Les armes vendues par l'Occident tuent dans les pays arabes

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Par Begoña Iñarra

Les armes tuent et leur commerce n'entre pas dans la catégorie des "affaires ordinaires"

Dans la plupart des pays arabes où les révoltes ont eu lieu, des forces de sécurité ont attaqué des manifestants non armés, en tuant beaucoup d'entre eux et en en blessant un grand nombre. En Libye, des avions militaires et des tanks sont utilisés pour bombarder des civils. La télévision a montré des forces de sécurité et des civils qui utilisaient des fusils belges. D'où viennent ces armes utilisées par les régimes en place pour attaquer, tuer et blesser des manifestants pacifiques?

 

Beaucoup de pays qui s'intitulent "défenseurs" de la démocratie ont, non seulement soutenu ces régimes dictatoriaux, mais ils ont aussi fait des affaires avec eux et leur ont vendu une grande quantité d'armes. La séparation entre éthique et valeurs d'un côté, et intérêts économiques et politiques de l'autre, est une des principales "incohérences" de ces pays. Lorsque les deux côtés entrent en conflit, dans la plupart des cas, les "intérêts commerciaux et politiques" l'emportent sur les normes éthiques. C'est encore plus scandaleux et dangereux dans le cas de la vente d'armes. Les affaires et l'emploi peuvent être importants pour les pays où les armes sont produites, mais l'éthique est aussi significative pour beaucoup de leurs citoyens.

 

Les gouvernements sont responsables de la vente d'armes. Pour exporter légalement des armes et des biens et services en lien avec la défense, d'un pays A vers un pays B, la société exportatrice a besoin d'une licence d'exportation du gouvernement du pays exportateur A. L'organisme gouvernemental responsable d'émettre une licence d'exportation d'armes décide si le pays B satisfait à une série de mesures de sécurité. Il faut considérer ce que les forces de sécurité peuvent faire avec ces armes. Dans certains cas, des "conditions" sont attachées aux contrats, mais, en réalité, une fois que les armes sont dans un pays, le vendeur n'a pas les moyens de contrôler leur usage ou leur destination.

 

Le gouvernement français a continué à autoriser des exportations vers la Tunisie d'équipements utilisés pour maintenir l'ordre public, d'explosifs, surtout de grenades à gaz, même après le soulèvement. Mais au début de février, la France a suspendu la vente à l'Egypte d'armes et d'équipements anti-émeutes pour la police.

1.1. Importations d'armes dans les états arabes

 

Lors de ces protestations, révoltes ou révolutions, la police et l'armée jouent un rôle important, soit pour lutter contre les protestataires, soit pour défendre la population. La  police les a attaqués en Tunisie et en Egypte, tandis que l'armée semble avoir été du côté du peuple. Dans d'autres pays, la police et l'armée ont été utilisées pour combattre la révolte, avec des conséquences dramatiques et de grands nombres de décès et de blessures.

 

Bien qu'au cours des dernières années le danger d'une guerre entre voisins ait diminué en Afrique du Nord, les pays de cette région ont été d'excellents clients pour les producteurs d'armes. Durant la période de 2005 à 2009, l'Algérie, le Maroc, la Libye et, dans une moindre mesure, l'Egypte et la Tunisie ont été les plus grands importateurs d'armes en Afrique, avec l'Algérie en tête. Chacun savait ce que Kadafi avait fait dans le passé et ce qu'il pourrait faire dans le futur. Mais depuis 2003, lorsqu'il a été "réintégré" dans la communauté internationale, à cause du pétrole libyen et des affaires qui en résultaient, beaucoup de gouvernements ont décidé de traiter avec lui et ont accordé des licences pour des armes destinées à la Libye.

 

1.2. La Libye, un grand marché d'armes

La Libye domine le Maghreb en termes de nombres d'armes, mais elle manque de capacité militaire significative à cause de ses effectifs actifs limités, d'une formation insuffisante et du peu de compétences techniques, d'un faible système de soutien et du peu d'infrastructure, et d'une base de mobilisation mal organisée. Ceci explique que Kadafi emploie des mercenaires.

 

Aujourd'hui, face à l'usage d'armes contre la population de Libye, la plupart des gouvernements exportateurs jouent "l'innocence". Mais les faits sont là.

 

ARMES ACHETEES              PAR LA LIBYE

FOURNISSEURS

Millions
de Euros

Allemagne

43,2 

Belgique

22,4 

Bulgarie

3,7 

Etats-Unis

70,0 

France

185,5 

Italie

191,3 

Malte

79,7 

Portugal

19,1 

Royaume-Uni

20,7 

TOTAUX

635,6 

Bien que, d'après le rapport de SIPRI, la Libye n'ait dépensé que 17millions de dollars américains de 2005 à 2009: France (1 million), Italie (16 millions), avec l'Italie vendant six hélicoptères et la France signant un contrat pour réviser les avions de combat Mirage de la Libye, la dépense réelle est beaucoup plus forte.

 

D'après le rapport de 2009 de l'Union Européenne (UE) sur les exportations d'armes, rien qu'en 2009, des pays de l'UE ont accordé des licences pour la Libye d'un montant de 687,6 millions d'euros. L'Italie a accordé de licences pour l'aviation militaire, y compris des avions de combat, et l'équipement associé. La France a vendu 100 missiles antichars. Le Portugal a donné de permis pour des drones. Malte a envoyé au régime des armes légères. La Belgique a vendu des fusils et des produits chimiques anti-personnel utilisés pour réprimer les émeutes. L'Italie a vendu 6 hélicoptères légers et des détonateurs de bombes, y compris pour des appareils de type improvisé. L’Allemagne a procuré des appareils pour  le brouillage électronique.

 

Les armes et munitions livrées par la Belgique à la Libye en 2009 provenaient de Wallonie et de Flandre. Celles de la Fabrique Nationale à Herstal en Wallonie valaient 11,5 millions d'euros et consistaient en centaines de fusils d'assaut, fusils pour sous-marins, pistolets, mitraillettes légères, grenades pour fusils, fusils à air comprimé qui peuvent être utilisés pour arrêter des personnes ou groupes hostiles mais non armés, et 1 milliard 1,134 millions de séries de munitions parmi d'autres choses. Ces armes furent livrées à l'armée et aux forces de sécurité. La Flandre a vendu du matériel très sophistiqué.

 

En plus, en 2009, les Etats-Unis ont vendu 8 avions Hercules pour 70 millions de dollars. La Roumanie a vendu à Kadafi 100.000 Kalashnikovs en 2009.

 

En 2009 la Russie a vendu 96 missiles antinavires pour 100 millions de dollars et janvier 2010, Moscou a conclu une transaction avec la Libye pour vendre des armes russes d'une valeur d'un milliard huit cent millions de dollars. Plus d'un milliard de dollars de la transaction concernaient des avions de combat tels que SU-35, SU-30 et Yak-130. La transaction incluait aussi deux divisions de systèmes de défense aérienne et plusieurs douzaines de tanks russes pour moderniser les anciens tanks libyens, ainsi que d'autres armes. 

 

Même l'Afrique du Sud a fourni à la Libye, fin 2010, plus de 100 fusils de tireurs d'élite et plus de 50.000 séries de munitions 40mm, de multiples lance-grenades, des avions Hercules C130 et des transporteurs de troupes blindés.

 

La Libye était un des 53 pays invités par la société d’armement BAE[1]-UK au salon mondial DSEi le plus important en matière de défense et sécurité de 2009 à Londres.  En 2005 BAE-UK a gagné certaines des dépenses militaires de Libye – prévues pour s'élever à 730 millions de dollars pour 2010.

 

Le tableau qui suit représente les dépenses en armes des pays arabes et les pays fournissant ces armes, ainsi que le total des dépenses et des recettes des exportations.

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ARMES ACHETEES PAR LES PAYS ARABES DE 2005 A 2009: VALEURS EN MILLIONS DE DOLLARS

FOURNISSEURS

Libye

Algérie

Ar.séoudite

Bahrein

Emirats AU

Egypte

Jordanie

Afrique du S.

 

18,0 

10,0 

 

11,0 

 

31,0 

Allemagne

 

 

1,0 

 

61,0 

 

8,0 

Australie

 

 

 

 

 

 

1,0 

Autriche

 

 

 

 

8,0 

 

 

Belgique

 

 

7,0 

16,0 

 

 

206,0 

Canada 

 

12,0 

26,0 

 

 

 

 

Chine

 

61,0 

73,0 

 

 

85,0 

8,0 

Emirats ar.

 

 

 

 

 

 

9,0 

Espagne

 

78,0 

 

 

 

 

7,0 

Etats-Unis

70,0 

 

455,0 

98,0 

3.880,0 

1.862,0 

228,0 

Finlande

 

 

 

 

2,0 

68,0 

 

France 

1,0 

57,0 

42,0 

 

2.309,0 

 

7,0 

Italie

16,0 

 

15,0 

 

30,0 

 

 

Jordanie

 

 

 

 

 

 

 

Libye

 

 

 

 

24,0 

 

 

Montenegro 

 

 

 

 

 

180,0 

 

Oman 

 

 

 

1,0 

 

 

 

Pakistan 

 

 

3,0 

 

 

 

 

Pays-Bas

 

 

 

 

 

161,0 

103,0 

Roumanie

 

 

 

 

40,0 

 

 

Royaume-Uni

730,0 

18,0 

474,0 

60,0 

 

 

 

Russie

100,0 

3.119,0 

 

 

124,0 

128,0 

12,0 

Singapour

 

 

 

 

2,0 

 

 

Suède

 

 

 

 

1,0 

 

 

Suisse

 

 

30,0 

 

 

 

 

Turquie

 

 

2,0 

4,0 

23,0 

 

 

Ukraine 

 

31,0 

 

 

 

30,0 

11,0 

TOTAUX

917,0 

3.394,0 

1.138,0 

179,0 

6.515,0 

2.514,0 

631,0 

a

ARMES ACHETEES PAR LES PAYS ARABES DE 2005 A 2009: VALEURS EN MILLIONS DE DOLLARS

FOURNISSEURS

Koweit

Liban

Maroc

Oman 

Tunisie

Qatar 

Yemen 

TOTAUX

Afrique du S.

 

 

 

 

 

 

 

70,0 

Allemagne

 

 

 

 

168,0 

 

 

238,0 

Australie

 

 

 

 

 

 

50,0 

51,0 

Autriche

 

 

 

 

 

 

 

8,0 

Belgique

 

7,0 

17,0 

 

 

 

 

253,0 

Canada 

 

 

 

4,0 

 

 

 

42,0 

Chine

 

 

 

 

 

 

 

227,0 

Emirats ar.

 

9,0 

 

7,0 

 

 

 

25,0 

Espagne

 

 

 

 

 

 

 

85,0 

Etats-Unis

286,0 

13,0 

16,0 

478,0 

18,0 

280,0 

7,0 

7.691,0 

Finlande

 

 

 

 

 

 

 

70,0 

France 

9,0 

 

 

93,0 

 

 

 

2.518,0 

Italie

20,0 

 

 

 

 

5,0 

83,0 

169,0 

Jordanie

 

28,0 

 

 

 

 

 

28,0 

Libye

 

 

 

 

 

 

 

24,0 

Montenegro 

 

 

 

 

 

 

 

180,0 

Oman

 

 

 

 

 

 

 

1,0 

Pakistan

 

 

 

 

 

 

 

3,0 

Pays-Bas

 

 

 

 

 

 

 

264,0 

Roumanie

 

 

 

 

 

 

 

40,0 

Royaume-Uni

 

 

 

25,0 

 

 

 

1.307,0 

Russie

 

 

171,0 

 

 

 

235,0 

3.889,0 

Singapour

 

 

 

 

 

 

 

2,0 

Suède

 

 

 

 

 

 

 

1,0 

Suisse

 

 

16,0 

 

 

 

 

46,0 

Turquie

 

 

 

 

 

 

 

29,0 

Ukraine

 

 

 

 

 

 

197,0 

269,0 

TOTAUX

315,0 

57,0 

220,0 

607,0 

186,0 

285,0 

572,0 

17.530,0 

a

1.3. Un certain contrôle exercé par les pays occidentaux

Après la dure réponse de Kadafi aux protestations, la plupart des gouvernements ont décidé une révision ‘immédiate’ des licences d'exportation, à cause du souci qu'elles pourraient être utilisées par le régime de Kadafi pour lutter contre les protestataires.

 

En réponse à des plaintes d'ONG pour la vente d'armes de la Belgique à la Libye, en 2009 la Belgique a renversé une licence pour la FN de Herstal pour la fourniture d'armes légères d'une valeur de 11,5 millions d'euros – comprenant 367 fusils, 367 pistolets, 50 pistolets "de luxe" et 22.000 grenades - pour l'armée d'élite de Kadafi et les unités de la police.

 

En février 2010, le Royaume-Uni a révoqué une série de licences d'exportation pour la Libye et Bahrein, comprenant des gaz lacrymogènes et des composants de fusils, suite à la violence dans les deux pays. Déjà en 2008, le Royaume-Uni avait bloqué l'envoi par "York Guns" de 130,000 Kalashnikovs vers la Libye parce qu'il craignait que ces armes soient revendues à des seigneurs de guerre au Soudan.

 

Cependant, malgré les décisions tardives, la vente d'armes figure toujours à l'agenda de la plupart des gouvernements, même à des "pays problématiques". Le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont été les deux pays à rendre d'abord visite aux nouveaux dirigeants, mais leur intérêt pose des questions… David Cameron, Premier Ministre du Royaume-Uni, dans son récent tour du Moyen-Orient, était accompagné par 20 hommes d'affaires, dont 8 étaient des fabricants d'armes, de sociétés de la défense et de l'espace aérien  – BAE, Thales et d'autres. Le fait que le Royaume-Uni est prêt à continuer à vendre des armes à des états non démocratiques du Golfe, malgré le cri des peuples de la région arabe pour la démocratie et le respect des droits humains, montre que le Royaume-Uni s'inquiète plus de ses affaires que des droits humains. La raison donnée par Cameron "l'équipement vendu est utilisé pour défendre les frontières du pays" n'est pas valide aujourd'hui.

              


[1] BAE Systems est une société mondiale qui vend des systèmes d’armements aérospatiaux  dans l’air, sur terre, sur mer et dans l’espace.

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