Ce qui se cache derrière la libéralisation des services

Un service est l’équivalent non matériel d’un bien. L’octroi du service est une activité économique qui n’aboutit pas à une propriété. Le fait d’aller à l’école,  de  visites médicales, d’éteindre une lampe, de verser un verre d’eau claire sont tous des éléments  de la vie des individus qui sont liés inextricablement  à l’usage et la régulation des services. Voici quelques exemples de services : les services publics (électricité, gaz, télécommunications, eau, traitement des déchets), l’éducation (écoles et universités, musées, bibliothèques), soins de santé (hôpitaux, médecins, infirmières et personnel soignant), transport (bus, trains, avions), administration (consultance, fonctionnaires), information (site internet, journalisme, banque de données, traduction), nettoyage, entretien et réparations (mécaniciens, jardiniers, concierges, techniciens de surface), construction (électriciens, plombiers, menuisiers), règlements des conflits (hommes de loi, négociateurs, diplomates, tribunaux et cours, prisons, armée, police), loisirs (tourisme, cinéma et théâtre, sports, télévision).

Au cours des XIXe et XXe siècles, la pression sociale obtint que beaucoup de services de base (eau, électricité, transport, gaz) deviennent des « services publics » et soient donc accessibles à tous. Beaucoup de compagnies qui distribuaient ces services étaient des entreprises publiques, propriété de l’état ou d’autorités locales. D’autres comme les télécommunications et l’électricité recevaient un monopole (l’entreprise contrôlait un service particulier et déterminait en quels termes le client pouvait y accéder). La libéralisation des services, partie prenante de la globalisation, a eu deux impacts: les entreprises publiques ont été privatisées et la fin des licences exclusives sur certains services, tenues par des monopoles. La mouvance aujourd’hui va vers une reconnaissance des services comme « activité économique » soumise aux lois du marché libre.

C’est à cause de la tendance à considérer les services comme du commerce que les services sont apparus à la table des négociations de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Les négociateurs des pays occidentaux veulent renforcer l’accord général sur le commerce et les services (GATS) de l’OMC qui verra la libéralisation du commerce dans les services.

D’après le GATS les « Services » incluent « n’importe quel service dans n’importe quel secteur ». En théorie, les services publics fondamentaux – tels l’accès aux soins de santé, à l’éducation et à l’eau  - sont exclus de ces accords mais de tels services pourraient tomber dans le cadre du GATS s’ils sont produits par plusieurs agents en compétition ou s’ils sont produits sur « base commerciale ». La pression accrue sur les pays pour la privatisation des services dans les secteurs traditionnellement gérés par le gouvernement ainsi que l’ouverture de leurs marchés à des compagnies étrangères pourrait faire en sorte que les droits à la santé et à l’éducation pourraient être privatisés. Ceci s’avère dangereux pour tout le monde car les services de base tombent alors sous l’emprise du profit et cela limite la possibilité d’un pays à les réguler pour le meilleur intérêt de ses citoyens.

Les pays qui poussent pour l’extension du commerce mondial des services par le biais du GATS sont principalement les pays riches et puissants qui abritent les compagnies multinationales et ont l’ambition d’étendre l’offre de leurs services dans les pays en développement. Les pays du Nord prennent avantage de leur force pour pousser le GATS vers des négociations sans équilibre. Ces derniers mois, leur pression politique à l’OMC pour la finalisation des accords devient très forte. La crainte d’une crise financière mondiale augmente leur désir d’accélérer la fin des négociations et de signer un nouvel accord  GATS dans l’espoir de reprendre le contrôle des économies internationales.

Face à cette réalité, il est nécessaire de s’assurer que ces accords ne sont pas faits trop hâtivement et qu’ils prennent totalement en considération les impacts des droits humains fondamentaux dans les nouvelles politiques. Il est urgent que les gouvernements et la société civile interviennent pour s’assurer que les négociateurs comprennent quel impact négatif sur la santé, l’éducation, l’accès à l’eau et à l’électricité ces accords pourraient avoir, avant d’en arriver à un engagement pour un nouvel accord GATS au sein de l’OMC.

La recherche sur l’impact qu’aura la libéralisation du commerce des services sur la population et dans les pays en développement est peu fournie. A ceci s’ajoute le fait que les décideurs politiques tendent à placer leur souci des politiques du commerce global au-dessus de leur volonté de s’assurer que tous les citoyens – et en particulier les plus marginalisés – ont accès à un logement, à la nourriture, aux médicaments et à de l’eau potable. Tout ceci prépare la voie pour des accords GATS qui minent les droits humains et sociaux et cela surtout dans les pays en développement.

La privatisation des services publics est très tentante car les gouvernements font du profit en vendant des entreprises propriété de l’état. La hausse des prix et le fait que les plus pauvres sont maintenant privés d’accès à l’eau potable à un prix abordable sont des conséquences de la privatisation de l’eau à Accra (Ghana), en Afrique du Sud et dans beaucoup d’autres pays africains. L’échec, en Tanzanie, de la privatisation de l’eau, supposée être un modèle pour les pays voisins, lance la question de la privatisation d’autres services publics. La grogne contre les monopoles de privatisation de l’eau augmente et des manifestations ont eu lieu à Accra et Dar-es-Salaam entre autres.

La libéralisation des services à des fournisseurs étrangers dans les pays en développement peut conduire à :
* geler le développement des services domestiques ou régionaux,
* cibler les clients les plus riches,
* réduire l’accès pour les pauvres et les utilisateurs éloignés à cause de la hausse du coût et ceci creuse davantage le fossé entre riches et pauvres.
La libéralisation des services dans le domaine financier peut provoquer le manque d’accès pour les fermiers, les petites entreprises domestiques au crédit et à d’autres services financiers. C’est déjà le cas dans différents pays africains. Il faut encore ajouter à cela le danger que de grands pourvoyeurs étrangers de services ne fassent pas appel aux petits producteurs locaux comme fournisseurs. Le résultat sera que les opérations relatives aux services seront dépendantes de compagnies étrangères qui visent le profit de leurs actionnaires avant le bien-être des populations. Et ceci fait fuir les bénéfices à l’étranger au lieu de leur réinvestissement dans le pays.

Il existe aujourd’hui une tendance qui déplace les industries vers les pays en développement tandis que les pays plus riches concentrent leur économie sur les services, moins polluants et beaucoup plus avantageux. L’octroi de services est lié aux règles de la propriété intellectuelle et aux nouvelles technologies, domaine que les pays occidentaux se réservent dans leur nouvelle tentative de contrôle sur les pays en développement. C’est une des raisons pour lesquelles les pays du Nord avancent dans la ligne des accords bilatéraux où la libéralisation des services et les règles de propriété intellectuelle liée au commerce vont bien au-delà des exigences de l’OMC. Dans les accords de partenariat économique (APE) entre l’UE et les régions africaines, les exigences de l’UE pour la libéralisation des services sont bien plus strictes que celles de l’OMC, comme le sont aussi les règles sur la propriété intellectuelle.  Ces politiques de libéralisation vont profiter  surtout aux grosses compagnies de l’UE et vont en même temps limiter la manière dont les gouvernements peuvent réguler leur secteur des services. Les impacts sociaux et économiques seront néfastes et négatifs dans les pays en développement.

Begoña Iñarra

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