25e anniversaire d’AEFJN: Structures de pouvoir changeantes
Structures de pouvoir changeantes
C’est trop peu dire que le monde a changé depuis les débuts d’AEFJN il y a 25 ans. En 1988 nous parlions encore du ‘Tiers-Monde’, en nous référant aux pays en développement dans l’hémisphère Sud. La puissance économique et politique des pays occidentaux était à peine mise au défi par d’autres pays. Mais tout cela a changé. Depuis lors, la Chine est rapidement devenue un acteur important sur la scène mondiale, et d’autres pays comme l’Inde, la Russie et le Brésil lui ont emboîté le pas. Les pays africains ont davantage de choix pour négocier des transactions que dans les années 80 et 90 du siècle dernier. La découverte de l’énorme richesse minérale en Afrique a eu pour résultat une croissance économique rapide dans beaucoup de pays africains. Que signifient tous les déplacements dans l’équilibre des pouvoirs pour nos activités en tant qu’antennes d’AEFJN ?
Avec cette question à l’esprit, l’antenne hollandaise a invité René Grotenhuis à sa célébration du 25e anniversaire d’AEFJN, qui a eu lieu le 31 mai. M. Grotenhuis est directeur de Cordaid, la plus grande organisation d’aide au développement aux Pays-Bas, auteur de plusieurs livres sur le développement international et président de la Société pour le développement international. A ses yeux, l’essence du travail de toute organisation qui veut améliorer les conditions de vie des marginalisés consiste à changer les structures de pouvoir. La question à un million de dollars est évidemment comment faire cela. Le pouvoir est un phénomène à multiples facettes. Il n’est pas seulement concentré dans les mains des dirigeants des gouvernements ou des PDG des sociétés internationales. Les groupes et les personnes individuelles de la base ont aussi un certain pouvoir pour changer les choses. Grotenhuis pense que le plus grand défi pour nous est de connecter les différents agents et niveaux qui peuvent jouer un rôle dans les changements de société. Une approche de haut en bas ne mènera jamais par elle-même à des changements sociaux profonds. Grotenhuis a fait remarquer l’échec dramatique de la communauté internationale à faire advenir une société juste et stable en Irak ou en Afghanistan. Il faut qu’il y ait une coopération fructueuse entre les différents niveaux.
L’attitude européenne envers les pays du Sud a été trop longtemps marquée par l’arrogance et des sentiments de supériorité. Cela doit changer, dit Grotenhuis. Cependant, la manière dont les sociétés européennes se sont développées au cours des derniers siècles peut d’une certaine manière servir d’exemple pour d’autres, notamment dans la manière dont le pouvoir a été distribué plus également dans les sociétés européennes. Il y a un monde de différence entre les sociétés des 17e et 18e siècles où l’aristocratie européenne pouvait faire presque tout ce qu’elle voulait, et les démocraties actuelles en Europe. Même si beaucoup de pays africains montrent aujourd’hui d’énormes taux de croissance économique, toute cette richesse reste dans les mains d’une petite élite. Elle ne profite pas à la société dans son ensemble. Il faut qu’on demande des comptes à l’élite africaine pour son comportement. Peut-être l’Afrique pourrait-elle apprendre de l’Europe comment le pouvoir et la richesse peuvent finalement être partagés plus uniformément.
Grotenhuis a énormément de respect pour les expériences des missionnaires. Ils ont appris à écouter les autres avec respect, à coopérer avec la population locale et à être patients, parce qu’il faut du temps pour que des changements aient lieu. Ces leçons apprises par les missionnaires sont extrêmement importantes maintenant. A ce point de vue, Grotenhuis nous a encouragés à ne pas mettre notre lampe sous le boisseau.
Même si, souvent, il ne semble pas qu’il y ait beaucoup de raison d’être optimiste, Grotenhuis a exprimé sa conviction dans la bonté fondamentale des êtres humains. Il a cité Vasily Grossman, écrivain et journaliste russe qui, même après avoir été témoin des horreurs des camps de concentration allemands, écrivait que le mal ne peut jamais écraser la bonté humaine.
Les leçons que nous, dans le réseau AEFJN, pouvons tirer des paroles de Grotenhuis, c’est tout d’abord de continuer à travailler en vue d’une distribution plus égale de la richesse et du pouvoir. Pour ce faire, nous devons engager des personnes individuelles, des groupes et des institutions à la fois au niveau de la base et aux plus hauts niveaux de la société. Le changement de structures de pouvoir ne se produira pas du jour au lendemain. Mais la tradition missionnaire peut nous inspirer de rester forts, tout en faisant patiemment ce que nous pouvons pour travailler en vue de plus de justice et de paix dans ce monde.
Gerard Moorman
Membre de l’antenne hollandaise