Les APE et l’impact économique dans les pays africains

Certaines régions et pays africains ont fait l’expérience depuis quelques mois maintenant d’une nouvelle campagne de pression de la part de l’UE pour qu’ils signent un accord de partenariat économique[1]. D’une part nous trouvons une UE qui s’impatiente du rythme lent des négociations des APE. D’autre part, nous trouvons des pays et régions africains réticents à accepter des conditions économiques inéquitables qui menacent le développement durable de leurs pays et la réduction de la pauvreté.

                Un des points les plus litigieux, qui met en lumière l’injustice économique que les APE causeront à l’Afrique, est la question de l’élimination des droits de douane. Ceux-ci sont des taxes que les pays africains appliquent aux produits d’Europe et d’autres pays tiers vendus sur leurs territoires, pour protéger les économies nationales. Ces droits de douane rendent les biens et services plus chers pour les consommateurs. De plus, les gouvernements africains utilisent ces revenus "pour augmenter les revenus ou pour protéger les industries domestiques de la compétition étrangère."[2]

                Parmi les objectifs de ces APE, il y en a un qui est spécialement important : l’élimination progressive des droits de douane pour les produits européens. La conséquence immédiate serait les prix plus bas de ces produits dans les pays africains.[3] A première vue, ceci pourrait sembler quelque chose de positif pour ceux qui ont des salaires plus bas en Afrique. Cependant, cela deviendra à court terme une réelle menace pour les économies des pays les plus pauvres. Si nous examinons de près les effets de l’élimination des droits de douane, nous découvrirons des conséquences négatives pour l’Afrique et ses économies régionales.

                Ces droits de douane entraînent tout d’abord un revenu important pour les gouvernements en Afrique, revenu qu’ils investiront plus tard dans leurs économies domestiques. Subséquemment, les gouvernements africains investiront ces revenus dans l’infrastructure, la santé, l’éducation ou la culture. De sorte que si les états africains réduisent ces revenus dans leurs budgets, il y aura une réduction et une détérioration des services publics essentiels qui doivent être garantis par les états à ceux qui ont moins de ressources. L’UE résiste à écouter les pays les moins avancés qui ont insisté sur le fait qu’ils ne pourraient pas dépasser une libéralisation de 60 ou 70% d’ici 20 ou 25 ans de commerce des biens, là où l’UE exigeait 80% d’élimination des droits de douane en 15 ans.[4]

                En second lieu, ces droits de douane aident à protéger l’économie nationale et régionale en Afrique. En général, les processus de production sont beaucoup plus chers dans les pays africains qu’en Europe, et le transport et les matières premières nécessaires sont plus chers. L’industrialisation et la mécanisation de la production sont plus développées en Europe, ce qui diminue le prix final des biens. Lorsque des droits de douane sont appliqués à des produits étrangers, cela aide à protéger les économies africaines car cela aligne les prix. Ceci permettra aux entreprises africaines d’entrer en compétition avec des produits venant d’Europe.

                Au cas où les droits de douane actuels cesseraient d’être appliqués aux produits et services européens, ceux-ci seraient beaucoup moins chers, et les entreprises locales perdraient leurs bénéfices car il leur serait difficile de soutenir la concurrence avec les produits européens. En Afrique, des millions de personnes dépendent de la production de marchandises, production dominée par l’agriculture de subsistance qui permet de gagner sa vie. Les petites et moyennes entreprises en Afrique ont besoin d’être stimulées par leurs gouvernements. Les entreprises sont la principale source du secteur financier local et si leur croissance économique diminue, cela étouffera non seulement le secteur privé mais aussi les services publics.

                De plus, l’impact négatif sur les entreprises locales a des conséquences au niveau de l’intégration régionale. Lorsqu’une région perd n’importe quelle espèce de production de biens, elle doit les chercher dans d’autres pays et régions. Cela signifie que les prix augmenteront à nouveau et que les entreprises européennes accaparent les marchés africains.

                Troisièmement, l’APE provisoire interdit de nouvelles taxes à l’exportation et des restrictions, à moins que l’UE ne les permette. Ceci signifie que les pays ne peuvent pas appliquer de taxes sur leurs matières premières (principalement des minerais et du pétrole), qui pourraient être une source importante de revenus pour certains gouvernements africains. Cette interdiction est clairement en contradiction avec les dispositions de l’OMC qui « donne aux pays en développement le droit de protéger leurs marchés d’importations en vue de promouvoir l’établissement ou le maintien d’une industrie privée. Elles donnent aussi aux pays en développement le droit de protéger leurs marchés d’importations dans le cas de difficultés de balance de paiement.”[5]

                Ces exigences des APE font que les gouvernements africains perdent la capacité de créer et de façonner leurs propres politiques économiques. L’exigence de réduire ou même d’interdire les barrières douanières menace la démocratie dans les pays africains, en empêchant leurs gouvernements de décider des stratégies économiques futures aussi bien que des mesures qui promeuvent l’initiative économique. Les états devraient être proactifs dans les politiques commerciales et industrielles, et cela devrait changer et s’adapter lorsque le temps et les circonstances changent.[6]

                Ces trois conséquences auront un impact plus intense sur la population. Alors, si les états perdent leur capacité économique, s’ils perdent leur capacité de décider leurs politiques économiques et si les pays perdent la structure productive, la population la plus pauvre souffrira de graves conséquences à long terme. L’UE doit mettre fin à sa manière condescendante démodée de traiter avec l’Afrique. La tendance de dire aux Africains ce qui est bon pour eux est une raison pour laquelle les négociations des APE ont rencontré des difficultés.[7]

                Les pays africains ont besoin de préserver leurs sources de richesse d’une manière durable pour continuer à avancer vers le développement économique. L’Union Européenne doit comprendre qu’elle ne peut pas donner priorité à ses intérêts économiques en les imposant à une population qui est clairement désavantagée. Si l’UE veut maintenir son statut économique, elle doit écouter la voix de l’Afrique, et elle doit respecter les principes fondamentaux de liberté et d’indépendance des pays africains car ils sont les seuls autorisés à décider leur avenir.

Pour en savoir plus

 

José Luis Gutiérrez Aranda

Policy Officer

Africa Europe Faith and Justice Network



[1] Actuellement, peu de pays ont signé des APE provisoires. Dans cette ligne, la menace de l’UE à plusieurs pays de changer leur catégorie de pays moins avancés, ce qui leur ferait perdre leur statut favorable au commerce, avec des conséquences négatives dans leurs relations avec l’Europe

[2] Evolution de la balance commerciale de l’U.E. avec les pays africains ACP http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2011/january/tradoc_147192.pdf (en anglais, mais beaucoup de chiffres et de graphiques)

[3] http://southcentre.org/index.php?option=com_content&view=article&id=1748%3Athe-epas-and-risks-for-africa-local-production-and-regional-trade&Itemid=106&lang=fr

[4] The EU’s failure to impose comprehensive, deep integration agreements on Africa and the Pacific. L’échec de l'UE à imposer des accords étendus, d’intégration profonde sur l’Afrique et le Pacifique:

http://www.s2bnetwork.org/fileadmin/dateien/downloads/S2B_Reader_EPAs2.pdf (en anglais)

[5] http://www.wto.org/english/tratop_e/devel_e/d2legl_e.htm  le site existe en français mais je n’ai pas trouvé l’article

[6] Les risques que les APE représentent pour la production locale et le commerce en Afrique www.southcentre.org

[7] Ascending Africa: Challenges and opportunities, Friends of Africa. Policy Briefing (L’Afrique montante: défis et opportunités. Amis de l’Afrique. Mise au point de la politique)

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