Supprimer les subsides à l'exportation : une promesse non remplie ?
Le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) est un accord commercial actuellement en cours de négociation – en secret – entre l’Union Européenne (UE) et les Etats-Unis (US). Les deux parties justifient cet accord en disant qu’un tel partenariat stimulera le commerce par l’élimination des droits de douane. Mais l’intention réelle du TTIP est d’éliminer les barrières régulatrices qui restreignent les bénéfices potentiels à réaliser par les sociétés transnationales des deux côtés de l’Atlantique[1]. Les deux arguments promeuvent une dérégulation de l’économie mondiale et donnent priorité aux intérêts des sociétés transnationales, en laissant de côté les besoins de la population et les mesures nécessaires pour assurer un développement durable.
Le TTIP est un accord complexe et les conséquences pour l’Afrique ne sont pas si évidentes dans une première approche ; cependant le fait que les deux plus grandes économies mondiales négocient ce partenariat a des implications, non seulement pour leurs pays mais pour le marché global, spécialement pour les pays en voie de développement dans le Sud. Dans le cas des pays africains, il y a une préoccupation croissante au sujet des conséquences d’un accord bilatéral de libre-échange entre l’UE et les USA, qui provoquerait des effets de diversion[2] et établirait de nouvelles normes et règles sur le commerce, qui seraient finalement imposées au reste du monde. Dans cet article j’analyserai les principaux éléments qui sont en cours de négociation entre l’UE et les USA[3] et les conséquences pour les pays africains.
A) L’accès au marché.
Le but principal (officiel) du TTIP est d’éliminer toutes les taxes sur le commerce transatlantique entre l’UE et les USA, pour les produits industriels et agricoles, afin de promouvoir la libéralisation du marché. Cependant, les barrières des droits de douane transatlantiques sont actuellement très basses et ces droits de douane sont utilisés par les gouvernements pour protéger les industries et emplois nationaux. En même temps, le TIPP veut faciliter l’accès de sociétés privées comme fournisseurs de services publics et des contrats d’acquisition des gouvernements comme un premier pas pour introduire davantage de privatisations dans des secteurs comme la santé et l’éducation.
Les accords bilatéraux de libre-échange ont toujours des conséquences, non seulement pour les parties impliquées dans de tels accords, mais pour les tierces parties. Dans ce cas, la négociation entre l’UE et les USA aura des effets de diversion du commerce pour l’Afrique, parce que les producteurs exportateurs africains devront entrer en compétition avec des produits nouveaux et moins chers des deux côtés de l’Atlantique. Cela affectera nécessairement les relations commerciales entre l’Afrique et à la fois l’UE et les USA ainsi que leurs accords bilatéraux commerciaux actuels. Les produits africains perdront leur part de marché en Europe et aux Etats-Unis parce que les sociétés basées en Europe et aux USA auront un accès élargi à leurs marchés réciproques.
Pendant de nombreuses années, les pays africains ont résisté à la pression de l’UE et des USA pour libéraliser leurs marchés et éliminer les barrières économiques. Ces mesures aident les pays africains à protéger leur industrie naissante et à renforcer leur capacité de produire des biens et des produits à valeur ajoutée dans la chaîne de production. Pour cette raison, l’exclusion des pays africains des négociations du TTIP et l’élimination des barrières économiques signifient une menace pour les économies africaines parce qu’à long terme leurs biens et leurs produits devront entrer en compétition avec la plus grande zone de libre-échange du monde.
B) Questions régulatrices et barrières sans taxes douanières
Le second groupe de mesures actuellement négociées par le TTIP est en relation avec des barrières sans taxes douanières et des questions de régulation. La plupart des experts s’accordent à dire que ces questions sont le but réel des deux parties (UE et USA) puisque les barrières économiques actuelles sont très basses. Les fonctionnaires de l’UE et des USA négocieraient ces mesures en obéissant à l’intérêt des sociétés transnationales puisque ce type de mesures limite leurs profits. Cependant les grands perdants de la modification de ces mesures seraient les citoyens qui verraient se réduire leur protection de consommateurs et leurs droits de citoyens.
La modification des normes sanitaires et phytosanitaires, le mécanisme moindre de contrôle de la qualité ou les nouvelles règles de protection du consommateur et de l’environnement mineraient les efforts dont les pays socio-démocrates ont vu le succès à l’UE après nombre d’années. L’harmonisation de telles questions de régulation réduirait la sécurité des consommateurs et mettrait en danger la santé de la population et l’environnement ; une telle harmonisation ne cherche pas à augmenter les mesures de sécurité sanitaire et la protection des consommateurs, mais elle adapte les réglementations à un niveau inférieur de sécurité afin de diminuer le coût des exportations et d’augmenter les profits des sociétés transnationales.
La nouvelle convergence des réglementations dans le marché de l’UE et des USA aura un fort impact sur l’économie africaine. La position plus forte des économies développées influencera le Sud qui devra modifier sa production pour l’adapter à la nouvelle convergence. La dérégulation des barrières sans taxes douanières poussera les pays africains à modifier leurs relations commerciales avec d’autres régions dans le Sud et à trouver de nouveaux modes de production au détriment de leurs entreprises publiques, de leur agriculture et de leur industrie. La dérégulation aboutira à la destitution des droits fondamentaux de la population en Afrique, qui devra accepter un modèle économique des pays développés mais avec une économie de subsistance.
C) Défis du commerce mondial
Le troisième groupe de mesures dans les négociations, ce sont les défis du commerce mondial et les contestations qui sont en cours de discussion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis plusieurs années. L’UE et les USA ont actuellement d’autres accords commerciaux avec beaucoup d’autres pays et régions dans le monde. Ce scénario d’accords différents provoque une distorsion du commerce et un manque de cohérence entre la libéralisation du commerce et la politique de développement envers les pays en voie de développement. D’un côté les pays développés favorisent l’échange de produits et de biens et, de l’autre côté, ces politiques commerciales diminuent la capacité des pays en voie de développement de créer les conditions pour renforcer leurs économies et créer des emplois.
Parmi les défis mondiaux, on trouve les droits de propriété intellectuelle, le développement durable, les normes de sécurité alimentaire et la réconciliation des disputes entre investisseur et Etat. Ces défis sont plus forts pour les pays africains parce que l’UE et les USA vont renforcer leur rôle à l’OMC et affaiblir la résistance des pays pauvres. Alors que la stratégie du TTIP est d’augmenter le pouvoir économique, la stratégie des pays en voie de développement consiste à protéger leurs pays et leur population, c.-à-d. à préserver leur indépendance sans renoncer à leur souveraineté en faveur de tribunaux internationaux du commerce (comme c’est le cas de la réconciliation des disputes entre investisseur et Etat).
Conclusion:
Le TTIP n’affecte pas seulement la population de l’UE et des USA mais il aurait un impact négatif sur des tierces parties. La population perdrait de ses droits et la protection du consommateur, et sa manière traditionnelle de subsister serait menacée. Les économies des pays africains et d’autres pays en voie de développement devraient s’adapter à de nouvelles règles qui ne profitent qu’aux sociétés transnationales au détriment de la population. La création de la plus grande zone de libre-échange du monde créerait une distorsion des économies en Afrique, qui perdraient leur part dans le marché de l’UE et des USA par la compétition avec des modes de production plus efficaces.
Le TTIP est une attaque contre la démocratie et, en Afrique, il pourrait affecter la population parce que le TTIP consolide le pouvoir des sociétés transnationales au détriment de la population. AEFJN a invoqué le besoin de faire pression pour une stratégie plus équitable au niveau de l’UE comme une alternative à la manière présente d’exercer le commerce, une stratégie qui contribue au développement durable et au bien-être des citoyens (haut niveau de protection environnementale, emplois décents en Europe et en Afrique), et pas seulement à la croissance pour quelques-uns.
José Luis Gutiérrez Aranda
Trade Advocacy Officer
[1] John Hilary, The Transatlantic Trade and Investment Partnership (Le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) , Rosa Luxemburg Stiftung, February 2014.
[2] Dans une situation de commerce international, une région de commerce qui peut offrir un produit à un prix inférieur pour l’importation dans un pays particulier tend à créer une diversion commerciale en écartant ce produit d’une autre importateur ou de producteurs locaux dont les prix sont plus élevés pour un produit similaire.
[3] DG Commission Européenne du Commerce, les Etats membres approuvent les négociations de commerce et d’investissement UE-USA, http://trade.ec.europa.eu/doclib/press/index.cfm?id=918