics de commercialisation pour les produits agricoles qui garantissaient des prix stables, des services de crédit, de l'information et de la technologie aux agriculteurs. Au cours des années 80 et 90 les programmes d’ajustement structurel préconisés par le FMI et la Banque mondiale ont conduit à la disparition ou à l'affaiblissement de ces offices publics de commercialisation en laissant les agriculteurs avec peu de soutien, même à ce jour.[3]
Les exploitations familiales sont souvent laissées à elles-mêmes pour surmonter les obstacles liés à la commercialisation de leurs produits. En Afrique, les agriculteurs sont très souvent physiquement loin des marchés d'exportation et il y a un manque d'infrastructures de transport (routes, train) pour acheminer leurs produits vers les marchés. Un autre problème est que les agriculteurs ont un accès limité à l'information concernant le marché et ils ont des moyens financiers limités, ce qui ne leur permet pas de négocier un bon prix pour leurs produits, ni de planifier leurs investissements. De plus, pour accéder au marché de l’UE les agriculteurs doivent s'assurer que leurs produits respectent les mesures phytosanitaires appliquées aux frontières européennes. L'UE affirme que ces mesures sont en place pour assurer la sécurité alimentaire, mais ces normes apparaissent comme un obstacle au commerce pour de nombreux exportateurs des pays en voie de développement. Ces normes sont souvent très restrictives et techniques pour les agriculteurs familiaux africains ce qui les empêche d'exporter vers l'UE.[4] Les agriculteurs africains devraient dépenser 10 fois plus pour répondre à ces normes élevées et ils ne reçoivent pas du soutien suffisant pour ce faire. Au sein de l'OMC, les pays développés exercent des pressions pour des normes plus strictes et de telles normes complexes pourraient exclure complètement du commerce international les exportateurs des pays en développement. [5] Donc, le soutien à l'agriculture familiale devrait se concentrer sur l'élimination de ces obstacles.
Conclusion
Les grandes entreprises agro-industrielles qui investissent dans le foncier en Afrique sont mieux équipés et ont plus d'information concernant le marché que les commerçants et les agriculteurs africains et donc elles sont mieux placées pour tirer profit des préférences commerciales de l'UE. Ces entreprises ne sont pas confrontées aux mêmes obstacles que les producteurs et les exportateurs locaux, mais bénéficient d'un certain nombre d’incitations, les mettant en position avantageuse. De cette façon, la concurrence pour les terres agricoles entre les grandes entreprises soutenues et les agriculteurs familiaux négligés sera encore augmentée. Sans un appui adéquat aux agriculteurs familiaux le risque est grand de détruire complètement l'agriculture familiale, tout en augmentant davantage la dépendance des pays africains des importations de produits alimentaires. Le résultat de ces accords commerciaux est que l'Afrique continue à fournir, par l'intermédiaire des sociétés étrangères opérant en Afrique ou par des exportateurs nationaux, des matières premières et des produits agricoles (comme intrants pour l'industrie alimentaire et pour l’industrie des agro carburants), dont la valeur ajoutée provient de l'UE.[6] Cela conduit à maintenir l'Afrique dans sa position économique de fournisseur de matières premières pour la société de consommation occidentale.
Gino Brunswijck
Chargé de Plaidoyer
[1] Sierra Leone Investment Agency: http://www.investsierraleone.biz/download/SL_OilPalm_Investment_Opp.pdf
Liberia Investment Agency: http://www.nic.gov.lr/public/download/Liberia_Investors_Guide_2011.pdf
[2] Aperçu des études sur Sierra Leone de Green Scenery http://www.greenscenery.org/index.php?option=com_content&view=article&id=15&Itemid=53
International Land Coalition, “Is Palm oil a Kernel of Development for African Countries like Liberia?”, 2011, http://www.commercialpressuresonland.org/press/palm-oil-kernel-development-african-countries-liberia
[3] Organisations des Nations Unies, Africa Renewal, “Boosting African Farm Yields”, 2006, http://www.un.org/africarenewal/magazine/july-2006/boosting-african-farm-yields
[4] Les normes ne concernent pas seulement la qualité de la nourriture, mais aussi l'étiquetage et l'emballage. Ce sont surtout ces derniers éléments que les agriculteurs familiaux trouvent difficile à surmonter.
[5] Organisations des Nations Unies, Africa Renewal, “New Barriers hinder African trade, 2006, http://www.un.org/africarenewal/magazine/january-2006/new-barriers-hinder-african-trade
[6] La Commission européenne, Commerce agricole entre l’UE te les pays ACP, 2013, http://ec.europa.eu/agriculture/bilateral-relations/pdf/acp_en.pdf