Les APE et les genres

Protest against EPAs 3

 

 

La diversion économique est une des conséquences des Accords de Partenariat Economique (APE) et de tous les autres Accords de Libre Echange (ALE). Elle signifie qu'un pays n'importe plus d'un autre, comme par le passé, mais fait ses importations à partir d'un tiers. Ainsi, après la signature de l'accord économique entre l'Afrique du Sud et l'UE, il est moins onéreux pour la première d'importer de la viande d'UE que de la Namibie voisine. Le commerce est donc déplacé de la Namibie vers l'Afrique du Sud au bénéfice de l'UE. Cette diversion touche indifféremment plusieurs secteurs économiques. Notons aussi que la distribution du travail n'est pas égale entre hommes et femmes dans les différents secteurs de l'économie et de plus, les femmes ont souvent des charges familiales et domestiques qui réduisent leur accès à certains secteurs. Il faut donc se pencher sur les implications de cette différence liée au sexe lors de la signature des APE.

 

L'accord de Cotonou, base légale pour les négociations des APE fait clairement référence au respect de l'égalité des sexes mais dans les faits, cette égalité n'a reçu aucune attention spécifique lors des négociations des APE entre la Commission européenne et les pays ACP. Aucune partie n'a semblé vouloir s'engager dans le respect de cette égalité.

 

La majorité de la population africaine travaille dans l'agriculture. Ainsi, au Mozambique, 78% des forces vives du pays vivent de ce secteur. Un autre fait à souligner c'est la présence plus nombreuse des femmes dans l'agriculture, alors que les hommes se retrouvent plus dans les manufactures et les services publics. Au Mozambique, par exemple, on retrouve 91% de travail féminin dans le domaine agricole. Si ce secteur est touché par les APE, il affectera donc davantage les femmes que les hommes. La libéralisation du commerce devrait, en principe, offrir des avantages à l'agriculture et l'accès à la grosse machinerie occidentale. Mais, dans la réalité, ce secteur est surtout dans les mains des femmes et elles n'ont pas les moyens d'acheter cette lourde machinerie ni d'autres aidants. Les bénéfices potentiels attachés aux APE risquent donc de n'être que de la théorie pour elles.

 

La libéralisation des échanges prévue dans les APE n'aura pas d'impact positif sur les exportations du secteur agricole des pays les moins développés (PMD) vu qu'ils ont déjà un système qui leur assure le libre accès au marché de l'UE, grâce à son programme « Tout sauf les Armes » (TSA). La liste des PMD est établie par l'ONU, sur base d'une série d'indications économiques. A ce jour, 33 pays africains y figurent. De plus, la possibilité d'une importation libre de produits alimentaires va générer des pertes d'emploi et de revenu dans le secteur agricole et les femmes seront les plus touchées. La création de chaines de supermarchés, conséquence de la libéralisation des échanges, n'augmentera sûrement pas les profits de l'agriculture locale. En effet, ces chaînes exigent des produits aux normes très élevées et à des prix très bas et ces conditions ne peuvent être remplies par les productions locales mais seulement par les produits alimentaires importés des pays développés.

 

Les bénéfices produits par l'importation de nourriture, comme la viande, à partir des pays occidentaux seront largement théoriques pour la population rurale car la viande est vendue à des prix inabordables pour elle. Cela prend aussi une dimension de 'genre' car les femmes ont souvent en charge l'approvisionnement alimentaire et les ménages qu'elles dirigent sont les plus hauts sur l'échelle de la pauvreté.

 

La diminution des revenus des gouvernements africains, liée à la réduction des taxes d'importation, est une autre conséquence prévisible des APE. On prévoit ainsi au Mozambique une perte de 50%. Ceci amènera l'état à diminuer les dépenses dans les domaines sociaux et éducatifs. Ceci a, à nouveau, une incidence liée au 'genre' car les femmes sont celles qui ont charge d'éducation pour leurs enfants.

 

Un exemple pris au Cameroun illustre combien le libre échange peut être dommageable au secteur agricole local. L'élevage de volaille est, dans ce pays, une activité principalement aux mains des femmes et des jeunes. Ils travaillent essentiellement comme moyens ou petits producteurs ou juste dans leur petit enclos familial. Cet élevage avait permis un développement économique pour les femmes et avait donc amélioré les conditions de vie des familles. Ces femmes avaient vu leur rôle social et politique s'élever. Puis commence l'importation massive des poulets congelés qui étaient invendables dans les supermarchés européens, où les clients achètent surtout les poitrines des volailles. Les parties de poulet invendues sur les marchés européens étaient importées à des prix plancher et donc beaucoup moins chers que les poulets produits sur place. Ceci a évincé les producteurs locaux du marché. Les femmes, vu leur capital restreint, ont été les plus touchées et ont disparu en premier. Celles qui avaient fait des emprunts n'ont pu les honorer et ont fait faillite. Dans l'ensemble, ce problème a touché autant les moyens que les petits exploitants.  Les manifestations ont obligé le gouvernement à augmenter fortement le prix de la viande des poulets importés et ceci a permis aux producteurs nationaux de se relever, au moins en partie, des retombées négatives du libre échange.

 

La nécessité de surveiller les APE.

 

Nous venons de voir que les APE ont un impact spécifique lié au sexe et il est donc important de le surveiller, de manière très suivie, pour le développement social et les conditions de vie. Soulignons l'importance du rôle de la société civile dans cet aspect. Seule une surveillance efficace permettra de limiter les retombées néfastes des APE. Une surveillance efficace doit identifier les indications clés et posséder une large banque de données. Des indications susceptibles  d'intérêt pourraient être l'expansion ou la contraction des secteurs féminins dans l'économie, la création de sources indépendantes de revenu pour les femmes ainsi que les services sociaux et de développement que le gouvernement leur destine. Les données sont indispensables pour la structure de l'économie  liée au 'genre' et surtout pour les disparités entre hommes et femmes dans les secteurs du commerce et du travail. Il ne suffit pas de savoir que les femmes travaillent surtout dans l'agriculture, il faut connaître également les secteurs et les produits qui dépendant principalement de leurs efforts. Ces données permettent aussi de voir la différence entre hommes et femmes pour l'accès aux ressource et aux dépenses gouvernementales ; elles vont assurer, par une meilleure compréhension des effets du 'genre' sur les revenus douaniers, une amélioration de ce système.

Thomas Lazzeri

 

 

 

 

 

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