Les APE et l'initiative de l'Europe pour les matières premières

EPAs exposed

L'UE et ses états membres sont de plus en plus soucieux d'assurer aux sociétés européennes l'accès aux matières premières. L'UE doit compter sur l'importation de plusieurs matières premières cruciales de pays tiers. En fait, l'UE est le plus grand importateur mondial de ressources naturelles, celles-ci comptent pour 23% des importations globales de ressources naturelles. Le taux de dépendance des importations de l'UE va de 46% pour le chrome, 54% pour le minerai de cuivre, 95% pour la bauxite à 100% pour des matières telles que le cobalt, le platine, le titane et le vanadium.

 

La montée de la Chine, et aussi celle de l'Inde et du Brésil, ont sonné l'alarme. C'est pourquoi la Commission Européenne a lancé son Initiative pour les matières premières en 2008. L'objectif principal de l'Initiative était d'assurer l'accès européen aux matières premières dans des pays tiers. En février 2011 a été publié un nouveau rapport, qui confirme l'approche de la Commission. En particulier, la Commission souhaite améliorer la sécurité des approvisionnements de l'UE par des accords commerciaux multilatéraux au niveau de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et par des accords commerciaux bilatéraux tels que les Accords de partenariat économique (APE). L'objectif est d'utiliser ces accords commerciaux pour ôter les obstacles – comme des restrictions à l'exportation ou des limites des investissements – qui empêchent l'accès de l'Europe aux matières premières dans des pays tiers.

 

Restrictions des exportations

 

Les restrictions des exportations peuvent prendre de nombreuses formes différentes, telles que des taxes à l'exportation, des quotas, des subsides, ou des prix minima obligatoires sur les produits exportés.

 

Les taxes à l'exportation sont un instrument commun de politique dans beaucoup de pays en voie de développement. Les taxes à l'exportation sont admises par les règles de l'OMC. On les utilise pour promouvoir le traitement domestique à valeur ajoutée, pour protéger l'environnement et les ressources naturelles et/ou comme source de revenus pour le gouvernement. En imposant une taxe sur l'exportation d'une certaine matière première, on peut fournir un stimulant pour le développement des industries domestiques de manufacture ou de traitement, car traiter les matières premières sur place devient moins cher que de les exporter et les traiter en Europe.

 

L'UE estime que les taxes à l'exportation faussent le commerce. Pendant plusieurs années, l'UE a essayé de bannir l'usage de taxes à l'exportation à l'OMC. En 2006, l'UE a soumis à l'OMC une proposition sur des disciplines pour un nouvel accord de l'OMC sur des taxes à l'exportation. L'UE proposait que tous les membres de l'OMC s'engagent à éliminer les taxes à l'exportation. La proposition a été rejetée par d'autres membres de l'OMC et critiquée par des pays en voie de développement. La Namibie, par exemple, a résisté fortement aux efforts de l'UE pour bannir les taxes à l'exportation. En 2008 l'UE a soumis une proposition révisée qui a, une fois de plus, échoué à attirer le consensus et depuis lors il n'y a plus eu aucun mouvement sur cette question à l'OMC.

 

Les pays en voie de développement considèrent que les taxes à l'exportation sont des outils légitimes de développement économique et industriel. Ils veulent garder la marge de manœuvre pour être capables d'utiliser les taxes à l'exportation comme instrument de politique dans différentes situations, où ils considèrent qu'elles sont appropriées. Les ministres du commerce des pays les plus pauvres du monde ont fait appel aux membres de l'OMC pour qu'ils soient d'accord de "n'imposer aucune discipline sur les taxes à l'exportation, car celles-ci sont des outils légitimes de développement."[1]

 

Puisque l'UE n'avait pas réussi à faire valoir à l'OMC sa volonté sur les taxes à l'exportation, elle a déplacé ses efforts vers les négociations commerciales bilatérales, telles que les négociations sur les APE avec les pays ACP. Dans les négociations sur les APE, les taxes à l'exportation ne figuraient pas à l'ordre du jour à l'origine, mais soudain, à l'approche de la date limite de 2007[2], l'UE les a insérées dans le texte à négocier.

 

La clause sur les taxes à l'exportation que l'UE est parvenue à introduire dans les accords intérimaires de partenariat économique défend aux pays africains d'introduire de nouvelles taxes à l'exportation, ou d'augmenter celles qui sont appliquées pour le moment. Dans des circonstances exceptionnelles et sujettes uniquement à l'accord de la Commission Européenne, des droits d'exportation peuvent être introduits temporairement.

 

Les pays africains ont, à plusieurs reprises, soulevé la question des taxes à l'exportation dans les négociations en cours sur les APE. Les ambassadeurs d'Afrique orientale à l'OMC, basés à Genève, ont demandé que la clause sur les taxes d'exportation dans les accords provisoires de partenariat économique soit effacée. La Commission de l'Union Africaine a présenté un document à la Commission Européenne lors d'une réunion conjointe en juin 2010, déclarant ce que suit sur les taxes à l'exportation:

"La proposition de la Commission Européenne d'interdire l'usage de taxes à l'exportation et des restrictions quantitatives sous les APE est une exigence non nécessaire, ajoutée à celles de l'OMC, qui limiterait la marge de manœuvre pour utiliser ces mesures pour addition à la valeur, diversification, promotion de l'industrie naissante, sécurité alimentaire, revenus et considérations environnementales."[3]

 

Pour beaucoup de pays en voie de développement, les taxes à l'exportation sont un des quelques outils de politique commerciale encore existants, puisque la marge de manœuvre domestique pour soutenir le développement industriel a été réduite de manière significative par la libéralisation renforcée par les Programmes d'ajustement structurel imposés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale (BM) dans les années 1980 et 1990 et dans les négociations de l'OMC. Lorsque l'UE essaie d'empêcher les pays africains d'introduire de nouvelles taxes à l'exportation, l'UE leur dénie leur marge de manœuvre pour décider des outils pour promouvoir l'addition locale de valeur et poursuivre le développement industriel.

 

Pour les pays africains, afin d'atteindre un développement durable, il est crucial de s'affranchir de leur dépendance vis-à-vis des marchandises, et les droits de douane à l'exportation sont un moyen incroyablement précieux pour convaincre les investisseurs étrangers de traiter les matières premières localement, plutôt que de les exporter. A l'exception de quelques producteurs de pétrole, aucun pays qui compte sur des exportations de marchandises essentielles ne se trouve parmi les économies à haut revenu. Seuls les pays qui sont passés à des industries demandant beaucoup de compétences et basées sur la technologie, ou qui ont incorporé des traitements à valeur ajoutée dans leurs secteurs primaires, ont pu atteindre des niveaux plus élevés de revenus. La promotion de la manufacture est cruciale si les pays africains veulent pouvoir échapper à la dépendance vis-à-vis de leurs exportations de produits.

 

Par exemple, le gouvernement kenyan a élevé la taxe à l'exportation, payable sur les exportations de peaux non traitées, à 20% en 2006 et, en juin de l'année suivante, l'a doublée à 40%, dans le but d'encourager l'industrie de traitement du cuir dans le pays. La recherche montre que ces taxes ont apporté nombre de bénéfices importants à l'industrie locale du cuir. Elles ont réduit énergiquement les exportations de peaux non traitées, et augmenté le traitement du cuir. Selon le gouvernement, presque 98% des peaux produites dans le pays sont maintenant du cuir semi-fini ou fini, contre 56% en 2004. En 2007, le Kenya a produit 20.000 tonnes métriques de cuir, contre environ 5.000 en 2003. Le total des gains de l'industrie du cuir, d'après les chiffres du gouvernement, a augmenté de 21% entre 2005 et 2008. On estime qu'environ 1.000 emplois directs et 6.000 emplois indirects ont été créés depuis l'introduction de la taxe à l'exportation.

 

Les forêts tropicales africaines seraient aussi menacées, si les APE étaient appliqués et les restrictions à l'exportation enlevées, car cela ouvrirait à une exploitation illimitée des forêts africaines. En particulier la forêt tropicale dans le bassin du Congo et la forêt guinéenne en Afrique occidentale seraient menacées. Ces écosystèmes sont non seulement vitaux pour la population locale, mais ils sont aussi pertinents au niveau mondial, car ils sont quelques-uns des poumons verts les plus pertinents du monde, pertinents aussi pour la régulation climatique au niveau global.

 

 

Investissements

 

Dans l'Initiative des matières premières, l'UE énumère des règles 'restrictives' d'investissement parmi des mesures gouvernementales dans des pays en voie de développement et des économies émergentes qui, aux yeux de l'UE, faussent le commerce international des matières premières.

 

Les pays en voie de développement ont longtemps résisté à un accord sur les investissements au niveau de l'OMC, et finalement ils sont parvenus à les enlever de l'ordre du jour de Doha en 2004. Si l'UE arrive à ses fins, un chapitre sur les investissements sera inclus dans les Accords finaux de partenariat économique. L'APE avec les pays des Caraïbes, qui est le seul accord final de partenariat économique signé jusqu'à présent, contient un chapitre sur les investissements. Un accord sur les investissements dans les APE, avec des engagements à la libéralisation, risquerait de restreindre fortement la marge de manœuvre des gouvernements africains pour qu'ils règlementent l'investissement étranger de sorte que l'investissement puisse profiter à l'économie locale et stimuler le développement.

 

Le chapitre sur les investissements que l'UE souhaite inclure prévoit, entre autres, un 'traitement national' et la 'protection de l'investisseur'. Le traitement national signifie qu'il faut accorder aux investisseurs étrangers les mêmes droits qu'aux investisseurs domestiques, freinant par là la capacité des pays de donner un traitement préférentiel aux investisseurs domestiques, tels que des entreprises naissantes ou de peu d'envergure, ou leur capacité de bannir les investissements étrangers de certains secteurs ou d'offrir un traitement favorable à des investisseurs régionaux pour aider à promouvoir l'intégration régionale. De plus, donner un 'traitement égal' à des investisseurs étrangers signifie souvent, en pratique, leur accorder plus d'influence et de droits qu'aux investisseurs domestiques, étant donné leur dimension et leur puissance plus étendues. La protection des investisseurs, qui établit des normes minimales de traitement des investisseurs et le libre flux des mouvements de capitaux d'un pays à l'autre, assure le droit des investisseurs de rapatrier les profits et restreint la capacité des pays en voie de développement d'imposer des contrôles sur les mouvements de capitaux.

 

La libéralisation des investissements dans les secteurs de ressources naturelles transférerait aux sociétés étrangères plus de droits pour exploiter les forêts, les minerais, le pétrole et le gaz naturel. Ceci lierait les mains des gouvernements africains et limiterait leur capacité d'exiger des investisseurs étrangers, par exemple, qu'ils réinvestissent une part du profit ou qu'ils emploient du personnel local. D'autres réglementations qui seraient menacées par un accord sur les investissements incluraient d'exiger des investisseurs étrangers qu'ils entrent dans des entreprises communes avec les résidants et/ou le gouvernement, de restreindre la propriété terrienne et de restreindre le droit des non-résidants à établir des filiales ou des branches dans le pays.

 

Beaucoup de pays africains ont mis en place certaines restrictions sur les investissements étrangers dans les secteurs de ressources naturelles, même si dans beaucoup de cas, dans l'espoir d'attirer plus d'investissements, ils ont été forcés d'introduire des régimes d'investissement passablement libéraux. Ces réglementations sont souvent des restrictions du droit de propriété, des exigences de participation locale ou d'entreprises communes, des restrictions du droit de propriété terrienne, ou le fait de réserver l'exploitation minière à petite échelle aux citoyens locaux et à des sociétés possédées par les citoyens. Les capacités des pays africains d'utiliser de telles réglementations dans l'intérêt du développement seraient menacées si l'UE réussissait à faire introduire un accord sur les investissements dans les APE.

 

Par exemple, en Afrique du Sud, la charte sur l'exploitation minière dans l'Acte de développement des ressources en minerais et en pétrole dispose les règles gouvernant la demande de droits miniers ainsi que l'octroi ou le transfert de ces droits. Elle inclut des mesures statutaires pour l'autonomisation de l'économie noire et la participation accrue des Sud-Africains historiquement désavantagés à l'industrie minière. La Charte fait appel aux Sud-Africains noirs pour qu'ils contrôlent 15% des mines endéans les 5 ans, et 26% endéans les 10 ans. Le gouvernement a établi comme cible de transférer 26% de l'actif des mines à des sociétés possédées par des noirs, et d'assurer que 51% des projets futurs d'exploitation minière soient contrôlées par des sociétés possédées par des noirs. La loi donne au gouvernement le pouvoir de donner préférence aux requêtes des personnes historiquement désavantagées.

 

L'Afrique du Sud est le plus grand fournisseur mondial de deux des matières premières que l'UE considère comme particulièrement cruciales: le rhodium et le platine; elle a déjà été identifiée par l'UE comme un des pays qui appliquent des restrictions commerciales aux matières premières. Si l'Afrique du Sud devait signer un APE incluant un chapitre sur les investissements, elle n'aurait plus la possibilité de donner la préférence aux personnes historiquement désavantagées. Comme le disait Joseph Stiglitz, ancien Economiste en chef à la Banque Mondiale et lauréat du prix Nobel, 'Si vous êtes un pays en voie de développement, assurez-vous que votre gouvernement ne signe pas de traité bilatéral d'investissement.'

 

Thomas Lazzeri

 



[1]  OMC, Sixième réunion des ministres du commerce des PMA, octobre 2009, Déclaration de Dar El Salam

[2] A l'origine, les APE devaient être conclus pour la fin de 2007.

[3] Julian, M (2010), Mise à jour sur les APE, Vue des négociations commerciales, juillet-août 2010

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