Selon la Banque Mondiale les APE des services n’augurent rien de bon pour l'Afrique

Banque Mondiale
Banque Mondiale

La Commission Européenne souhaiterait que les Accords de Partenariat Economique (APE) complets et finals introduisent un accord sur le commerce des services. Les Services englobent un grand nombre d'activités allant de la fourniture d'eau potable, l'approvisionnement en énergie, l'enseignement, les soins de santé, les télécommunications, jusqu’aux services pour le monde des affaires tel que les banques, les avocats et les comptables. Les APE intérimaires, que certains pays africains ont signé concernent uniquement le commerce des marchandises  et ne comprennent pas les services. La plupart des pays africains sont réticents à inclure les services dans l'accord définitif (le Mozambique est l'une des très rares exceptions) et jusqu’à présent il n’y a eu aucun accord  sur l'inclusion des services dans les APE avec les pays africains. Le seul APE qui jusqu'ici a intégré  les services est l'APE avec les pays des Caraïbes, qui est aussi l’unique APE complet signé jusqu'à présent.


Il faut noter ici que l'inclusion des services et d’autres domaines qui touchent au commerce, tels que par exemple les droits de propriété intellectuelle, n'est pas nécessaire pour que les APE soient compatibles avec les conventions de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Un accord uniquement sur les marchandises est tout à fait suffisant pour être compatible avec l'OMC. Cependant, une fois que les deux parties s'engagent à inclure dans l'accord le commerce des services, celui-ci doit être fait d’une manière compatible avec l’OMC. En particulier avec l'article V de l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) de l'OMC qui appelle à une libéralisation couvrant un nombre substantiel de secteurs.

 


Etude de la Banque  Mondiale sur les APE des services


En août 2010, la Banque Mondiale a publié une étude sur l'inclusion des services dans les APE[1]. Le rapport mentionne que les services sont un secteur économique de plus en plus important dans de nombreux pays africains et qu’il y a là des marges considérables pour une croissance à l’avenir. Le rapport prévient que la libéralisation du secteur des services tend à être plus compliquée que la libéralisation du commerce des marchandises. La libéralisation du commerce des services doit être coordonnée avec des réformes réglementées et des mesures de politiques supplémentaires pour pouvoir atteindre le résultat souhaité et prévoir un recours en cas de défaillance du marché. En outre, il faudrait mettre en place des mécanismes pour assurer que les services essentiels (par ex. l'accès aux soins de santé, l’enseignement) ne soient pas compromis par la libéralisation du commerce et que la libéralisation n'entraîne pas la détérioration de la fourniture des services essentiels aux plus pauvres parce que ceux-ci sont les moins rentables à servir. La capacité à mettre en œuvre des politiques solides de réglementation pour le secteur des services est limitée dans de nombreux pays africains.


Pour planifier efficacement la libéralisation des services et négocier efficacement un accord commercial sur la libéralisation des services, il faut que les gouvernements aient des informations détaillées sur la nature des réglementations et des restrictions commerciales de tous les secteurs faisant partie de la discussion. Le fait que de nombreux pays africains n’aient pas de données complètes sur leur secteur des services, entrave leur capacité à participer efficacement aux négociations et à défendre correctement leurs intérêts.

 

Pour devenir un moteur de développement du continent africain, le type de réformes nécessaires dans le secteur des services ne peut être atteint de manière efficace à travers les APE. Par nature les accords commerciaux tels que les APE sont le résultat des concessions mutuelles de négociation, dans lesquelles les deux parties essaient de maximiser leurs avantages et de réduire leurs pertes au minimum. Ce qu'il faut de fait, c’est une collaboration constructive entre l'UE et les pays africains pour entreprendre les réformes nécessaires dans le secteur des services en Afrique selon les bases spécifiques du pays et du secteur. Une telle approche n'est pas possible dans l’APE, qui comme indiqué ci-dessus prévoit la libéralisation de pratiquement tous les secteurs afin d'être compatible avec l'OMC. L'assistance technique et financière nécessaire aux pays africains pour réformer leur secteur des services doit être séparée des négociations commerciales et l'UE devrait l’offrir indépendamment d’une signature ou non des APE.


En outre, l’unique catégorie de services que les pays africains pourraient de façon réaliste espérer exporter en ce moment vers l'Europe, est le mouvement temporaire des personnes physiques (par exemple une infirmière) de l'Afrique vers l'Europe, afin de fournir le service (le secteur de service Mode 4 de l’AGCS pour utiliser le vocabulaire de l'OMC). Il est absolument irréaliste de croire que les Africains seront en mesure d'ouvrir des banques ou des cabinets d'avocats en Europe. Toutefois, l'UE est très réticente à faire des concessions dans ce secteur, en particulier en ce qui concerne le mouvement temporaire de la main d’œuvre non qualifiée, parce que les Etats membres de l'UE ont peur de l'arrivée de migrants vers l'Europe et ils sont préoccupés que ces derniers ne retournent pas en Afrique.

 

L’alternative d’une intégration régionale plus profonde

 

Selon une étude de la Banque Mondiale, la libéralisation au niveau régional est une meilleure alternative pour les pays africains car elle permettrait aux fournisseurs de services régionaux d'émerger et donnerait aux gouvernements la possibilité d'acquérir une expérience de réglementation avant l'ouverture totale du secteur des services.


Dans une autre étude[2] qui analyse le secteur des services dans la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) la Banque mondiale appelle aussi à une plus ample intégration au niveau régional. L'étude montre que la fragmentation des marchés régionaux dans les services professionnels causée par des politiques restrictives et par l'hétérogénéité de réglementation, représente un obstacle sérieux à la croissance du secteur des services.


L'intégration régionale favoriserait la concurrence entre les fournisseurs de services, leur permettant d'exploiter les économies d'échelle et de proposer une plus grande variété de services. Un marché régional plus vaste pourrait probablement être en mesure d'attirer une plus grande quantité d'investissements nationaux et étrangers. Une coopération réglementée en vue de surmonter les différences au niveau régional devrait avoir lieu en particulier dans les domaines suivants: coopération pour éliminer les restrictions au libre mouvement de la main-d’œuvre (y compris les visas et les lois d'immigration), coopération pour améliorer le financement et la capacité de la formation professionnelle, reconnaissance de réciprocité des qualifications (par ex. diplômes), et développement de normes communes.

 


Services dans l'APE CARIFORUM


L'APE CARIFORUM (avec les pays des Caraïbes) est l’unique APE complet signé à ce jour et aussi l’unique qui contienne un chapitre sur les services. L'accord est compatible avec l'article V de l’AGCS, qui prévoit une importante couverture sectorielle dans la libéralisation des services. Selon l’interprétation de l'UE les pays les moins avancés devaient libéraliser au moins 65% de leur secteur des services et les pays des Caraïbes plus développés au moins 75%. Pour de nombreux pays des Caraïbes, cela signifiait un changement considérable, par exemple pour le Suriname de 15 à 75%,  pour Grenada de 23 à 69% et pour la Guyane, de 19 au 82%. L'UE de son côté a du faire  très peu de nouvelles libéralisations outre celles qu'elle avait de toute façon déjà libéralisées[3]. Le texte de l'APE contient beaucoup moins de marge de manœuvre pour les pays en voie de développement et  pour les pays les moins  développés que ce qui est prévu dans l'AGCS.


L'APE CARIFORUM réduit considérablement le champ d'application Mode 4 de l’AGCS sur le mouvement temporaire des personnes physiques qui fournissent des services à l'étranger. Le Mode 4 de l’AGCS couvre toutes les catégories de travailleurs, tandis que l'APE de l'UE l’a limité à six catégories d’élite de travailleurs qualifiés, réduisant ainsi les avantages que les pays des Caraïbes pourraient obtenir de l'APE.

L'APE CARIFORUM contient également une série d'éléments, qui vont au-delà de ce qui est prévu au niveau de l'OMC. Les pays ACP avaient rejeté l'inclusion des ‘questions de Singapour'[4] - investissement, concurrence, marchés publics - dans l'OMC et ont décroché le passage des disciplines de grande envergure sur les réglementations intérieures des services. Faute d’avoir obtenu la libéralisation de ces matières multilatéralement au niveau de l'OMC, l'UE a réussi à l'obtenir bilatéralement dans l'APE, dans lequel les pays des Caraïbes ont succombé à la pression de l'UE. Dans l'APE,  es États des Caraïbes ont accepté de libéraliser leur secteur financier, y compris le système bancaire et les règlementations sur les investissements, réduisant ainsi leur capacité à contrôler les flux de capitaux spéculatifs  et les actifs potentiellement toxiques, qui ont provoqué la crise financière.



Conclusions

L'étude de la Banque mondiale montre clairement que des APE incluant les services ne sont pas dans l'intérêt des Africains. En particulier, il y aurait peu de bénéfices pour les Africains si la Commission insiste sur l'interprétation restrictive du Mode 4 et il n'y a aucune raison de croire que l'UE fera plus de concessions aux pays africains qu'elle ne l’a fait aux pays des Caraïbes. On peut même penser que ces concessions risquent d'être encore plus restrictives. Par ailleurs, il n'est pas nécessaire d'inclure des services pour que les APE soient compatibles avec l'OMC. D’autres formes de coopération où l'objectif est de promouvoir l'intégration régionale dans le secteur des services et d’aider les acteurs régionaux à émerger, sont plus utiles pour le développement du secteur des services en Afrique qu’un accord de libre-échange comme l’APE qui impose pratiquement la libéralisation de tous les échanges dans les services.


Thomas Lazzeri





[1] Brenton P., Dihel N., Hinkle L., Strychacz N., 2010, Africa's Trade in Services and the Opportunities and Risks of Economic Partnership Agreements, Africa Trade Policy Notes N. 6

 

[2] Divel N., Fernandes A. M., Mattoo A., Strychacz N., 2010, Reform and Regional Integration of Professional Services in East Africa, Economic Premise

 

[3] Kelsey, J. 2010, Legal Analysis of Services and Investment in the CARIFORUM-EC EPA: Lessons for other Developing Countries, South Centre Research Paper 31.

 

[4] Nommé «questions de Singapour» parce que le refus de les inclure a été exprimés lors de la ronde de négociations de l'OMC à Singapour.

 

Go back