A propos de la Déclaration de M’bour sur l’accaparement des terres
La Déclaration de l’atelier à M’bour sur l’accaparement des terres peut être utilisée pour faire pression et pour travailler en Eglise et en réseau d’organisations de société civile.
Une cinquantaine de membres de l’Eglise, de religieux et de représentants d’organisations catholiques de développement et d’autres réseaux (agriculteurs, droits de l’homme,…) se sont réunis pendant 3 jours pour analyser le phénomène d'accaparement des terres et les réseaux possibles pour lutter contre ce fléau. Etaient invités aussi des experts d’Amérique latine et d’Asie pour comparer le phénomène entre continents. L'atelier « L'accaparement des terres en Afrique - Dangers et défis » a été organisé à M’bour, près de Dakar, 6-9 février 2011. Ils ont écrit une déclaration à l’adresse de l’Eglise, des pouvoirs politiques et des citoyens comme outil pour aider à faire pression. Cette déclaration a contribué à la rédaction de la déclaration commune aux organisations présentes au FSM 2011 à Dakar sur ce même thème.
Le travail contenait 3 volets : 1. Analyse du phénomène d’accaparement des terres
2. Rédaction d’une déclaration qui sert d’outil pour agir
3. Proposition d’engagement collectif des participants / pays
Ils ont mis en évidence qu’il y a confrontation entre 2 concepts de la « Terre »: « Marchandise pour faire du bénéfice » >< « Territoire comme moyen de vivre », générant des conflits à la fois juridiques, sociaux, économiques et environnementaux. Ils ont aussi relevé que beaucoup d’acquisitions légales ne sont pas légitimes. De fait, la majorité d’entre elles se passent sans prise en compte du droit d’occupation ‘ancestral’, des réalités et besoins des communautés locales, sans information ni concertation de celles-ci, avec abus de pouvoir par des autorités, des personnes influentes et des compagnies étrangères, en l’absence ou insuffisance de compensation pour les personnes affectées, avec destruction de la biodiversité et de l’écosystème (souvent de façon irréversible), et enfin, avec compétition pour l’eau.
Toutes ces pratiques violent le droit à l’alimentation [1] et les droits économiques, sociaux et culturels[2] des usagers de la terre. En effet, l’accès à la terre est à relier au droit à une alimentation suffisante pour lequel chaque Etat a l’obligation 1) de respecter, 2) de protéger contre toute atteinte par des tiers et 3) de s’efforcer de renforcer l’accès et l’utilisation par les peuples des ressources et des moyens de s’assurer leur subsistance. Les fonctions culturelles et sociales de la terre sont affectées aussi : lieux de culte et d’enterrement, héritage commun, lieu d’habitation et d’infrastructures sociales et culturelles. Ces fonctions particulièrement présentes en Afrique sont notées dans le document de l’Union Africaine « Cadre et Lignes Directrices de la Politique Foncière en Afrique ». Le problème, c’est que ces droits ne sont pas assortis d’un organe de sanction en cas de non respect comme il en existe pour les règles éditées par l’Organisation Mondiale du Commerce. La base légale mais illégitime de l’accaparement des terres qui s’est accéléré et accru ces dernières années a été préparée depuis 10-15 ans par des cadres juridiques mis en place sous pression de la Banque Mondiale, ex : ouverture des frontières. Il faut donc un ensemble de lois cohérentes qui protègent les citoyens de la dépossession de leur territoire et des ressources qu’il contient.
Les droits coutumiers ou traditionnels ont coexisté avec le droit ‘moderne’ hérité des colonies et inscrit dans la Constitution du pays. C’est parce qu’ils répondent à un mode de fonctionnement social : la gestion collective d’une même terre qui est utilisée par plusieurs acteurs ayant des droits d’usage différents (culture, chasse, collecte de produits naturels). Les titres de propriété ne permettent pas une telle gestion. C’est pourquoi les participants à l’atelier de M’bour demandent aux gouvernements de garantir la reconnaissance légale et la protection des droits coutumiers de la population relatifs à la terre et aux ressources naturelles.
1. Analyse du phénomène d’accaparement des terres :
1.a. Exposé de 8 cas :
4 cas africains : Région d’Afrique du Sud, Afrique de l’Est, Région de Lubumbashi (industrie extractive), Madagascar.
4 autres cas : Nepal, Cambodge, Brésil et Argentine.
1.b. Analyse :
I. Le phénomène est semblable en Afrique, Asie et Amérique latine.
On relève plusieurs points communs : l’accroissement du phénomène en nombre et en surface négociée dû à la volonté politique des gouvernements (Argentine : accélération à partir de l’an 2000, en Afrique : 2005), la non prise en compte des réalités et besoins des communautés locales, l’absence d’information et de concertation de celles-ci, l’abus de pouvoir des autorités ou personnes influentes et des compagnies étrangères, l’absence ou insuffisance de compensation pour les personnes affectées, la destruction de la biodiversité et de l’écosystème (souvent de façon irréversible), la compétition pour l’eau.
L’accaparement concerne les terres, les forêts et l’eau, pour divers secteurs d’investissement : agriculture, tourisme et mines essentiellement, mais aussi spéculation et marché du carbone.
II. 2 concepts de la « terre » se confrontent :
« Marchandise pour faire du bénéfice » >< « Territoire comme moyen de vivre »
Il est donc essentiel de définir la terminologie et la finalité du concept « terre » : L’accaparement des terres concerne les acquisitions illégitimes, même si légales, de territoires qui sont sources de vie : culture, bois, pêche, plantes médicinales, lieu de culte,…
III. Mobiles des investissements : capitalisation et utilisation des terres par d’autres usagers
IV. 3 types d’acteurs en présence :
a. Communauté locale
b. Autorité locale : corrompue, n’assure pas sa responsabilité vis-à-vis du citoyen
c. Ceux qui causent le problème : élites, Etat, investisseur (généralement il n’utilise pas directement la terre, mais il assure le lien entre une multinationale et un partenaire local)
Donc, il faut faire pression sur les autorités corrompues. Il faut aussi développer une stratégie pour protéger l’accès à la terre des communautés locales et obtenir la reconnaissance du droit coutumier relatif à la terre.
V. Distinction entre acte légitime et acte légal.
Beaucoup d’opérations sont légales, mais elles ne sont pas toutes légitimes puisqu’elles ne sont pas conformes à la Déclaration Universelle des Droits Humains (ex. : droit à l’alimentation), et autres obligations internationales et nationales.
VI. Théologie de la terre : Brésil, Afrique du Sud et Kenya travaillent sur cette illégitimité.
La base légale mais illégitime de l’accaparement des terres observé actuellement a été préparée depuis 10-15 ans par des cadres juridiques mis en place sous pression de la Banque Mondiale. Ex : Burkina Faso : la Banque Mondiale a demandé d’ouvrir les frontières.
Il faut donc des lois pour protéger les citoyens de la dépossession de leur territoire.
L’agro-écologie et l’agriculture traditionnelle se distinguent de l’agriculture industrielle par un bilan écologique meilleur.
VII. Le Rapport IAASTD peut nous aider dans le travail de pression auprès des autorités politiques.
Pour rappel, IAASTD , en français : EICASTD : « Evaluation Internationale du rôle des Connaissances Agricoles, de la Science et de la Technologie pour le Développement » dans la réduction de la faim et de la pauvreté, dans l’amélioration des moyens ruraux d’existence et la facilitation d’un développement qui est écologiquement, socialement et économiquement fiable. Cette étude a été menée par plus de 400 experts du monde entier et publiée en avril 2008 et signée par 59 Etats. De même envergure que le rapport du GIEC pour le climat, ce rapport contient une analyse complète et fait plusieurs recommandations aux décideurs politiques.
2. Déclaration des participants de l’atelier à l’adresse de l’Eglise, des gouvernements, des institutions internationales et de la société civile
A l’issue des groupes de travail, les participants se sont accordés sur une déclaration qui devrait servir d’outil pour faire pression auprès des autorités politiques et pour transmettre des recommandations à l’Eglise et aux groupes de société civile.
Les participants de l’atelier recommandent à l’Eglise de 1) dénoncer les contrats de terres qui violent les droits de l'homme et sont des actes illégaux et illégitimes, 2) mettre en priorité les questions foncières dans le travail pastoral, 3) soutenir les communautés en difficulté et 4) diffuser la mise en œuvre des propositions sur les terres du 2° Synode des Évêques pour l'Afrique. Lire la Déclaration complète.
Déclaration de M’bour sur l’accaparement des terres
Des représentants de diverses organisations catholiques de développement, des réseaux et leurs alliés issus de 25 pays de quatre continents (Afrique, Asie, Europe et Amérique latine) se sont réunis pendant 3 jours pour l’atelier "L'accaparement des terres en Afrique - Dangers et défis", à l'occasion du Forum social mondial 2011.
Religieux, prêtres diocésains et laïcs ont analysé le phénomène d’accaparement des terres et les réseaux possibles pour lutter contre ce fléau.
Ils ont mis en évidence que beaucoup d’acquisitions légales ne sont pas légitimes. Ils ont aussi relevé qu’il y a confrontation entre 2 concepts de la « Terre »: « Marchandise pour faire du bénéfice » >< « Territoire comme moyen de vivre », générant des conflits à la fois juridiques, sociaux, économiques et environnementaux.
Ils ont écrit une déclaration à l’adresse de l’Eglise, des pouvoirs politiques et des citoyens comme outil pour aider à faire pression. Ils ont aussi contribué à la rédaction de la déclaration commune aux organisations présentes au FSM 2011 à Dakar sur ce même thème (Appel de Dakar).
TEXTE de la déclaration finale de cet atelier: vous pouvez l'utiliser pour faire pression:
DÉCLARATION de MBOUR sur l’accaparement de terres en AFRIQUE
DÉCLARATION de MBOUR sur l’accaparement de terres en AFRIQUE
Nous participants, provenant de 25 pays de quatre continents (Afrique, Asie, Europe et Amérique latine), et représentant diverses organisations catholiques de développement, des réseaux et leurs alliés,
réunis à Mbour, au Sénégal du 6 au 9 février à l'atelier
sur "l'accaparement des terres en Afrique - Dangers et défis", à
l'occasion du Forum social mondial 2011 ;
CONCERNES par le phénomène récent
de l'accaparement des terres à travers l'Afrique, en Asie et en Amérique
latine, qui consiste en un transfert massif de terres des communautés locales[1] vers des intérêts individuels et / ou d’entreprise, locaux et étrangers, en vue de la production d’agrocarburants, la production de
cultures d'exportation, l'extraction de ressources naturelles et la spéculation
financière ;
CONVAINCUS
que la terre est un don de Dieu et un bien commun qui nous est confié par les
générations passées pour notre usage, et qui appartient aux générations encore
à naître ;
CONVAINCUS que
la terre doit être considérée non pas comme une simple marchandise à but
lucratif, mais plutôt comme un territoire dans lequel s'inscrivent notre
culture, notre identité et la source de notre subsistance ;
PARVENANT à la compréhension commune
que l'accaparement des terres en Afrique entraîne des conséquences négatives menaçant
la vie des communautés africaines, en particulier par le déplacement de
populations, l'aggravation de la pauvreté et de la faim, l’augmentation des conflits, la perte des
droits fonciers et des moyens de subsistance, la remise en cause de la
souveraineté alimentaire, et l’irréversible dégradation de l'environnement ;
CONSIDERANT l’accaparement de terre comme une violation des
droits de l'homme et le droit de toutes les familles d'agriculteurs de disposer
de la terre pour vivre dans la dignité ;
CONVAINCUS que ce phénomène
doit être arrêté et que cela nécessite la construction d'alliances, de réseaux
et des efforts concertés par les collectivités locales, la société civile, les organisations
internationales et les organisations confessionnelles, ainsi que les
gouvernements ;
PAR
LA PRESENTE, NOUS
EXIGEONS DE NOS GOUVERNEMENTS DE
1. garantir la reconnaissance légale et la protection des droits coutumiers de la population relatifs à la terre et aux ressources naturelles et d’assurer un accès équitable à la terre pour les familles d'agriculteurs, les pasteurs et les communautés autochtones ;
2. faciliter les consultations préalables et transparentes
des communautés locales pour tous les projets qui affectent leurs moyens de
subsistance comme le requièrent les directives de l'Union africaine pour la
politique foncière ;
3. respecter, protéger et remplir ses obligations à
l’égard du droit international des droits de l'homme, en particulier en vertu
de la Déclaration universelle des droits de l'homme (article 8), de la
Convention des Nations Unies relative aux droits économiques, sociaux et
culturels (articles 1,2,11), du Pacte international relatif aux droits civils
et droits politiques (articles 1,2) et de faire respecter ses obligations extraterritoriales
en vertu de ces traités;
4. rejeter la souscription générale aux différents
processus internationaux en cours (tels que les accords de partenariat économique
/ accords de libre-échange, principes sur les Investissements Agricoles Responsables
dirigés par la Banque mondiale, le Marché du Carbone), étant donné que ceux-ci
tendent à promouvoir les intérêts de l'agrobusiness, des industries extractives
et des spéculateurs au détriment des populations locales et des familles
d'agriculteurs ;
5. mettre en œuvre les recommandations de l'Evaluation Internationale
de l'Agriculture, de la Science, la Technologie pour le Développement (angl.: IAASTD),
qui propose une gamme complète d'options politiques pour réorienter les
systèmes alimentaires locaux et mondiaux vers plus d’équité sociale et de
durabilité ;
RECOMMANDONS A L'EGLISE DE
1. dénoncer les contrats de terres qui violent les droits
de l'homme comme actes illégaux et illégitimes ;
2. intégrer les questions foncières dans l'évangélisation,
avec l’apport de la théologie de la terre, et mettre en priorité les questions
foncières dans le travail pastoral, en particulier au niveau du travail de
Caritas et des Commissions Justice et Paix et à tous les niveaux ;
3. renforcer les liens et approfondir la confiance avec
les communautés locales à travers des consultations plus étroites, et soutenir
les communautés en difficulté ;
4. suivre attentivement la mise en œuvre de la Politique foncière
de l'Union Africaine et diffuser la mise en œuvre des propositions 22, 29 et 30
sur les terres de la
deuxième Assemblée du Synode des Évêques pour l'Afrique ;
INVITONS LES AUTRES CONFESSIONS RELIGIEUSES ET LES PERSONNES DE BONNE VOLONTE A
partager nos réflexions sur le droit à la terre et
partager leurs réflexions sur ces questions, et à défendre les droits des
communautés à la terre et à la nourriture ;
RECOMMANDONS AUX ORGANISATIONS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE DE
1. renforcer les consultations avec les
communautés locales afin de promouvoir les processus partant de la base pour
améliorer la compréhension des préoccupations des communautés par les Organisations
de société civile et donner plus de légitimité au travail de ces dernières ;
2. renforcer les liens entre les organisations de la
société civile du Sud et leurs homologues du Nord afin de soutenir les
communautés locales du Sud dans la lutte contre l'accaparement des terres, et mettre
en lumière les principaux défis de celles-ci ;
DEMANDONS AUX INSTITUTIONS INTERNATIONALES DE
soutenir les gouvernements et les organisations de la société civile qui visent à générer des réformes agraires alternatives en plaçant les droits des familles d'agriculteurs au centre et en promouvant des systèmes agricoles de type agro-écologique plus durables que les modèles agro-alimentaires actuels ;
NOUS NOUS ENGAGEONS
A
1. dénoncer et condamner le mythe selon lequel il existe des
terres en Afrique «non utilisées» ou «sans propriétaire», ainsi que la rhétorique
du « gagnant-gagnant » ;
2. créer des
alliances et des réseaux qui nous permettront de développer des stratégies de
communications et utiliser des moyens médiatiques pour faire connaître à la fois les réussites et les
défis et les luttes des communautés locales ;
3. faire pression sur les
gouvernements pour qu’ils accordent une reconnaissance légale des droits
fonciers coutumiers des communautés locales et mettent en œuvre des programmes
qui facilitent l’accès de ces dernières à la terre ;
4. promouvoir l'agriculture familiale durable et le
renforcement des systèmes alimentaires locaux conformément aux recommandations
de l'IAASTD ;
5. CONTINUER LA LUTTE DE SORTE QUE L'AFRIQUE NE SOIT JAMAIS CONFRONTEE A UN GENOCIDE CAUSE PAR L'ACCAPAREMENT DES TERRES !
[1] Conscients des contextes très différents en milieu rural, nous utilisons le terme «communautés locales» pour désigner les petits agriculteurs et l’agriculture familiale, les éleveurs, les pêcheurs et les groupes autochtones.