Les subsides pour le coton mettent les fermiers africains en danger

Coton
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En mars l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) a présenté son initiative pour le coton à Bruxelles. Beaucoup de pays moins avancés dépendent du coton pour la subsistance des ruraux et des revenus d’exportations. Mais peu d’endroits en dépendent à la mesure des quatre membres de l’UEMOA : le Mali, le Bénin, le Burkina Faso et le Tchad (connus comme le Coton-4 ou C-4) où il compte pour 5% à 10% du Produit intérieur brut (PIB)[1]. Avec un PIB moyen par tête de 637 dollars, et faisant partie des pays les moins avancés de la terre, les pays du C-4 dépendent du coton plus que d’aucune autre marchandise pour leurs revenus d’exportation. Dans ces pays, le coton pourvoit à la subsistance de 10 millions des plus pauvres de la terre.

 

Ces pays produisent du coton à meilleur marché que partout ailleurs – un avantage compétitif qui devrait logiquement placer le C-4 dans une position excellente pour bénéficier du désir toujours croissant du monde pour les produits dérivés du coton. Cependant, les subsides payés à leurs producteurs par les Etats-Unis et l’UE, aussi bien que la Chine et l’Inde, ont fatalement miné la capacité des pays du C-4 à se frayer un chemin hors de la pauvreté. L’offensive « initiative du coton » vise à remettre au sommet de l’agenda de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) les demandes du groupe C-4 des pays d’Afrique occidentale producteurs de coton pour une réforme du secteur cotonnier.

 

 

L’impact nuisible des subsides sur les cultivateurs de coton en Afrique

 

Au cours des neuf dernières années, 47 milliards de dollars ont été distribués par les Etats-Unis, l’Union Européenne, la Chine et l’Inde à leurs cultivateurs de coton. Plus de 24 milliards de ces 47 milliards sont allés à des fermiers des Etats-Unis. La Chine a subsidié ses cultivateurs de coton avec plus de 15 milliards, et l’Europe a donné presque 7 milliards aux siens. Les Etats-Unis sont le plus grand exportateur mondial de coton. D’après les chiffres les plus récents, il compte pour 34% des exportations mondiales. L’Afrique de l’Ouest produit aujourd’hui environ 4% de la production mondiale. Les nations du C-4 exportent virtuellement tout leur coton, surtout vers la Chine.

 

Ce sont les cultivateurs de coton américains, et les Européens dans une moindre mesure, qui jouissent des bénéfices des subsides, créant ainsi un effet mondial de réduction des prix. Même malgré un récent pic du prix du coton, celui-ci a perdu plus de la moitié de sa valeur par comparaison avec 1975. Pour le C-4, c’est une situation qui signifie une ruine économique. Sans subsides pour les tirer d’affaire, les fermiers africains luttent contre des inégalités insurmontables pour rester dans la compétition. A son tour, le manque de revenus engendrés par le secteur cotonnier signifie que les gouvernements du C-4 n’ont pas les moyens de construire des routes, des ports et d’autres infrastructures pour catalyser une industrie du vêtement qui pourrait employer des millions de personnes et créer une valeur plus élevée dans un secteur sous-développé.

 

Le déclin des prix du coton en termes réels a désavantagé les cultivateurs africains d’une manière disproportionnée puisqu’ils dépendent aussi lourdement des exportations de coton pour leur subsistance. Ceci explique en partie pourquoi la production du coton chez les 12 principaux producteurs africains de coton a diminué de presque 50% entre 2005 et 2009. Des augmentations des prix du coton sur les marchés mondiaux entre la fin 2007 et 2008 sont passées à côté des fermiers d’Afrique occidentale parce que le dollar était faible vis-à-vis du franc CFA.

 

Les prix mondiaux du coton ne dépendent pas uniquement de l’offre et de la demande de coton. Ils dépendent aussi du niveau des subsides disponibles pour les producteurs et les exportateurs. Un subside est donné aux producteurs de coton; il est basé sur la différence entre le prix mondial et un prix de soutien fixé. En plus de subsides pour la production, les producteurs de coton de l’UE reçoivent aussi des subsides pour des nécessités, comme le crédit pour investir dans des machines, des assurances et une irrigation financée par les pouvoirs publics. Les agriculteurs des Etats-Unis reçoivent un prix garanti, quoi qu’il arrive au prix du coton à l’avenir. C’est pourquoi ils sont encouragés à continuer à produire du coton.

 

Un prix garanti fait que les décisions pour la production ne sont pas entièrement mues par le marché. Des subsides mènent à des niveaux de production plus élevés que ceux que l’offre et la demande détermineraient naturellement dans un libre échange. Le prix mondial s’écroule lorsque la provision de coton est augmentée artificiellement de cette façon. Si les subsides étaient éliminés, la production pourrait décliner dans les pays qui subsidient le coton, mais elle augmenterait rapidement dans les autres pays en réponse à des prix plus élevés. Il en résulterait que la production se déplacerait vers des pays qui produisent à moindre coût, comme le C-4.

 

Le Comité Consultatif International du Coton (CCIC) dit que les subsides réduisent les prix de 10%; la Banque Mondiale dit qu’il les réduisent de 12,9%, ce qui se monte à une perte annuelle de revenus de 147 millions de dollars. Oxfam calcule qu’en supprimant uniquement les subsides des Etats-Unis pour le coton, les prix mondiaux augmenteraient de 6 à 14%, les prix des producteurs en Afrique occidentale de 5  à 12%, et le revenu moyen des ménages en Afrique occidentale de 2 à 9% - assez pour soutenir les dépenses alimentaires d’un million de personnes.

 

D’après le CCIC, les Etats-Unis ne sont pas seulement le premier exportateur mondial, mais aussi le pays dont les coûts de production sont parmi les plus élevés : alors que le coût moyen de production est de 0,8 dollars par livre aux Etats-Unis, le coût de la production est de 0,35 dollar au Bénin. Par conséquent, les Etats-Unis subsidient leurs exportations pour être compétitifs vis-à-vis des pays les plus pauvres du monde, qui détiennent aussi un avantage compétitif naturel pour le coton.

 

Les Etats-Unis peuvent avoir le montant global de subsides le plus élevé, mais l’UE distribue le plus haut montant de subsides par livre de coton. En 2009/10, l’aide moyenne par livre produite en UE était 2,51 dollars, contre 0,14 dollars aux Etats-Unis. Les subsides pour le coton dans l’UE ont commencé comme une partie de la Politique agricole commune (PAC) en 1981, lorsque la Grèce fut le premier pays producteur de coton à rejoindre ce qui était alors la Communauté européenne. L’Espagne suivit peu après et, aujourd’hui, les subsides pour le coton sont distribués à environ 100.000 producteurs en Europe : 10.000 en Espagne et 90.000 en Grèce.

 

La Commission Européenne est consciente de l’impact nuisible de ses subsides pour le coton sur les cultivateurs de coton africains. Le Rapport de 2007 sur la cohérence de la politique de développement reconnaît que « l’UE continue à dépenser de 800 à 900 millions d’euros par année en relation avec la culture du coton, tandis que le même produit est cultivé en Afrique à moindre coût et en faisant vivre plus de 15 millions de personnes. L’UE n’est pas un producteur de coton important au niveau mondial. Mais en réduisant encore sa production de coton, l’UE ferait un pas qui aurait des chances d’assister les producteurs africains. »[2] En même temps, aucun pas concret n’a été fait par l’UE pour réagir aux conclusions du rapport.

 

 

Le problème du coton au niveau de l’OMC

 

En 2005, l’OMC a essayé de créer un cadre pour le commerce du coton, qui verrait l’élimination par étapes des subsides des Etats-Unis et de l’UE qui faussent le commerce du coton. Cependant, les promesses n’ont pas été tenues. Les ministres du commerce de chaque état membre de l’OMC, y compris ceux de l’UE et des Etats-Unis, ont convenu solennellement, dans la déclaration de l’OMC de Hong-Kong, que le coton devait être traité ‘de manière ambitieuse, expéditive et spécifique.’ Cependant, la déclaration n’a pas été suivie d’action concrète.

 

Les chances que le C-4 obtienne un succès significatif dans un procès à l’OMC sont minces. En 2002, le Brésil a utilisé le système de règlement des litiges de l’OMC pour porter plainte légalement contre les Etats-Unis, à cause des subsides de l’Amérique pour le coton. Le Brésil argumentait que les subsides des Etats-Unis pour le coton violaient des accords conclus durant la négociation mondiale précédente : le cycle de l’Uruguay, et que les subsides des Etats-Unis pour le coton faisaient du tort aux cultivateurs brésiliens de coton. Dans une bataille légale interminable à l’OMC, le Brésil a gagné en 2009 le droit d’user de représailles contre les Etats-Unis. L’OMC a condamné les Etats-Unis pour avoir utilisé des subsides à l’exportation interdits et pour avoir dépassé la limite autorisée sur le montant de subsides qui faussent le commerce. Au début 2010, un accord provisoire entre les deux nations a abouti à ce que le Brésil suspende les représailles jusqu’à ce que les Etats-Unis établissent un nouveau régime de soutien du coton dans le cadre du prochain projet de loi sur l’agriculture attendu en 2012.

 

Au cours du procès, les Etats-Unis ont prouvé leur capacité à pousser le système de l’OMC à la limite. Ils ont utilisé des procédures et des appels pour prolonger et postposer les sentences finales. En fin de compte, l’accord avec le Brésil ne cherche pas à éliminer les subsides, seulement à les limiter.

 

Le C-4 est dans la même situation légale que le Brésil et il pourrait aussi entamer un procès contre les Etats-Unis. Cependant, pour le C-4, le fait d’introduire sa propre résolution du conflit ne lui donnerait qu’une victoire morale. En pratique, les mesures de représailles s’appliquent aux importations. Le Brésil a beaucoup de moyens pour exercer des représailles contre les Etats-Unis, mais les pays du C-4 n’importent pas beaucoup des Etats-Unis. Des sanctions sur cette petite quantité ne toucheraient pas fort l’économie des Etats-Unis. De plus, la résolution des conflits a comme objectif l’observance des lois et engagements existants. Ce que le C-4 désire et dont il a besoin, c’est un nouvel engagement pour éliminer tous les subsides sur le coton qui faussent le commerce. Le seul moyen d’obtenir cela, ce sont des négociations à l’intérieur d’un cycle comme le Cycle de Doha. Maintenant cependant, avec les négociations du Cycle de Doha qui n’aboutissent à rien, il faut trouver de nouvelles opportunités pour traiter le problème. En ce sens, l’initiative de l’UEMOA pour le coton est un premier pas important pour attirer l’attention et mettre en lumière les difficultés auxquelles font face les planteurs de coton en Afrique.

Thomas Lazzeri



[1] Les données de cet article sont tirées de Fairtrade, 2011, Coton: le roman noir de l'or blanc.

[2] Commission Européenne, 2007, Rapport de l’UE sur la politique de cohérence pour le développement

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