La Banque Mondiale et l’accaparement de terres

La Banque Mondiale
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Alors que beaucoup de fermiers africains n’ont pas assez de terre pour nourrir leur famille, des millions d’hectares de bonne terre agricole africaine ont été transférés des fermiers à des sociétés au cours des quelques dernières années. Chaque jour, de nouveaux investisseurs rejoignent la ruée vers l’accaparement de terres. La quantité de terre « arable », prétendument disponible pour la culture, devrait d’abord et avant tout être allouée aux fermiers locaux. Dans la plupart des pays africains, la « ruée vers la terre » a été bien préparée par le Groupe de la Banque Mondiale (G-BM), par ses agences de promotion d’investissements qui se focalisent sur l’aide aux investisseurs. Elles ont joué un rôle essentiel pour faciliter l’accaparement de terres dans les pays en développement.

 

Beaucoup de gouvernements, de donateurs et d’investisseurs prétendent qu’il y a abondance de terre « vacante » disponible en Afrique. Des gouvernements justifient leur promotion de la terre parce que le terrain à vendre ou à louer est « vacant » ou « sous-utilisé », en prétendant que l’accès des habitants à la terre ne sera pas compromis. Ils présentent même l’Investissement étranger direct (IED) comme bénéfique au pays et à la production sur un terrain précédemment « improductif ». Cependant la terre, particulièrement la terre productive, mais même la terre aride, est rarement vide ou non utilisée en Afrique. Elle répond à un objectif et contribue à nourrir ses habitants. La population locale l’utilise pour des pâturages, pour la chasse, la pêche, pour récolter du bois à brûler, cueillir des fruits, des légumes, des plantes médicinales, des champignons, du miel, ou elle donne même accès à de rares sources d’eau ; et elle fournit un espace de jachère pour la régénération du sol, aussi bien que pour des « cérémonies sacrées ». Les pasteurs dépendent de grandes surfaces de terres lorsqu’ils déplacent leurs troupeaux selon la disponibilité des pâturages et de l’eau.

En Afrique, la terre a toujours des « propriétaires et usagers traditionnels ». Chaque communauté s’occupe de son propre territoire et des fleuves et des terres agricoles qu’il contient. Le problème est de savoir qui a les titres de propriété, car les utilisateurs traditionnels ne détiennent pas de « documents de propriété ». Dans la plupart des cas la terre appartient au gouvernement, qui croit qu’il a le droit de le louer ou de le vendre à des investisseurs. Les lois agraires manquent souvent, elles ne reflètent pas les réalités du terrain ou elles ne sont pas appliquées.

 

Depuis la fin des années 90, des agences du Groupe de la Banque Mondiale, principalement la Compagnie financière internationale (CFI), la branche du G-BM pour le secteur privé, et le service consultatif pour l’investissement étranger (SCIE) ont préparé le terrain par de l’assistance technique et des services de consultation à des gouvernements de pays en développement, dans le but de faciliter l’accès des investisseurs à ces pays. SCIE a conseillé en ébauchant des lois qui permettraient aux investisseurs une plus grande mobilité d’investissement. Avec ces bénéfices accordés à des investisseurs étrangers, il n’est pas surprenant que l’intérêt pour les marchés de terres africaines se soit accru dans les dernières années. Ils ont promu des politiques pour faciliter la capacité d’investisseurs étrangers à acquérir du terrain pour l’agriculture dans les pays en développement.

Le résultat de cette « stratégie » a été un accès accru des investisseurs aux marchés de terres, minant ainsi le bien-être des communautés locales, à la fois en termes de droits à la terre et d’accès à la nourriture. C’est une tendance « perverse » car elle menace la sécurité alimentaire globale et la subsistance de fermiers à petite échelle ou de fermiers familiaux.

Ces agences ont travaillé comme conseillers pour des gouvernements africains, imposant leurs stratégies pour « faciliter l’investissement ». Des gouvernements africains ont accepté ces conditionnalités comme faisant partie de l’aide qu’ils reçoivent de la BM et de différents donateurs.

 

La manière dont les agences du G-BM ont travaillé

 

Les services consultatifs de la Compagnie financière internationale sont impliqués depuis des années avec différents pays africains. Le travail du service consultatif pour l’investissement étranger dans un pays commence par une révision du climat d’investissement du pays, en identifiant des barrières administratives à l’investissement et en formulant un plan d’action pour ôter ces barrières. Dans certains pays SCIE met en œuvre le projet « enlever les barrières administratives à l’investissement » pour approuver les changements législatifs en réduisant le temps, le nombre d’étapes et les frais requis pour établir une entreprise. En Sierra Leone la nouvelle législation a réduit le coût d’enregistrement d’une entreprise de près de 97%, de 1.500 dollars à 50 dollars, et les investisseurs ont reçu des permis de travail et de résidence. Dans la plupart des pays, une nouvelle législation est passée pour faciliter l’investissement étranger direct orienté vers l’exportation, en même temps que la création ou le renforcement de l’Agence nationale d’investissement à laquelle le SCIE offre une formation pour renforcer sa capacité pour la « promotion de l’investissement » en vue de répondre à la demande mondiale croissante.

 

Alors que le travail principal de la Compagnie financière internationale est le financement du secteur privé, dans les dernières années son travail d’administration d’assistance technique et de services consultatifs a pris un rôle de plus en plus important. L’assistance technique et les services consultatifs comprennent des projets spécifiques et des initiatives destinées à améliorer les climats d’investissement des gouvernements clients. Ceci comprend la création des conditions nécessaires pour attirer l’investissement étranger et faciliter le processus d’investissement pour les investisseurs. De telles activités incluent des réformes de la législation sur l’investissement, la réduction de barrières administratives et institutionnelles à l’investissement, le développement d’agences de promotion de l’investissement dans ces pays, et la prévision d’assistance politique aux gouvernements au sujet des taxes, des douanes et des lois sur la propriété terrienne. L’assistance technique et les activités de consultance peuvent être liées à un projet spécifique d’investissement, ou, de plus en plus, à des buts plus larges comme améliorer « l’environnement législatif » pour une industrie spécifique.

Les agences de promotion de l’investissement et de l’exportation sont créées avec un « bureau à arrêt unique » (un bureau qui regroupe toutes les formalités) pour aider les investisseurs à démarrer une entreprise. La protection des investisseurs par des taux de taxe flexibles et de nouveaux incitants à l’investissement est aussi mise en place. En Tanzanie les Centres d’investissement de Tanzanie ont reçu mandat d’identifier le terrain disponible et de le fournir aux investisseurs, aussi bien que d’aider les investisseurs à obtenir tous les permis nécessaires. Dans beaucoup de cas une « Banque des terres » a été créée pour identifier des millions d’hectares de terrain « vacant » convenable pour des projets d’investissement.

 

Dans toute l’Afrique, la BM a établi des sociétés nationales d’accès au crédit-bail, pour encourager des investisseurs à profiter de l’acquisition de terrains « vacants », « disponibles ». La première de ces sociétés nationales en Afrique fut la société éthiopienne d’accès au crédit-bail, mais depuis lors beaucoup d’autres ont été établies. Ces agences fournissent à des investisseurs potentiels des informations sur la « disponibilité » de terrain dans des pays africains, en esquissant les points forts et les points faibles de leurs climats d’investissement et la facilité relative d’accès à la terre, pour établir dans le pays une production destinée à l’exportation. En même temps, CFI travaille à développer le secteur de crédit du pays par des projets conjoints d’investissement et de services consultatifs. Son travail culmine dans la création de la société nationale d’accès au crédit et dans l’aide au gouvernement national pour qu’il ébauche un nouveau cadre légal pour l’accès au crédit dans le pays.

Par exemple, la stratégie actuelle de la CFI en Ethiopie se focalise sur de nouveaux projets proactifs d’investissement, en soutenant des partenariats public-privé qui promeuvent la croissance économique, en mobilisant des investissements directs dans des secteurs cruciaux de l’économie. Le résultat est une forte location de terre arable dans les différents pays africains à des investisseurs qui utiliseront la terre pour la faire produire pour la sécurité alimentaire de leur propre pays ou pour cultiver des agro-carburants.

 

Exemples des activités du Groupe de la Banque Mondiale

 

En 2007, le service consultatif pour l’investissement étranger (SCIE) a conseillé à Madagascar d’établir une nouvelle Agence de promotion de l’investissement et le nouveau Conseil de développement économique. En 2009, « Daewoo Logistics » de la Corée du Sud a prévu de produire du maïs et de l’huile de palme sur 1.300.000 ha (une superficie équivalente à la moitié de la Belgique) de terre agricole de Madagascar, environ la moitié de la terre arable actuelle du pays. Daewoo avait l’intention d’obtenir gratuitement un bail de 99 ans, de démarrer la production de maïs sur 2.000 ha à partir de 2010 et, graduellement, d’étendre cette culture à d’autres parties du terrain loué. Daewoo a toujours souligné que le but de l’investissement était d’augmenter la sécurité alimentaire de la Corée et il voulait fournir à peu près la moitié des importations de maïs de la Corée du Sud. Pourtant, Madagascar est une nation appauvrie où le Programme alimentaire mondial doit fournir une aide alimentaire à environ 600.000 personnes.

Le gouvernement de Madagascar et la compagnie prétendaient que le terrain en question était complètement sous-développé. Finalement, le contrat a été annulé lorsque des rassemblements de protestation ont causé un coup d´état qui a renversé le Président Marc Ravalomanana et conduit à la formation d’un nouveau  gouvernement.

 

En 2009, SCIE a créé le Programme de réforme du climat d’investissement au Mali pour appliquer des réformes régulatrices et institutionnelles dans les secteurs de l’agro-industrie, du tourisme et des mines, en vue de stimuler l’investissement privé. La même année, le gouvernement du Mali a approuvé des baux à long terme pour que des investisseurs extérieurs aident à développer plus de 160.000 hectares de terrain. Des contrats déjà approuvés incluent un projet commun de 10.000 ha entre Petrotech et AgroMali pour produire du biocarburant (bio-diesel) à partir de semences de Jatropha pour des pays de l’UE, des Etats-Unis et l’Egypte.

 

En 2001, SCIE a revu l’environnement général des affaires au Mozambique pour IED, avec comme objectif d’établir un agenda stratégique de réforme plus large en collaboration avec la Banque Mondiale. En 2008, « Sun Biofuels » (agro-carburants du soleil), une société britannique, s’est assuré 40.000 ha pour du Jatropha (pour du carburant) dans la province de Manica sur un terrain agricole de grande qualité. Le contrat donne un droit d’usage pour 99 ans. De plus, il établit une compétition inégale pour l’eau dans des régions où les fermiers manquent d’eau et où les gens n’ont pas d’eau potable. La même année, Sekab, une société suédoise, a acquis 100.000 ha pour des cultures de bio-carburants. Ceux-ci nécessitaient une déforestation et, par conséquent, ont causé une perte de revenus pour les gens, une perte de biodiversité, des dommages à l’écosystème et au cycle de l’eau. Malgré le fait que la terre coutumière et villageoise est protégée par la loi, les communautés locales n’ont pas été consultées et il y a eu un manque de transparence autour des contrats.

 

En 2008, SCIE a établi le Programme de climat d’investissement du Rwanda pour améliorer l’environnement régulateur, établir des institutions et attirer l’investissement du secteur privé. En 2009, le Rwanda a annoncé un nouveau programme pour identifier la terre arable « inexploitée » pour des concessions de terrains à des investisseurs étrangers.

 

Critique de ces politiques

 

La promotion de la privatisation par le G-BM en général, et les changements de lois territoriales de pays promus par IED et SCIE en particulier, menacent de détruire les approches communautaires traditionnelles de la propriété de terres en Afrique. Le travail d’IED et SCIE aurait la capacité de promouvoir la « facilité de faire des affaires » pour la population locale. Cependant une grande partie de leur engagement avec des gouvernements de pays en développement vise à faciliter les affaires essentiellement pour attirer des investissements étrangers directs, avant de faciliter les affaires pour la population locale. Selon les apparences, IED et SCIE s’occupent de marchés de terres seulement dans la mesure où ils influencent les climats d’investissement.

 

Malgré le rôle proéminent de la Banque Mondiale dans la réponse aux crises alimentaire et financière de 2008, les buts sous-jacents des politiques du G-BM - encourager l’investissement étranger direct et promouvoir le développement du secteur privé – mènent à des tendances qui augmentent l’instabilité plutôt que d’offrir sécurité et opportunités.

Les crises alimentaire et financière se sont avérées être des pilotes pour le travail d’IED et SCIE dans le monde en développement, car les gouvernements ont cherché et continuent à chercher de l’assistance financière et technique. IED/SCIE ont, non seulement encouragé et facilité l’accaparement de terres, mais ils ont influencé profondément la législation et les agendas politiques de pays en développement, en modelant directement des résultats sociaux et économiques qui affectent les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire de la population locale.

 

Le 11 mars 2010, près de 100 organisations de la société civile de 38 pays ont demandé que les prêts du Groupe de la Banque Mondiale à des sociétés privées répondent mieux aux préoccupations environnementales et sociales. Elles prétendent que le manque de transparence et de supervision d’IED, son échec à reconnaître les droits humains et des politiques inadéquates de changement climatique minent la capacité d’IED de répondre à sa mission d’alléger la pauvreté. La société civile fait remarquer un nombre de cas dans lesquels les investissements d’IED ont eu des impacts dévastateurs sur les populations locales ; elle indique que les critères de droits humains doivent être incorporés dans les normes de politique et de performance. La croissance rapide des services consultatifs d’IED au cours des sept dernières années s’est effectuée d’une manière largement incontrôlée.

 

Encouragés par IED et SCIE, des gouvernements offrent leur terre fertile à des investisseurs étrangers, menaçant par là les droits humains fondamentaux de leurs propres populations. En tant que fournisseurs d’assistance technique et de services consultatifs, IED et SCIE façonnent directement la législation et les agendas politiques de pays du Tiers monde, et jouent par conséquent un grand rôle dans la détermination des moyens de subsistance des populations de pays en développement. L’assistance technique et les services consultatifs ne servent qu’à promouvoir les agendas propres d’IED et de SCIE par la restructuration de lois et de politiques pour qu’elles conviennent à une approche du développement économique excessivement favorable aux investisseurs.

 

Conclusions

 

Dans son rôle consultatif vis-à-vis de gouvernements africains, le Groupe de la Banque Mondiale n’a pas agi dans le meilleur intérêt du peuple africain. Il a promu des réformes qui ont rendu plus aisée pour des investisseurs la location de terre en Afrique, au lieu d’aider des producteurs locaux à faire un meilleur usage de leur terre. Finalement, les politiques promues par le Groupe de la Banque Mondiale sont hautement bénéfiques pour des investisseurs du premier Monde et peut-être pour les gouvernements de pays hôtes, mais les populations locales souffrent de leurs conséquences. Les investissements étrangers directs ne sont pas une panacée pour le développement et ils ne résolvent certainement pas les problèmes imminents de pauvreté, de faim et de besoin de réforme agraire. La manière dont ils sont promus aggrave même les tensions au sujet du contrôle de la terre et elle augmente la probabilité de la faim.

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