Les relations entre commerce et santé

 

L’article qui suit se fonde sur les résultats du rapport : Les négociations bilatérales et Union Européenne, menaces pour des Droits à la Santé, présenté en Avril 2010 par la Plateforme Action Santé et Solidarité.

 

Les politiques commerciales ont un impact sur les droits des gens à la santé, de plusieurs façons. Pourtant, ce n’est que récemment que la relation  entre la libéralisation du commerce et le droit à la santé a été examine plus systématiquement. En 2004, Paul Hunt, le premier rapporteur désigné de l’ONU sur le droit à la santé a écrit son rapport  de mission à l’ONU en ces mots : « le commerce a un  impact sur le droit à la santé de plusieurs façons » ; et encore : “Les Etats doivent s’ assurer que les règles et les politiques commerciales qu’ils choisissent soient conformes avec leurs obligations légales en relation au droit à la santé. Si, à l’évidence, on peut assurer qu’ une politique commerciale particulière a un impact négatif sur la jouissance du droit à la santé de ceux qui vivent  pauvrement ou font partie de d’autres groupes désavantagés, alors l’Etat à une obligation, selon le droit international des droits de l’homme,  de revenir à une politique appropriée.”[1]

 

Dans le concret, lorsque nous regardons les relations entre les Accords de Libre Echange (ALE) tels que les Accords de Partenariat Economique (APE) entrepris actuellement par l’Union Européenne avec le droit à la santé, nous devons nous intéresser à quatre grands secteurs : 

 

  • L’impact sur  les recettes des gouvernements
  • La libéralisation du secteur santé
  • Commerce  en ce secteur et la santé et ses services
  • Des droits de propriété intellectuelles plus contraignants

 

Perte de ressources gouvernementales

 

Un aspect typique des ALE tels que les APE, c’est  la suppression des droits sur les importations et les exportations. Car, beaucoup de pays en développement sont hautement dépendants de ces taxes pour accroître leurs ressources, étant limités du côté des ressources locales et des impôts. Selon la Banque Mondiale, les tarifs douaniers dans la zone sous-Saharienne de l’Afrique sont estimés entre 7 à 10 pour cent des recettes gouvernementales. Pour les produits de l’UE, représentant 40% du total des importations dans cette région Sub-Saharienne, éliminer les tarifs sur ces importations réduirait considérablement les recettes douanières.

 

Ce manque à gagner laisse peu de choix au gouvernement. L’une serait de diminuer clairement les dépenses publiques, touchant très fort les besoins de santé et de l’éducation. Ce manque de recettes pousse aussi un gouvernement à transférer la propriété et la gérance des services publiques au secteur privé. Ainsi, indirectement, la privatisation se trouve encouragée.

 

Libéralisation des services  

 

Selon les souhaits de la Commission Européenne, les APE complets auront un chapitre sur la libéralisation des services, incluant ceux de la santé. Ouvrir ainsi le secteur des services publics signifie qu’un pays ne pourra pas limiter les investissements des compagnies étrangères, ni le genre de services. Il ne sera pas possible de fixer le nombre de fournisseurs, ou celui des services, la valeur de ces services venus d’ailleurs, les formes légales des prestataires et la participation des capitaux étrangers. Cela signifie aussi que si un pays libéralise le commerce de services, il doit accepter les compagnies étrangères et les traiter comme des compagnies locales.

 

Toutes les mesures touchant aux services doivent être au moins également favorables aux fournisseurs étrangers et à leurs services qu’elles le sont aux fournisseurs locaux et à leurs services. Cela limite considérablement l’espace politique des pays en développement et la libéralisation du secteur de la santé rendra impossible à la longue son contrôle par les gouvernements.  La libéralisation de la santé signifie encore que le secteur publique se trouvera en compétition avec le secteur privé. Comme le secteur privé peut offrir de meilleurs salaires, il attirera les personnels médicaux les plus qualifiés du secteur public déjà très affaibli, appauvrissant encore davantage ce secteur pour l’avenir. Les Gouvernements peuvent être tentés de mettre sur le marché certains de leurs composants du système de santé, mais faisant ces expériences dans le cadre d’accords commerciaux contraignants, ils limitent fortement leur capacité de faire les réformes qu’ils souhaitent, s’ils veulent les entreprendre à l’avenir.

 

Au cours du Cariforum APE, qui est le seul accord final conclu, les pays des Caraïbes se sont engagés à un nombre considérable de libéralisations dans le secteur santé.

 

Commerce dans le secteur santé et les services de santé  

 

Il ya des intérêts  commerciaux évidents derrière le souhait de voir le secteur de la santé en Afrique se libéraliser. La santé est l’un des secteurs en croissance très rapide pour le monde économique. Dans les pays en développement  ce secteur devient aussi de plus en plus une opportunité d’investissements pour le privé, car la classe moyenne qui grandit est capable de payer des services de santé. Le bureau-conseil  McKinsey a fait la projection du marché privé de la santé en Afrique autour de 21 milliards de dollars par an pour 2016. La proposition récente de BusinessEurope[2] pour la stratégie commerciale 2014/2020 déclare que l’UE doit se battre pour éliminer les obstacles à une participation à l’acquisition de marchés publics internationaux dans les secteurs tels que les soins de santé et le traitement de l’eau. En d’autres mots, BusinessEurope demande à l’UE de l’aider à obtenir un libre accès aux marchés des secteurs de la santé et de l’eau des pays en développement.  

 

La privatisation du secteur santé est dangereuse, car une prestation privée de services accroît les inégalités de leur accès en favorisant tout naturellement ceux qui peuvent s’offrir le traitement.  Les données concernant 44 pays aux revenus moyennement bas suggèrent que les plus hauts niveaux de participation du secteur privé aux soins de santé primaire sont liés globalement aux plus hauts niveaux d’exclusion des pauvres dans les soins et les traitements. Quant à ce qui concerne les fournisseurs étrangers de ces services, ils vont très semblablement viser seulement les secteurs rentables ou les plus gros revenus.

 

Accès aux médicaments

 

Dans les pays en développement où l’assurance maladie est insuffisante  et la plupart des services sont payés de sa propre poche, les prix des médicaments sont le facteur déterminant du niveau des soins de santé. Le coût élevé des médicaments en réduit l’accès, à la fois par l’incapacité des pauvres à les payer eux-mêmes et par celle des gouvernements à les développer. Les dépenses supplémentaires pour les médicaments affaibliraient encore les systèmes de santé alors que les ressources financières sont déjà rares. Le système des brevets pharmaceutique actuel (et les autres formes de protection de la propriété intellectuelle) retarde la concurrence de producteurs à bas-prix et il en résulte des prix très élevés des médicaments. La concurrence des génériques fait baisser les prix d’environ 40 à 80%. La protection des droits de la propriété intellectuelle est un obstacle à l’accès aux médicaments. De plus le renforcement de la protection des droits de la propriété intellectuelle fait monter les coûts des remèdes accessibles aux populations des pays en développement. Davantage encore, cette protection accrue empêche les pays en développement d’envisager leurs propres industries pharmaceutiques.

 

Ces dernières années, l’Union Européenne a mis en place de très fortes réserves à propos de la protection des droits de la propriété intellectuelle. Une caractéristique commune des ALE c’est que l’Union Européenne passe des accords avec des pays tiers sur ce qui est prévu par les standards ainsi appelés TRIPS-plus. Cela veut dire qu’ils demandent la protection des droits à la propriété intellectuelle qui vont au-delà de ce qui a été accepté internationalement avec l’accord TRIPS.[3] Les études qui ont été faites indiquent que les standards TRIPS-plus font monter les prix des médicaments comme aussi ils retardent ou restreignent l’introduction de la concurrence des générique. Les ALE ont tendance à protéger les monopoles pharmaceutiques et à empêcher l’accès aux médicaments dans les pays qui signent les accords. Récemment, MSF, Oxfam International et Action International Santé ont donc publié une déclaration jointe disant que les politiques commerciales européennes menacent constamment l’accès à des médicaments essentiels abordables en cherchant à stopper la révision des règles de la propriété intellectuelle.[4] Pendant ce temps, l’Union Européenne est aussi en train de négocier un Accord Commercial Anti-Contrefaçons (ACTA). ACTA qui vise à développer et à mettre en oeuvre un projet multilatéral de renforcement de la propriété intellectuelle pour très probablement retarder la libre circulation des médicaments génériques.[5]

 

L’actuel Rapporteur Spécial des Nations Unies sur le Droit à la Santé, Mr Anand Grover, a récemment souligné le besoin de revoir les accords commerciaux à la lumière de leur impact sur le droit à la santé   et en particulier sur l’accès aux médicaments. Il a conclu que “les pays en développement et les Nations les moins avancées (NMA) ne devraient pas introduire les standards TRIPS-plus dans leurs législations nationales. Les pays développés ne devraient pas encourager les pays en développement et les NMA à entrer dans les TRIPS-plus ALE et  devraient  faire attention aux actions qui peuvent porter atteinte au droit à la santé.[6]

 

En Mai, le Conseil de l’Union Européenne a approuvé les conclusions sur le rôle de l’Union Européenne dans le projet Santé globale. Le paragraphe 15 précise que « le Conseil appelle la Commission et les Etats Membres à prendre en compte les principaux aspects qui contribuent à la santé globale selon les cinq priorités :  les secteurs du commerce et de la finance, les migrations, la sécurité, le sécurité alimentaire et le changement climatique ». Le paragraphe 16a ajoute : L’union Européenne devrait soutenir les pays du tiers monde, en particulier les NMA, dans la mise en oeuvre effective de programmes souples de protection de la santé publique prévus par les accords TRIPS, afin de promouvoir l’accès aux médicaments pour tous, et de s’assurer que les accords commerciaux bilatéraux remplissent bien ces objectifs.

 

 

 

 

Conclusions

 

Les politiques commerciales ont un impact direct sur le droit des peoples à la santé. Cet impact mérite une grande attention, quand on établit les politiques commerciales de l’UE. L’UE doit arrêter de donner la priorité aux intérêts commerciaux. La nécessité pour les Gouvernements africains de préserver leurs ressources douanières pour financer leur secteur santé doit passer avant leur désir d’ouvrir les marchés aux compagnies européennes. Le souci des compagnies européennes de faire le maximum de profits ne justifie pas une poussée  vers la libéralisation du secteur de la santé en Afrique, car entrainerait un déclin de la qualité du service des plus pauvres. Les règles très strictes de la propriété intellectuelle servent les géants des compagnies pharmaceutiques, mais sapent l’accès des plus pauvres aux médicaments de qualité, ; elles ne devraient donc pas figurer dans les accords commerciaux.  

 

 

Thomas Lazzeri & Begona Inarra



[1] Report on Mission to the World Trade Organization (E/CN.4/2004/49/Add.1) du1 Mars 2004.

[2] BusinessEurope est une organisation de lobbying des industries européennes et un grand partisan des politiques économiques néolibérales.

[3] L'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (en anglais, Agreement on Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights : TRIPS) est un accord de l'Organisation mondiale du commerce. Il a pour but d'intégrer les droits de propriété intellectuelle (droits d'auteur, marques de fabrique ou de commerce, brevets, etc.) dans le système OMC.

[4] MSF, Oxfam International et Health Action International. Trading

Away Access to Medicines: How the European Commission's Trade Agenda has taken

an wrong Turn. Octobre 2009

[5] Pour plus d'info sur ACTA voir ACTA et les conséquences pour l'Afrique http://www.aefjn.org/index.php/commerce.310/articles/acta-et-les-consequences-pour-lafrique.html

[6] Office of the High Commissioner for Human Rights.

http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/11session/A.HRC.11.12_en.pdf

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