1404 Les directives volontaires : outil précieux ou façade ?
L’accès à la terre est indispensable pour les exploitations familiales dans les pays en développement afin qu’ils produisent assez de nourriture pour jouir de leur droit à l’alimentation. Ce droit fondamental est en train d’être compromis à cause de la pression accrue sur la terre arable de la part d’investisseurs riches qui acquièrent de grandes surfaces de terre arable. Parmi les préoccupations sur l’accaparement de terres et le manque correspondant de réglementation, la société civile du monde entier a insisté pour davantage de réglementation, ce qui a conduit à l’approbation en 2012, par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale[1], des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale de la FAO[2] (ci-après les directives volontaires ou DV). Depuis leur approbation, nombre de projets ont été mis en œuvre à travers le monde, dans le but d’appliquer les DV. Cependant, il est encore trop tôt pour mesurer les résultats de ces projets.
L’objectif des DV est de servir de référence pour la gouvernance des régimes fonciers afin de réaliser le droit à l’alimentation.[3] Ceci implique d’accorder une attention particulière aux producteurs alimentaires les plus importants dans beaucoup de pays en développement : des exploitations familiales à petite échelle. Les DV mentionnent bien qu’il faut soutenir les producteurs à petite échelle et garantir leurs droits fonciers. La question est de savoir si ces DV peuvent contribuer à modifier des systèmes de propriété qui garantiront l’accès à la terre aux exploitations familiales à petite échelle, étant donné la préférence de beaucoup de décideurs politiques pour l’agro-industrie et la domination de grandes sociétés dans le système alimentaire global.
Dans ce qui suit, nous discuterons certains points forts et certains manques des DV et particulièrement la tension entre les DV et les initiatives qui visent à augmenter l’investissement privé dans l’agriculture africaine.
Eléments positifs des directives volontaires
Les DV accordent une attention spéciale à l’amélioration de la sécurité des titres de propriété pour les groupes les plus vulnérables : les pauvres, les femmes et les producteurs à petite échelle. Les DV essaient aussi d’inclure toutes les formes existantes de droits fonciers : droits coutumiers, communs et informels, auxquels les DV se réfèrent comme droits fonciers légitimes[4]. Les DV s’inspirent des traités existants sur les droits humains ; les droits fonciers légitimes sont approchés de la même manière que les droits humains fondamentaux. Tout d’abord, chaque Etat a l’obligation d’empêcher la violation des droits fonciers légitimes à l’intérieur de son territoire, alors que les acteurs non étatiques tels que les entreprises doivent respecter les droits fonciers légitimes. De plus, les DV essaient de renforcer les obligations extraterritoriales des Etats vis-à-vis des droits humains. Dans les DV, la responsabilité des Etats d’où sont originaires les compagnies multinationales qui investissent outre-mer est élargie : les Etats d’origine doivent assister les Etats hôtes et les entreprises à éviter les abus contre les droits humains et fournir un remède judiciaire aux victimes. Malgré ces principes sains des DV, la réalité est différente : via des traités bilatéraux d’investissement, les investisseurs étrangers peuvent souvent compter sur une meilleure protection légale que les communautés locales.
Pourquoi “volontaire” ne suffira pas
Le défaut principal des DV reste qu’elles sont volontaires et, comme telles, il est improbable qu’elles inspirent l’agro-industrie à les mettre en œuvre, parce que cela demanderait aux sociétés d’analyser les systèmes fonciers locaux avant d’investir, ce qui accroîtrait leurs coûts. Les DV fournissent de bons instruments aux Etats pour améliorer la sécurité des droits fonciers pour la population locale, cependant, en réalité, ils sont souvent empêchés d’utiliser ces instruments. Par exemple, les DV encouragent les états hôtes à appliquer des sauvegardes pour les transferts de terres, comme des plafonds sur la vente de la terre, l’approbation parlementaire avant transfert, des évaluations indépendantes d’impact préalables aux investissements, et à appliquer des taxes pour empêcher la spéculation sur la terre et la concentration de la propriété de terres. Mais ceci est le contraire de ce que la Banque mondiale demande depuis des décennies aux pays en développement qui reçoivent des prêts conditionnels, notamment la libéralisation (aussi des marchés fonciers), la dérégulation et l’ouverture de l’économie afin de créer un environnement favorable aux investisseurs ; et, pour pouvoir recevoir le prêt, les gouvernements mettent souvent en œuvre ces réformes suggérées par la Banque Mondiale.[5]
Les DV partent d’une approche participative, visant à protéger toutes sortes de droits fonciers via un système de propriété transparent et accessible, et elles exhortent les Etats à mettre en œuvre des réformes qui redistribuent la terre. Les réformes agraires proposées par les DV prennent du temps en général, ce qui est nécessaire vu la complexité des droits de propriété coutumiers et communs. Cependant, un pays peut aussi décider d’entreprendre une réforme agraire simplifiée, en permettant aux exploitations familiales de posséder la terre qu’ils cultivent. Si la terre ne peut pas être enlevée à l’agriculteur ou l’agricultrice, il est plus probable que cette personne investira dans cette terre, ce qui aura un impact positif sur le développement rural.[6]
Cependant, tant la logique à court terme que la préférence pour l’agro-industrie persistent dans les partenariats publics-privés promus par des donateurs qui visent à augmenter l’investissement du secteur privé dans l’agriculture africaine. Un exemple d’un tel partenariat privé-public est la nouvelle alliance du G8 pour la sécurité alimentaire et la nutrition[7], par laquelle le secteur privé a obtenu des concessions importantes de gouvernements africains. Des pays africains se sont engagés à changer les lois foncières, les lois sur les semences et sur les taxes, et à mettre la terre à la disposition d’investissement commercial. Ces engagements vont libéraliser les marchés fonciers à un rythme rapide qui facilitera les acquisitions de terres par de grandes sociétés. Une telle libéralisation des marchés fonciers a peu de chances de prendre suffisamment en compte les droits de propriété de la population locale.
Conclusion
Finalement, les DV de la FAO offrent des instruments utiles pour renforcer les droits fonciers des groupes vulnérables. Cependant, ces outils volontaires s’évaporent souvent lorsqu’ils sont confrontés à des projets d’investissement de l’agro-industrie extractive. Il est improbable qu’un ensemble de directives volontaires encourage ces sociétés, qui ne sont intéressées qu’à des profits à court terme, à mettre en œuvre des sauvegardes qui empêchent un impact nuisible pour la population locale. Par exemple une analyse des systèmes locaux de propriété, préalable à l’investissement, peut empêcher la violation des droits fonciers légitimes de la population. Seule une législation contraignante gouvernant des acquisitions de terres à grande échelle a la capacité d’introduire des sauvegardes légalement exécutoires pour la population. Une telle législation peut se baser sur les DV, qui offrent une protection pour les droits fonciers de la population locale, même si ces droits ne sont pas enregistrés. Des droits fonciers exécutoires garantissent l’accès à la terre qui est essentiel pour que les producteurs alimentaires, les paysans, les pasteurs et la population rurale cultivent des denrées alimentaires pour consommation ou génération de revenu et pour soutenir leurs moyens de subsistance. Si les nations du monde entier et les organes des Nations unies veulent être efficaces pour l’élimination de la faim et de la pauvreté, alors une législation contraignante sur la base des DV est indispensable pour assurer que les investissements agricoles soient bénéfiques pour les communautés locales.
Gino Brunswijck
Chargé de plaidoyer
[1] Le comité pour la sécurité alimentaire mondiale est un organe intergouvernemental qui fait partie du système des Nations unies et qui permet des apports d’un large groupe d’actionnaires.
[2] FAO= Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, c’est une organisation intergouvernementale de 194 membres, et ses priorités sont la promotion de l’agriculture durable et la réduction de la faim et de la pauvreté.
[3] « Les présentes Directives volontaires ont vocation à devenir un document de référence et à fournir des indications qui permettent d’améliorer la gouvernance des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le but ultime de garantir la sécurité alimentaire pour tous et de promouvoir la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale. » (FAO, texte anglais de la préface des directives volontaires, 2012)
[4] Les DV ne s’appliquent qu’à la propriété de la terre, des forêts et des pêcheries et PAS à l’usage et à la gestion des ressources naturelles. Ceci peut être très pertinent pour les communautés locales parce qu’elles en dépendent pour leur subsistance et leur revenu.
[5] Pour plus d’informations sur l’influence de la Banque Mondiale sur les acquisitions de terrains à grande échelle par des sociétés qui produisent de l’huile de palme et de sucre de canne en Sierra Leone et au Libéria, consultez: http://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2014/04/world-bank-enabling-agribusine-2014412134645827557.html (en anglais)
[6] Une telle réforme fut entreprise à Madagascar en 2005 mais elle s’est ralentie en 2009 à cause du manque de fonds ; après quelques années, les paysans pouvaient demander une reconnaissance légale de leur propriété (non enregistrée) via une procédure très simple et non coûteuse au niveau du village (en 2011). http://www.agter.asso.fr/article908_fr.html
[7] Les programmes de la nouvelle alliance du G8 pour la sécurité alimentaire et la nutrition se réfèrent aux DV : « Les membres du G8, le gouvernement et le secteur privé du pays hôte “confirment leur intention de tenir compte” des DV”. (Source http://feedthefuture.gov/article/new-alliance-food-security-and-nutrition-0)