Matières premières et accaparement de terres

Mining

Le besoin mondial de la terre et de ses ressources comme l’eau, les plantes, le bois ou les minerais est en constante augmentation. Ceci amène des gouvernements et des investisseurs privés à rechercher du terrain à bon marché et riche en ressources proche de l’infrastructure. Le terrain est souvent pris à des agriculteurs qui en sont les usagers traditionnels. Ce phénomène est appelé ‘accaparement de terres’ et il contribue à la pauvreté et aux conflits sociaux.

 

L’accaparement de terres se produit sur tous les continents, mais 60% de celui-ci a lieu en Afrique. Des gouvernements hôtes ont tendance à accueillir des investisseurs, en espérant bénéficier de la vente de terres. Ils offrent de la terre fertile avec un accès aisé à l’eau et aux infrastructures. Les contrats incluent rarement des conditions qui protègent les intérêts des communautés locales.

 

Les industries extractives représentent une dimension de ce phénomène. Les concessions sont moins étendues mais les activités extractives provoquent des catastrophes écologiques dans leurs environs et accélèrent le changement climatique. Il en résulte que la terre est enlevée à l’usage local parce qu’elle est rendue inutilisable. C’est une tendance qui va très probablement s’accroître car on s’attend à ce que la population mondiale croisse de 7 milliards en 2011 à 9 milliards d’ici 2050. Cette augmentation aura pour résultat des besoins plus élevés en énergie et une plus grande consommation de métaux pour la construction et la manufacture. Au total elle causera le triplement des activités minières d’ici la même date. Par exemple, les combustibles fossiles tels que le pétrole, le charbon et le gaz couvrent environ 80% de nos besoins fondamentaux en énergie. Mais ce nombre a très peu de chances de diminuer d’ici 2030. La consommation de charbon augmentera de 50% et la consommation de gaz naturel augmentera de 43%. Le nombre de centrales électriques nucléaires en construction, programmées ou proposées doublera la capacité nucléaire mondiale actuelle. Le besoin de métaux augmentera de 80% d’ici 2015 pour l’Inde seule.[1]

Même une dépendance plus élevée vis-à-vis des énergies renouvelables se traduira par des mines. Les panneaux solaires, les éoliennes et les voitures électriques dépendent d’un tas de métaux différents dans leur modèle et leur construction. Par exemple, plus de 11 kg de minerais ‘terres rares’ sont nécessaires pour produire une voiture hybride, c’est le double de la quantité nécessaire pour une voiture traditionnelle.[2]

 

Une augmentation mondiale des activités minières, non surveillée et non contrôlée, sera hautement nuisible pour l’environnement. De plus en plus de terres communautaires, de fleuves et d’écosystèmes seront pillés. Aujourd’hui, l’extraction pénètre de plus en plus profondément dans la terre et dégage des produits chimiques toxiques qui empoisonnent le sol et l’eau bien au-delà du site d’opération. Les activités minières exigent de grandes quantités d’eau, créant des problèmes tant en amont (forte compétition avec les fermiers locaux pour l’accès à l’eau) qu’en aval (forte pollution pendant et après les opérations de la mine). Elle génère aussi un drainage acide dans le sol, les fleuves et les nappes aquifères, polluant l’air en dégageant de la poussière et des toxines. Elle cause la déforestation et la destruction de la biodiversité et une perte de sol arable par le creusement de la mine et ensuite par l’érosion du site.[3]

 

On peut trouver un exemple de ceci au Niger, un pays dont l’indice de développement humain est un des plus bas de la planète, mais qui est riche en ressources minérales. C’est un lieu où AREVA, le géant de l’énergie nucléaire publique française, exploite l’uranium depuis 40 ans maintenant, en fournissant cependant peu d’opportunités pour le développement. Au contraire, les opérations d’AREVA se sont avérées très destructrices. A cause de la mauvaise gestion négligente du processus d’extraction par AREVA, des substances radioactives ont été libérées dans l’air, elles se sont infiltrées dans les eaux souterraines et elles ont contaminé le sol autour des villes minières, en endommageant l’écosystème local et en créant une multitude de problèmes de santé pour la population locale. Une exposition élevée à la radioactivité amène des problèmes respiratoires, des problèmes à la naissance et des cancers. Dans les localités d’Arkit et d’Akokan, la concentration en uranium était supérieure à la limite recommandée par l’OMS pour l’eau de boisson. Dans les villes minières, on a trouvé des niveaux de taux de radiation presque 500 fois plus élevés que la normale. Cette situation est préoccupante parce que, tandis que des Nigériens sont exposés à la radiation, à la maladie et à la pauvreté, AREVA empoche des milliards à partir de leurs ressources naturelles. Peu d’effort est fourni par la multinationale pour prendre en considération le bien-être de ses travailleurs, des populations avoisinantes et de l’environnement.[4]

 

Le pays Venda, situé dans la province du Limpopo en Afrique du Sud est bien connu pour sa biodiversité et son héritage culturel. Sa population vénère les forêts indigènes, les fleuves, les cimes des montagnes et les chutes d’eau comme des sites sacrés. Aujourd’hui, la diversité culturelle et écologique de Venda est de plus en plus menacée par l’accaparement de terres, des projets de développement, le tourisme et les mines. Très récemment, « Coal of Africa » (charbon d’Afrique), une société minière australienne, a proposé un projet minier qui cause des dommages sévères aux communautés locales. La société elle-même a admis que le projet va épuiser les eaux souterraines dans la région de Venda d’ici 2014. Des rapports externes ont aussi montré un haut risque d’infiltration d’eau contaminée par la mine. En réponse, des groupes de la société civile se sont mobilisés en demandant de reconsidérer le projet.[5]

 

L’exploitation de ressources naturelles réalisée d’une manière non durable, qui prive la population de ses moyens mêmes de subsistance, peut aussi se rencontrer dans la région du delta du Niger. Là, un désastre écologique est en train de prendre place à cause de l’exploitation du pétrole et du gaz. Une fois de plus, la découverte de pétrole de la région aurait dû provoquer localement la prospérité économique. La production de pétrole au Nigéria a commencé en 1956 et, depuis les années 1970, elle compte pour plus de 80% des revenus du gouvernement nigérian et pour 95% des gains d’exportation du pays. Tout le pétrole et le gaz du Nigéria proviennent de la région du delta du Niger, qui consiste en à peu près 20.000 km² de forêts de mangrove, de marécages d’eau fraîche, de crêtes côtières et de forêts fertiles sur sol sec – une abondance de poisson et de vie sauvage marine. La richesse environnementale a transformé le delta du Niger en une des plus hautes densités de population rurale du monde.[6]

 

Mais c’était il y a longtemps. Depuis plus de quatre décennies maintenant, des fuites régulières de pétrole se sont produites de plus en plus souvent, transformant le marécage luxuriant en rien d’autre qu’un étang de pétrole brut nigérian. Les fuites sont causées surtout par l’état négligé du vaste réseau de tuyaux et de réservoirs de stockage dispersés dans toute la région, et aussi, à un moindre degré, par vol et sabotage. La combustion du gaz est un autre défi important au Nigéria parce qu’elle contribue aux pluies acides, à la désertification et à l’assèchement des fleuves. Très certainement, l’absence de lois et de mesures d’application au Nigéria ne pousse pas au changement. Une moyenne de deux fuites de pétrole est enregistrée chaque jour au Nigéria. Cela signifie que, chaque année, plus de pétrole est répandu à partir du réseau de terminaux, tuyaux, stations de pompage et plateformes pétrolières que lors du désastre de ‘Deepwater Horizon’ en 2010, où du pétrole s’est perdu dans le Golfe du Mexique. Dans le pays Ogoni, le sol est pollué par des hydrocarbures jusqu’à une profondeur de 5 mètres et de l’eau contaminée sert d’eau de boisson pour les communautés locales.[7][8] Selon une étude du Programme des Nations unies pour l’environnement dans le même pays, il faudrait jusqu’à 30 ans pour nettoyer le pétrole.[9]

 

Récemment, un procès a été intenté par la population locale contre Royal Dutch Shell pour chercher une compensation après deux fuites de pétrole d’environ 4.000 barils qui se sont produites fin 2008 et début 2009.[10] Que la société soit jugée coupable ou responsable, il faudra une sanction qui décourage suffisamment toute situation similaire. Si la seule sanction est le paiement d’une légère amende, elle ne fera rien pour dissuader les sociétés.

Comme nous l’avons vu, ces exemples sont le témoignage que le besoin croissant de ressources naturelles à travers le monde exerce un impact énorme sur des populations locales qui vivent dans des régions éloignées, et les industries extractives y jouent un grand rôle. Du terrain sur lequel ces populations comptent est accaparé dans l’idée qu’il va promouvoir le développement, alors qu’on détruit surtout les maigres ressources dont elles dépendent.

 

Sébastien Porter



[1] Sibaud Philippe, « Opening Padora’s Box : The New Wave of Land Grabbing by the Extractive Industries and the Devastating Impact on Earth » (Ouvrir la boîte de Pandore : la nouvelle vague d’accaparement de terres par les industries extractives et l’impact dévastateur sur la terre), The Gaia Foundation, London, 2012, p.18-39.

[2] Idem, p.47

[3] Idem, p.35

[4] Greenpeace, « Left in the dust : AREVA’s radioactive legacy in the desert towns of Niger » (Laissé dans la poussière : l’héritage radioactif d’AREVA dans les villes du désert du Niger), avril 2010, p.6-8.

[5] Sibaud, op.cit, p.26

[6] Ledum Mitee, «Oil exploitation, the environment and crimes against nature » (Exploitation du pétrole, l’environnement et des crimes contre la nature.), Vanguard, 26 mars 2012.

[7] Sibaud, op. cit, p.20.

[8] Vidal John, « Nigeria’s agony dwarfs the Gulf oil spill. The US and Europe ignore it » (L’agonie du Nigéria relativise la fuite de pétrole du Golfe. Les Etats-Unis et l’Europe l’ignorent), The Guardian, 30 mai 2010.

[9] BBC News, « Nigeria Ogoniland oil clean-up could take up to 30 years » (Nettoyer le pétrole de Ogoniland au Nigéria pourrait prendre jusqu’à 30 ans), 4 août 2011, http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-14398659 (en anglais)

[10] Croft Jane, « Shell faces claims over Niger delta spills » (Shell fait face aux réclamations au sujet des fuites du delta du Niger », The Financial Times, 22 mars 2012.

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