L'Initiative de l'UE pour les matières premières

La semaine dernière, la Commission Européenne a publié un nouveau rapport sur sa stratégie au sujet des matières premières. L'UE et ses états membres sont de plus en plus soucieux de se procurer l'accès à des matières premières pour les sociétés européennes. La montée de la Chine, mais aussi celle de l'Inde et du Brésil, ont déclenché les signaux d'alarme. C'est pourquoi la Commission a lancé son Initiative pour les matières premières en 2008. L'objet principal de l'Initiative était d'assurer l'accès de l'Europe aux matières premières dans des pays tiers. Le nouveau rapport considère les progrès réalisés par la mise en œuvre de l'initiative et regarde vers l'avenir. De nouveau l'objectif principal n'est pas de réduire la consommation de matières premières et de chercher des alternatives, mais d'assurer l'approvisionnement européen par la poursuite d'une 'diplomatie des matières premières'.

 

Comme l'UE doit compter sur l'importation de plusieurs matières premières cruciales à partir de pays tiers, la Commission s'intéresse spécialement à assurer les fournitures et à ôter les obstacles qui s'y opposent. En particulier la Commission souhaite améliorer la sécurité des approvisionnements de l'UE par des accords de commerce bilatéraux et multilatéraux. Dans le cas de l'Afrique, ceci se passe dans le contexte des négociations de l'Accord de Partenariat économique (APE). Les APE prévoient la suppression de tarifs d'exportation et de restrictions quantitatives sur les exportations, empêchant de facto les gouvernements africains d'imposer des limites et des restrictions à la quantité de matières premières exportées de leurs pays vers l'Europe.

 

Si la Commission arrive à ses fins, les APE contiendront aussi un chapitre sur les investissements, ce qui supprimerait alors les restrictions à la possibilité, pour les sociétés européennes, d'ouvrir des filiales en Afrique pour exploiter des matières premières. Afin d'assurer un flux constant de matières premières, la Commission entrera en liaison avec la Banque Européenne d'Investissement[1] et d'autres institutions européennes qui financent le développement pour '...faciliter la fourniture de matières premières' et elle souhaite étudier la possibilité d'augmenter les prêts à l'industrie minière.

 

Dans son rapport, la Commission vante l'exploitation minière comme une chance pour le développement africain, en ignorant qu'au cours des dernières décennies, l'exploitation minière en Afrique a été surtout une source de conflit et de destruction de l'environnement[2]. Dans son discours face à l'Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE à Kinshasa, même le Commissaire au Commerce Karel de Gucht a reconnu que "les industries extractives ont rarement semblé une bonne base pour la poursuite du développement industriel. Souvent, elles ont même accumulé ce que les économistes appellent la "malédiction des ressources" et, trop souvent, le fait que les économies en développement ont compté sur les matières premières s'est révélé un obstacle à leur développement."

 

Une ébauche initiale du document est même allée jusqu'à envisager la suspension totale ou partielle du Système de préférences généralisées[3] (SPG) pour les pays qui appliquent 'des restrictions injustifiées aux matières premières'. En Afrique, ceci se serait appliqué à ces pays qui ne sont pas les moins développés, qui ont refusé de signer un APE, comme le Congo-Brazzaville, le Gabon et le Nigeria. Heureusement, ceci a été supprimé de la version finale du texte.

 

Comme si tout ceci n'était pas assez mauvais, des sociétés européennes demandent toujours davantage. BusinessEurope[4] demande à l'UE d'utiliser son aide au développement pour 'favoriser ou fournir des relations privilégiées avec des pays qui détiennent des ressources'. En d'autres termes, l'aide au développement devrait aller à des pays riches en ressources, ce qui garantit aux Européens l'accès à leurs matières premières et, si vous n'avez pas la chance d'avoir des matières premières qui intéressent les affaires européennes, vous pouvez rester pauvre. Un retour à la distinction entre Afrique utile et Afrique inutile des jours les plus sombres du passé colonial français!

 

 

Thomas Lazzeri

 

 

 



[1] Les inquiétudes d'AEFJN au sujet du rôle de la BEI en Afrique ont déjà été exprimées dans un article pour le Forum pour l'Action de décembre 2009, disponible à http://www.aefjn.org/index.php/materiel-410/articles/le-role-de-la-bei-en-afrique.html

[2] Voir par exemple Que la lumière soit – Areva au Niger à http://www.aefjn.org/index.php/ info-409/articles/que-la-lumiere-soit-areva-au-niger.html

[3] Le Système de préférences généralisées de l'UE est un accord commercial par lequel l'UE offre aux pays et territoires en développement un accès préférentiel au marché de l'UE, sous la forme de tarifs réduits pour leurs biens à l'entrée dans le marché de l'UE.

[4] BusinessEurope est un puissant groupe de pression d'industries européennes avec un accès privilégié à la Commission Européenne, et représentant des industries de 34 pays.

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