La politique de l’UE pour les biocarburants alimente l’insécurité alimentaire en Afrique

© Oxfam

 

 

La demande accrue en biocarburants est l’un des principaux facteurs qui contribuent à l’actuelle volatilité des prix des denrées alimentaires et détourne les exploitations agricoles de la production de nourriture dans des régions où règne l’insécurité alimentaire.

 

 

Ces dernières années, les mandats de production de biocarburants de l’Union européenne et des Etats-Unis ont contribué à la volatilité des prix des denrées alimentaires, qui porte particulièrement préjudice aux consommateurs les plus pauvres de la planète. Par ailleurs, ces mandats de production de biocarburants ont motivé l’acquisition de terres à large échelle par des sociétés de l’Union européenne qui détournent les terres arables que cultivent les fermiers familiaux en Afrique. Ces deux facteurs ajoutent à l’insécurité alimentaire des consommateurs pauvres et des fermiers familiaux pauvres.

 

 

Depuis la crise alimentaire de 2008, nous sommes entrés dans une ère de prix alimentaires élevés à la volatilité accrue, car les prix actuels des denrées alimentaires n’ont jamais retrouvé leur niveau antérieur à 2008. En outre, des cultures vivrières telles que le maïs et le blé (pour le blé, notons une hausse de prix de 24% entre octobre 2011 et octobre 2012), qui sont d’une grande importance pour les consommateurs pauvres, ont enregistré des augmentations de prix entre 2011 et 2012. Ces chocs de prix font principalement du tort aux fermiers familiaux pauvres et aux consommateurs pauvres en Afrique, car ils dépensent une partie considérable de leurs revenus en produits alimentaires, ce qui pèse sur l’apport alimentaire et sur les dépenses en matière de santé et d’éducation. Même pour les exploitants qui pratiquent une agriculture familiale à petite échelle, des prix plus élevés pour les denrées alimentaires n’augmentent pas nécessairement leurs revenus, puisqu’un grand nombre de ces fermiers familiaux sont souvent des acheteurs nets de denrées alimentaires. Il est fréquent que leurs récoltes ne compensent pas la hausse de leurs dépenses en denrées alimentaires, en raison des difficultés à diriger leurs récoltes vers les marchés et des obstacles à une productivité accrue tels qu’un accès abordable aux intrants agricoles.

 

 

La FAO a reconnu que l’augmentation de la demande en biocarburants au cours de ces dernières années est l’un des principaux facteurs contribuant à la volatilité actuelle des prix des denrées alimentaires. Cette augmentation de la demande en biocarburants est la conséquence du choix politique déterminé de plusieurs pays et c’est aux Etats-Unis et dans l’Union européenne que ce choix est le plus manifeste. La Stratégie de l’Union pour 2020 prévoit une réduction de 20% des émissions de gaz à effet de serre et cette réduction est mise en œuvre par la Directive sur les énergies renouvelables et la Directive sur la qualité des combustibles. A cet égard, les biocarburants ont été promus comme solution écologique pour réduire à la fois les émissions de gaz à effet de serre et la dépendance à l’égard des combustibles fossiles. Toutefois, l’accaparement de terres par l’industrie européenne des biocarburants, encouragée par les systèmes d’aide publique, représente un sérieux fardeau qui pèse sur l’environnement en Afrique. Lorsqu’on considère que de nombreuses forêts sont défrichées dans des pays du sud pour cultiver des biocarburants et qu’on tient compte de l’utilisation intensive d’engrais, de la contribution à l’érosion des sols, de la biodiversité, de l’épuisement des ressources locales en eau et des frais de transport pour exporter vers l’Union européenne, on voit que les agro-carburants provenant de zones de déforestation ont une empreinte écologique plus importante sur notre planète que les combustibles fossiles.

 

 

De plus, la production d’agro-carburants entre en concurrence avec la production de denrées alimentaires et détourne les exploitations agricoles et leurs cultures vivrières de la production de nourriture dans des régions où règne l’insécurité alimentaire. L’installation concrète de plantations d’agro-carburants en Afrique sur des terres arrachées aux communautés locales accroît également l’insécurité alimentaire. Les forêts, les terres humides et les terres en jachère sont particulièrement ciblées dans l’accaparement de terres, alors que ces zones fournissent aux paysans et à la population rurale des sources alternatives précieuses d’approvisionnement alimentaire dans les périodes de famine ou de moindres récoltes. En outre, plusieurs investissements terriens ont provoqué des déplacements de personnes, qui ont quitté leurs terres agricoles et leurs parcelles en bord de rivière ou de fleuve, accroissant de ce fait leur insécurité alimentaire et réduisant leur accès à l’eau. Les investissements à grande échelle sont surtout centrés autour de grands bassins aquifères ou de fleuves pour garantir l’accès aux ressources en eau pour les cultures de biocarburants. Ceci diminue la disponibilité de l’eau et l’accès à l’eau pour les fermiers familiaux, réduisant ainsi le rendement de leurs récoltes et les privant de zones de pêche.

 

 

L’Union européenne a récemment reconnu en partie les conséquences négatives de sa politique en matière de biocarburants ; mais les changements politiques proposés paraissent insuffisants pour s’attaquer de façon appropriée aux impacts négatifs de la production de biocarburants. Le projet de texte de la Commission européenne visant à modifier la Directive sur les énergies renouvelables indique que sur les 10% de combustibles de transport provenant de sources renouvelables, 5% peuvent être attribués à des biocarburants produits à base de cultures alimentaires. Mais ceci va perpétuer la concurrence qui existe actuellement en matière de cultures et de terres entre les fermiers familiaux et l’agro-industrie, concurrence qui pousse les prix des denrées alimentaires à la hausse. Pour la même raison, l’Union européenne devrait s’efforcer d’éliminer les systèmes d’aide des Etats membres aux biocarburants de première génération. Reste aussi à savoir si les Etats membres vont accepter l’objectif de 5% proposé par la Commission.

 

 

Gino Brunswijck

Conseiller politique à l’AEFJN – Réseau Foi et Justice Afrique-Europe

 

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