Le barrage Gibe III en Ethiopie

En août, la Banque européenne d'investissement (BEI) a annoncé qu'elle n'envisageait plus le financement du barrage Gibe III, controversé, en Ethiopie. Malheureusement, cette décision n'est pas un signe que la Banque a finalement accordé davantage d'attention à l'impact social et environnemental des projets qu'elle finance, mais elle a été prise parce que le gouvernement éthiopien ne demandait plus le soutien financier de la BEI pour le projet.[1] En fait, le gouvernement éthiopien est confiant que le projet sera financé par la Banque industrielle et commerciale de Chine (ICBC).
Le barrage Gibe III, une menace environnementale
Le barrage Gibe III est le plus grand projet d'investissement de l'Ethiopie. Cependant sa préparation fut défectueuse. Dans sa hâte pour le construire, le gouvernement éthiopien a négligé d'évaluer convenablement presque chaque aspect du projet, violant les lois domestiques et les standards internationaux. Le gouvernement cherche maintenant un financement international pour terminer le barrage Gibe III. S'il devait être terminé, ce serait probablement un désastre environnemental et social pour toute la région.
En juillet 2006, le gouvernement d'Ethiopie a confié directement le contrat de planification, acquisition et construction (EPC) pour Gibe III, d'une valeur de 1.700.000.000 dollars, à Salini Costruttori, une société italienne, sans aucune demande de devis compétitive. Salini a démarré le travail de construction du barrage Gibe III à la fin de 2006, et il en a déjà construit un tiers. Afin de continuer le travail, on a besoin maintenant de ressources financières complémentaires.
En juillet 2008, l'Autorité éthiopienne de protection de l'environnement a approuvé les documents d'évaluation de l'impact environnemental et social de Gibe III (ESIA). Comme cette Autorité n'est malheureusement pas indépendante de la volonté du gouvernement, cette décision a peu contribué à écarter les critiques et les craintes. Ces documents ont été critiqués à cause de leur peu de préparation et de leur publication tardive, deux ans après le début de la construction, en violation flagrante de la loi environnementale de l'Ethiopie, qui requiert qu'une évaluation de l'impact soit approuvée avant la construction.[2] Une étude indépendante par "The African Resources Working Group" (ARWG) (le groupe de travail des ressources africaines) dépeint au contraire une image beaucoup plus rude de l'impact du barrage.[3]
Le site du barrage se trouve dans le bassin supérieur du fleuve Omo. Le fleuve Omo, dans sa partie inférieure au sud-ouest de l'Ethiopie, abrite huit tribus différentes dont la population avoisine 200.000 personnes. Le fleuve représente la vie pour ces peuplades. De plus, la région est reconnue par l'UNESCO comme un site du patrimoine mondial. Diverses organisations régionales et internationales croient que le barrage Gibe III Dam aura des conséquences catastrophiques pour les tribus du fleuve Omo, qui sont déjà presque en marge de la vie dans cette région sèche et aride. Le barrage changerait énormément le cycle du flux du fleuve Omo, affectant les écosystèmes et les modes de vie, pour finir par détruire la sécurité alimentaire et l'économie locales. La diminution des ressources causée par le barrage risque d'aiguiser des conflits locaux entre différents groupes ethniques.
Dans son cours inférieur, le fleuve Omo mène au lac Turkana, qui soutient 300.000 autres personnes et une vie animale riche. Le barrage Gibe III risque de causer de graves problèmes hydrologiques au lac Turkana, qui reçoit jusqu'à 90% de son eau du fleuve Omo, car il est très probable qu'il réduira le flux disponible du fleuve vers le lac. Des centaines de familles de pêcheurs et de pasteurs seraient affectées si le fragile écosystème était pressé jusqu'à la limite de l'effondrement.
Ceux qui ont élaboré le projet n'ont pratiquement mis aucune information à la disposition du public en Ethiopie, laissant la société civile éthiopienne dans l'ignorance des risques potentiels du projet et de son impact. Il n'y a eu fondamentalement aucune consultation de la population locale, et les rares personnes qui ont été consultées ne l'ont été qu'après que la construction ait déjà commencé. La société civile locale est prudente pour exprimer sa protestation contre le barrage car elle craint des représailles du gouvernement.
En plus de la BEI, le gouvernement éthiopien a aussi demandé à la Banque africaine de développement (BAD) et au gouvernement italien de financer Gibe III. La Banque Mondiale a refusé de financer le projet. Le gouvernement italien envisage encore le financement de Gibe III, jusqu'à un montant de 250 millions. En 2004, la Coopération italienne au développement (CID) a offert 277 millions de dollars en aide, le plus grand crédit qu'il ait jamais accordé, pour le barrage Gibe II. L'opération controversée a suscité une enquête criminelle contre CID, mais elle s'est terminée en 2008 sans aucune action légale. Aucune décision de la part du gouvernement italien n'a encore été annoncée publiquement. En réponse à une lettre d'AEFJN, le gouvernement italien a assuré qu'il analysait la situation de près et que l'impact social et environnemental du projet jouerait un rôle fondamental lorsque la décision finale serait prise.[4] Salini Costruttori a plaidé proactivement à tous les niveaux du Ministère italien des affaires étrangères afin d'obtenir le prêt[5], tandis que plusieurs ONG ont exhorté le gouvernement italien à ne pas l'accorder.[6]
L'implication chinoise
Comme mentionné au début, la BEI s'est retirée du projet, car il semble que le gouvernement éthiopien a obtenu un soutien chinois pour le projet. A ce stade, on ne voit pas clairement comment une implication chinoise influencerait la décision du gouvernement italien et de la BAD. On ne voit pas clairement non plus si l'implication chinoise mènera au replacement de Salini. En tout cas, l'implication chinoise est un événement malheureux pour tous ceux qui s'opposent au barrage sous sa forme actuelle, car leur but n'était visiblement pas de remplacer des donateurs et investisseurs occidentaux par des Chinois, mais d'amener à un changement fondamental dans le projet. Il sera de loin plus difficile maintenant de plaider contre les donateurs chinois que contre les donateurs européens. Comme les Chinois n'ont jamais fait preuve d'intérêt pour l'impact social et environnemental des barrages dans leur propre pays, il est irréaliste d'espérer qu'ils le feraient pour un projet en Ethiopie.
Thomas Lazzeri
[1] Pour une analyse plus détaillée des activités douteuses de EIB en Afrique, voyez aussi 'Le rôle de la BEI en Afrique' dans Forum d'Action N. 51, décembre 2009, disponible à http http://www.aefjn.org/index.php/materiel-410/articles/le-role-de-la-bei-en-afrique.html
[2] International Rivers, 2009, FACT SHEET: GIBE III DAM, ETHIOPIA
[3] Africa Resources Working Group, 2009, A Commentary on the Environmental, Socioeconomic and Human Rights Impacts of the Proposed Gibe III Dam in the Lower Omo River Basin of Ethiopia (Groupe de travail sur les ressources en Afrique, 2009, Un commentaire sur les impacts environnementaux, socio-économiques et sur les droits humains du barrage proposé Gibe III dans le bassin du bas fleuve Omo d'Ethiopie)
[4] L'échange de lettres entre AEFJN et le gouvernement italien peut être trouvé, en italien, sur le site web d'AEFJN, sous http://www.aefjn.org/index.php/antenna-italy/articles/lettera-al-ministero-degli-esteri-a-riguardo-della-diga-gibe-3-in-etiopia.html
[5] CRBM, CEE, 2008, THE GILGEL GIBE AFFAIR. An analysis of the Gilbel Gibe hydroelectric projects in Ethiopia, (L'AFFAIRE GILGEL-GIBE. Une analyse des projets hydroélectriques Gilbel-Gibe en Ethiopie), p.21
[6] “La diga etiope Gibe III non è finanziabile”: lettera delle Ong italiane al ministro Frattini http://www.survival.it/notizie/6063