ACTA et les conséquences pour l’Afrique

L'Union Européenne négocie, depuis 2007, un accord sur le commerce de la contrefaçon (ACTA) avec l'Australie, le Canada, le Japon, la Corée, le Mexique, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Suisse et les Etats-Unis. L'ACTA a été conçu comme un accord plurilatéral qui serait créé en dehors des institutions, comme l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) et l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) où les critères relatifs aux normes de la propriété intellectuelle sont généralement établis. A ce jour, il y a eu déjà sept phases de négociations et une huitième est prévue en Nouvelle-Zélande en avril prochain. La Commission désire la conclusion des négociations pour la fin 2010. Les lobbyistes du monde des affaires soutiennent vigoureusement les négociations de l'ACTA.
Un silence sans précédent entoure les négociations de l'ACTA et ceci semble vouloir empêcher une fuite vers l'opinion publique. Les négociateurs se sont mis d'accord sur une clause de confidentialité pour garder le secret au cours des négociations. Tout ce que la Commission Européenne a bien voulu dévoiler à la société civile se résume en généralités brèves qui ne permettent aucune étude plus fouillée des implications de l'accord. Cet accord veut établir entre les participants des normes internationales renforcées sur la propriété intellectuelle. L'Afrique n'est pas à la table des négociations et l'accord ne sera applicable que pour les seuls pays signataires. On peut se demander à premier abord pourquoi on parle de l'ACTA dans ce dossier. Il faut savoir que si l'ACTA devient réalité, cela aura des conséquences fâcheuses et très étendues aussi pour l'Afrique. Cet article veut donner l'alerte rouge sur les dangers potentiels de l'ACTA.
Le contenu de l'ACTA
Comme on l'a déjà signalé, les détails des négociations de l'ACTA sont tenus secrets. D'après les communications rendues publiques par la Commission, l'ACTA couvrira les aspects énumérés ci-dessous :
La coopération internationale : cette coopération entre partenaires inclut le partage des informations et de la coopération entre les autorités chargées du respect de la loi et ce, en incluant les Douanes et autres agences compétentes ;
Le durcissement des pratiques qui promeuvent une protection forte de la propriété intellectuelle en coordination avec les détenteurs de droit et les partenaires commerciaux. Ces « pratiques optimales » devraient soutenir la mise en application d'outils légaux de poids. Les lieux possibles d'action incluent des groupes formels ou informels publics et privés de conseillers, le renforcement de l' « expertise » dans des groupes de spécialistes de la propriété intellectuelle dans le cadre du renforcement des structures légales pour pouvoir traiter avec efficacité les cas relatifs au droit de la propriété intellectuelle (DPI).
Un cadre légal pour accorder plus de compétence aux agences légales, au pouvoir judiciaire, aux citoyens privés pour amener en justice les fabricants de contrefaçon et les pirates. Les lieux possibles d'action incluent des mesures frontalières, un renforcement des droits au civil et au pénal.
L'Union Européenne et les autres partenaires dans ces négociations ne désirent malheureusement pas informer l'opinion publique générale des détails de la mise en application de cet accord ni de son fonctionnement dans la pratique.
L'Afrique et l'ACTA
La position officielle de la Commission pour les pays qui ne prennent pas part aux négociations est celle-ci : Les pays qui ne font pas partie des négociations et ne vont donc pas signer l'accord ne seront évidemment pas liés par lui. L'ACTA ne veut pas isoler des pays ou pointer le doigt devant leurs efforts pour la mise en vigueur. Les pays engagés dans cette initiative partagent une vision commune d'une voie plus stricte dans la lutte contre les défis de la piraterie et des contrefaçons actuelles. [1]
Comme on l'a écrit plus haut, l'Afrique n'est pas directement tenue d'accepter les mesures venant de l'ACTA, mais elle en ressentira l'impact. L'UE poursuit pour le moment un programme agressif dans les accords commerciaux qu'elle négocie avec des tiers, et ceci concerne les Accords de Partenariat Economique (APE) qu'elle mène avec l'Afrique. Cette volonté d'inclure les normes des DPI fait partie prenante de la stratégie Global Europe de l'UE[2]. Les auteurs d'un article publié récemment par le Yale Journal of International Law Online, parlent de la menace pour les gouvernements des pays en développement, qui ne participent pas aux négociations, de voir le champ de manœuvre de leur politique nationale réduite par l'ACTA puisque les normes de cet accord risquent d'être une exigence dans les futurs accords bilatéraux.[3] Ceci signifierait entre autres, pour l'Afrique, une difficulté accrue ou l'impossibilité d'avoir accès aux médicaments vitaux, un accès beaucoup plus compliqué aux technologies, facteur indispensable pour le développement économique.
D'après la Commission, l'ACTA respectera la Déclaration sur les accords ADPIC et la Santé publique [4] mais les sources indépendantes d'information sont dans l'impossibilité de vérifier ceci. Les mesures de renforcement prévues dans l'ACTA créeront un blocage par les agences de douane du transport des médicaments génériques vers l'Afrique. OXFAM a exprimé sa crainte du dommage que l'ACTA fera aux pays en développement et qui détruira ainsi l'équilibre entre la protection de la propriété intellectuelle et la nécessité de fournir à tous des médicaments à un prix abordable.
L'UE est déjà bien engagée dans des activités inquiétantes pour l'accès aux médicaments. L'UE finance l'avant-projet controversé du Conterfeit Goods Bill (Amendement pour les marchandises contrefaites) de l'Ouganda, une loi qui menace l'accès aux médicaments génériques vitaux dans ce pays d'Afrique orientale à faible revenu. Environ 90 pour cent des médicaments employés par les services de santé en Ouganda sont importés et 93 pour cent sont des génériques.
Harvey Rouse, chef de la section Politique et Commerce au sein de la délégation de l'UE en Ouganda, a confirmé qu'une partie de l'accord des cinq millions d'euros entrés en Ouganda en juillet 2009 avaient financé l'élaboration de la loi contre la contrefaçon. La loi définit cette contrefaçon de manière si complète qu'elle pénalise la production et l'importation de médicaments génériques et empêche ainsi des millions de personnes d'accéder à des médicaments légitimes à prix abordable et ce dans un pays qui lutte contre le VIH, le SIDA et la malaria. La loi ougandaise, comme celle que le Kenya a adoptée récemment et celle que la communauté d'Afrique orientale pourrait bientôt ériger, ne fait aucune distinction entre médicaments génériques et contrefaçons. [5]
ACTA présente aussi un autre risque pour l'Afrique, c'est de priver les africains de l'accès à la technologie, qu'ils pourraient ensuite développer et adapter selon leurs besoins spécifiques. Si les normes de la PI deviennent plus strictes, la créativité et l'innovation, bases du développement des pays plus pauvres seront étranglées. Le prix Nobel, Joseph Stiglitz a déjà dit que ce dont les pays en développement ont besoin, c'est d'évoluer économiquement et donc de DPI beaucoup moins contraignants et non de mesures encore plus restrictives pour la PI. [6] Il est donc crucial de suivre attentivement la poursuite des négociations de l'ACTA et de faire pression sur la Commission européenne pour qu'elle rende publics les textes des négociations actuelles.
Le Parlement européen et l'ACTA
Le Parlement Européen n'est heureusement pas content sur la manière dont les négociations ACTA sont menées. Les parlementaires n'ont reçu de la part de la Commission Européenne, qu'une information limitée et n'ont pas pu prendre connaissance du texte de l'avant-projet. Pourtant, d'après le traité de Lisbonne, entré en vigueur en décembre 2009, le Parlement a le droit de recevoir une information exhaustive au cours de chaque phase des négociations et une fois celles-ci conclues, d'approuver l'ACTA pour qu'il puisse devenir une loi.
Les parlementaires, membres du Comité pour le commerce ont été peu satisfaits lors d'une audition de la Commission en février 2010 et ont donc, en mars, tenu un débat sur ce sujet en assemblée plénière. Ils ont approuvé, par une large majorité, une résolution qui déclare que le Parlement exprime son inquiétude quant au manque de transparence dans la procédure suivie lors des négociations de l'ACTA, manière de procédé en conflit avec la lettre et l'esprit du TFEU ; il est fort inquiet par l'absence d'assise légale préliminaire à toute négociation de l'ACTA et par l'ignorance d'une volonté d'obtenir l'approbation parlementaire pour le mandat relatif aux négociations.
La résolution demande à la commission et au conseil d'autoriser au grand public et aux parlements l'accès aux textes et aux comptes-rendus des négociations ACTA et de s'engager avec les partenaires des négociations ACTA à empêcher que de futures négociations soient confidentielles. La résolution exige que la Commission fasse des propositions avant les prochaines négociations en Nouvelle-Zélande en avril 2010 et que la question de la transparence soit mise au programme de cette rencontre ainsi que la référence, immédiatement après les conclusions de la rencontre, du résultat des négociations au Parlement.
La résolution déplore aussi le choix calculé des parties de ne pas négocier par le biais d'institutions internationales reconnues, ainsi le WIPO et l'OMC, qui ont établi des grilles pour l'information et la consultation auprès du public.
La résolution va jusqu'à menacer d'une action légale en affirmant que sauf si le Parlement est informé sans délai et de manière exhaustive au cours de toutes les phases des négociations, il se réserve le droit de prendre l' action qui s'indique, même de porter le cas devant la cour de justice en vue de la sauvegarde de ses prérogatives.[7]
Thomas Lazzeri
[1] Commission européenne, 2008, ACTA Factsheet
[2] La stratégie Global Europe est un document de la commission européenne qui établit le programme politique qui va refléter les priorités stratégiques de l'UE.
[3] E. Katz and G. Hinze, 2009, 'The Impact of the Anti-Counterfeiting Trade Agreement on the Knowledge Economy: The Accountability of the Office of the U.S. Trade Representative for the Creation of IP Enforcement Norms Through Executive Trade Agreements', dans The Yale Journal of International Law Online, vol. 35.
[4] La Déclaration sur les accords ADPIC vient de l'OMC qui affirme que les règles pour la PI doivent être interprêtées avec souplesse pour garantir la protection légale de la santé publique et reconnaît explicitement la gravité des problèmes de santé publique auxquels sont confrontés beaucoup de pays en développement et les pays les moins développés, surtout ceux qui sont liés au VIH/SIDA, la tuberculose, la malaria et autres épidémies.
[5] IPS, 2010, Uganda: EU supports law threatening access to medicines.
[6] Stiglitz, J., 2006, Making Globalization Work, W. W. Norton
[7] Joint Resolution RC7-0154/2010 European Parliament resolution of 10 March 2010 on the transparency and state of play of the ACTA negotiations