L'UE veut forcer les pays ACP à signer les APE

No aux APE
No aux APE

Au cours de l’an dernier, les négociations sur les APE (accords de partenariat économique) étaient généralement arrivées à un point mort: seuls quelques cycles de négociations ont eu lieu et ils n’ont produit aucun résultat remarquable. Frustrée par ce manque de progrès dans les négociations, l’UE a décidé de faire monter la pression sur les pays ACP. Le 30 septembre, la Commission Européenne a adopté une proposition amendant le règlement 1528 de 2007, qui gouverne l’accès au marché de 36 pays ACP vers l’UE. La proposition d’amendement prévoit que les 36 pays énumérés dans l’Annexe doivent ratifier et mettre en oeuvre les APE d’ici janvier 2014, ou bien ils seront éliminés de la liste, ce qui signifie qu’ils perdront l’accès libre de droits et de quotas de leurs marchandises au marché européen. Ceci marque maintenant officiellement le début de la fin de partie dans le processus des APE. Pour devenir effective, la proposition doit être adoptée par le Conseil et par le Parlement Européen.

 

Comment en sommes-nous arrivés là ?

 

L’accord de Cotonou en 2000 prévoyait le remplacement de l’accès unilatéral précédent des pays ACP, libre de droits et de quotas, par des accords commerciaux bilatéraux, les APE, pour la fin de 2007. Cependant, les négociations ont progressé beaucoup plus lentement que prévu, et à l’approche de la date limite du 31 décembre, aucun pays n’était prêt à signer un APE. Le retard dans les négociations était dû en partie à l’insistance de la Commission Européenne sur l’inclusion dans les APE des services, des investissements, des marchés publics et de la protection des droits de propriété intellectuelle, bien que cela n’aurait pas été nécessaire pour rendre les APE compatibles avec les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ; ce retard était dû aussi à l’insistance excessive de l’UE sur l’ouverture des marchés.

 

Par conséquent, le règlement 1528 fut adopté en décembre 2007 comme une solution temporaire, en vue d’accorder plus de temps pour conclure les négociations des APE et le processus de ratification. Cependant, après 2007 aussi, les négociations ont continué à une allure beaucoup plus lente que ce que la Commission Européenne aurait aimé. Ce n’est qu’avec les pays des Caraïbes qu’un accord fut trouvé pour un APE complet. Dans les négociations avec les diverses formations régionales africaines, des désaccords ont continué sur divers aspects des APE. Bien que certains pays africains aient commencé ou signé des APE provisoires, ils se sont généralement abstenus de les mettre en oeuvre. La principale raison sous-jacente est que les Africains ne partagent pas la vision de l’UE, selon laquelle les APE aideront leur développement. Ils les voient plutôt comme un instrument pour défendre les intérêts européens en Afrique et comme nuisibles aux perspectives à long terme de développement de l’Afrique.

 

La réforme SGP

 

La décision de la Commission Européenne d’éliminer de l’Annexe au règlement 1528/2007 les pays qui ne signent pas un APE doit être vue en parallèle avec la proposition de réforme du Système Généralisé de Préférences (SGP) présentée en mai de cette année. Le Système Généralisé de Préférences est un accord commercial par lequel l’UE accorde à des pays et territoires en voie de développement un accès préférentiel au marché de l’UE. Ceci prend la forme de droits de douane réduits pour leurs marchandises lorsqu’elles entrent dans le marché de l’UE. On ne s’attend pas à ce que cet accès soit réciproque et on ne l’exige pas. Il faut noter cependant que ceci représente une augmentation de droits de douane pour les pays ACP, qui bénéficiaient jusqu’à présent d’un accès libre de droits au marché de l’UE. Le SGP actuel se terminera à la fin de 2013, ce qui signifie que le nouveau système sera mis en place en janvier 2014, exactement au même moment que la Commission a l’intention d’éliminer des pays ACP de l’annexe du règlement d’accès au marché.

 

Comme la proposition de changer le règlement 1528/2007, la proposition de la Commission pour une réforme du SGP doit aussi encore être approuvée par le Conseil et le Parlement Européens et elle sera probablement amendée. Selon les plans de réforme de la Commission Européenne, le nombre de pays bénéficiaires du SGP devrait être réduit radicalement et ceci aurait aussi des conséquences négatives pour certains pays africains, comme nous le verrons dans la section ci-dessous. Une des raisons principales derrière la décision de la Commission de réduire le nombre de pays bénéficiaires est de rendre l’option SGP moins attrayante et de forcer les pays en voie de développement à signer des accords commerciaux avec l’UE.

 

Jusqu’à présent, seuls trois pays africains: le Congo-Brazzaville, le Gabon et le Nigéria ont utilisé le schéma SGP de l’UE. Tous trois sont des pays riches en pétrole avec un produit intérieur brut (PIB) trop élevé pour qu’ils puissent se qualifier pour le programme “tout sauf les armes “ (TSA) de l’UE pour les pays les moins avancés (PMA). Ces trois pays ont décidé de ne pas signer un APE avec l’UE et ils se sont retirés du processus de négociations depuis des années. Comme le pétrole est le principal produit exporté par ces pays, ils pouvaient se permettre de ne pas signer un APE et de retomber sur le SGP, car le pétrole n’est pas soumis à des droits de douane lorsqu’il est importé en UE. Maintenant, selon la proposition de réforme de la Commission, le Gabon ne serait plus qualifié pour le SGP. Comme les exportations de pétrole du Gabon ne sont soumises en aucun cas à des droits d’importation, il est improbable de convaincre le Gabon de signer un APE. Cependant, en même temps, cela limite les possibilités futures du Gabon de diversifier son économie et de développer son propre secteur industriel, car ses marchandises feraient face à des droits considérables si elles étaient exportées vers le marché européen et, par conséquent, elles deviendraient moins compétitives.

 

Les conséquences de la décision

 

Le règlement de 2007 permet aux 36 pays ACP de continuer à bénéficier d’un accès libre de droits et de quotas au marché européen. De ces 36 pays, 18 (14 pays des Caraïbes, Madagascar, l’île Maurice, les Seychelles et la Papouasie-Nouvelle Guinée) sont vus comme de “bons élèves” par la Commission, ce qui veut dire qu’ils sont passés par les étapes nécessaires vers la ratification et la mise en œuvre de l’APE. S’ils continuent à appliquer les APE, ces pays ne seront donc pas éliminés de l’Annexe au règlement 1528/2007.

 

Parmi les 18 autres “mauvais élèves”, le Burundi, le Ghana, le Kenya, la Namibie, le Rwanda, la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie ont conclu des négociations mais n’ont pas signés leurs accords respectifs. Le Botswana, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Lesotho, le Mozambique, le Swaziland, le Zimbabwe tout comme les îles Fidji et Haïti ont signé mais ne sont pas passés par les étapes nécessaires vers la ratification ou la mise en œuvre de leurs accords respectifs. Maintenant ils doivent choisir : soit ratifier et appliquer un APE, soit être éliminés du règlement de l’accès au marché.

 

L’impact de l’élimination du règlement de l’accès au marché serait différent pour les divers pays. Le Burundi, les Comores, Haïti, le Lesotho, le Mozambique, le Rwanda, la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie sont des PMA. Ces pays peuvent bénéficier du schéma de l’Union Européenne ‘Tout sauf les armes’ (TSA), qui prévoit un accès libre de droits et de quotas au marché européen pour les PMA. Par conséquent, ces pays ont peu de soucis à se faire.

 

Le Cameroun, les îles Fidji, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Kenya, le Swaziland et le Zimbabwe sont des pays à faible revenu ou à revenu moyen inférieur et ne peuvent pas bénéficier de TSA. Ils retomberaient dans le schéma de SGP, ce qui veut dire que leurs principales exportations seraient taxées à l’entrée dans le marché européen. Par conséquent, ces pays feraient face à de graves conséquences s’ils ne signaient pas un APE.

 

Le Botswana et la Namibia se trouvent dans une situation encore plus astucieuse. Ce sont des pays à revenu moyen élevé et, selon la proposition actuelle de réforme du SGP de la Commission Européenne, ils ne pourraient plus prétendre au SGP. Par conséquent ils reviendraient au niveau normal, plus élevé, de droits de douane sur leurs exportations vers l’UE. Selon des estimations pour la Namibie, cela signifie une moyenne de 19,5% de droits sur ses exportations, ou presque 60 millions d’euros car l’UE est le principal marché d’exportations de la Namibie en dehors de l’Afrique méridionale et compte pour environ 30% des exportations de la Namibie.

 

Réactions à la décision de la Commission Européenne

 

Etant donné que c’est un des pays les plus durement touchés par la décision de la Commission, il n’est pas surprenant que la Namibie y ait réagi fortement. « Ce n’est pas la voie à suivre », regretta Hage Geingob, ministre du Commerce et de l’Industrie. « Ce n’est pas un partenariat. En fixant une date limite arbitraire, l’UE essaie de mettre la pression sur nous pour que nous signions l’accord de partenariat économique. » « Avant de pouvoir fixer une date limite, il faut d’abord qu’il y ait du progrès dans les actions qui concernent les problèmes principaux. », ajouta-t-il. Calle Schlettwein, sous-ministre des Finances de Namibie, déclara que la Namibie ne va pas signer un ‘mauvais’ accord de partenariat économique qui limite sa capacité de résoudre les problèmes d’agenda du développement domestique. “La mauvaise partie de l’APE est que, tant que nous exportons des matières premières vers les marchés européens, ils ne nous imposent pas de droits de douane, mais plus nous ajoutons de la valeur, plus les droits sont élevés. Si nous signons l’APE dans sa forme actuelle, nous serons privés de l’opportunité de développer nos propres industries et d’exporter des produits finis vers d’autres grands marchés », dit-il. La Namibie s’est plainte aussi de ce que, au cours de sa visite au pays en septembre, le Commissaire au Commerce Karel De Gucht n’avait pas mentionné son intention de fixer la date limite de janvier 2014.

 

Le gouvernement du Ghana a signalé qu’il allait probablement signer bientôt son APE, sans attendre que les autres pays de la région d’Afrique occidentale (CEDEAO) trouvent un accord régional sur les APE. Hannah Tetteh, Ministre du Commerce et des Industries, a dit aux media que le pays aurait préféré se joindre aux autres pays-membres de la CEDEAO pour signer les APE en tant que corps ; cependant, les négociations sur l’accord commercial avec l’Union Européenne sont arrivées au point mort – poussant le gouvernement à reconsidérer ses options. « Pendant les trois dernières années, nous ne sommes vraiment pas arrivés loin avec l’APE de la CEDEAO », a-t-elle déclaré. Elle a aussi souligné que la décision du Ghana était en relation directe avec la décision de la Commission de fixer une date limite.

Entre-temps, des organisations de la société civile, y compris le Réseau du tiers monde (TWN) ont exhorté le gouvernement à renoncer à l’APE afin d’assurer l’intégration régionale dans la sous-région d’Afrique occidentale. Gyekye Tanoh, président de l’unité économique de TWN, a argumenté récemment que l’APE est une menace pour le repositionnement de l’économie nationale et pour l’intégration régionale dans le bloc « Communauté Economique des Etats d’Afrique Occidentale ».

 

Les négociations entre l’Afrique du Sud et l’UE ont fait des progrès en ce qui concerne les produits agricoles. L’Afrique du Sud n’est pas affectée directement par le règlement du marché 1528/2007 car ses relations commerciales avec l’UE sont régies par un accord bilatéral de commerce, développement et coopération. Cependant, l’Afrique du Sud est en train de négocier un APE avec l’UE, comme une partie du groupe SADC qui comprend aussi la Namibie, le Botswana, le Lesotho, le Swaziland, le Mozambique et l’Angola. Il semble aussi probable, selon des déclarations récentes, que le Zimbabwe s’inclinera sous la pression de l’Union Européenne et ratifiera d’ici la fin de l’année l’APE qu’il a signé en 2009.

 

 

 

Thomas Lazzeri

 

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