Surveillance et référence aux APE
Les négociations des Accords de Partenariat Economique (APE) sont en cours depuis des années et même si elles progressent plus lentement que ne le veut l'UE, le nombre d'APE signés croît. Le plus récent est l'accord intérimaire avec certains pays du groupe de l'Afrique orientale et australe (ESA). D'autres sont attendus dans les semaines et mois qui viennent. Malgré l'importance d'un suivi du processus des négociations en lui-même, il faut penser aussi à ce qui va se passer au-delà des négociations et de la signature. La signature des APE ne signifie pas qu'il n'y a plus rien à dire ou faire à propos des APE. En fait, il reste énormément à faire pour la société civile et pour des ONG, telles AEFJN, une fois que la mise en application des accords APE est sur rail.
La société civile a un rôle important à jouer dans la surveillance et le contrôle des points de référence des APE. Il s'agit de vérifier si les APE répondent aux objectifs pour lesquels ils furent créés. En d'autres mots, nous demandons à savoir ce que les APE apportent aux Africains. L'UE a toujours déclaré que les APE n'étaient pas que des accords commerciaux de libre échange mais un outil pour contribuer au développement et au bien-être des africains. Ce processus permet de réaliser si c'est la vérité ou s'il ne s'agit que de rhétorique.
Ce processus devient très important car les APE, tels les accords intérimaires avec la SADC prévoient une clause de révision durant cinq années ainsi que la création d'une série d'institutions y attachées, tels le Conseil Joint[1] qui doit superviser et administrer la mise en application de l'accord et donner recommandations et rapports sur les différents points. Le Conseil Joint est aidé dans son travail par le Comité du Commerce et du Développement constitué de personnalités importantes des deux parties. Il sera important d'interroger et le conseil et les comités quant à la surveillance et la référence aux APE et demander des améliorations si nécessaire. Les APE signés avec les Caraïbes, seuls accords finaux négociés à ce jour, prévoient la création d'un Comité Consultatif avec participation de représentants des sociétés civiles, tant d'Europe que des Caraïbes. Il n'est pas possible aujourd'hui de dire si la version africaine finale des APE prévoit un tel comité et il est important que, de toute manière, la société civile pousse à ce qu'il y figure.
Avant d'envisager les aspects pratiques, il faut donner une brève définition des termes utilisés :
Points de référence : ce terme (an anglais benchmarking) fut utilisé en premier lieu par les cordonniers pour marquer la forme du pied en vue de la fabrication de chaussures. Le pied est posé sur une planche et le contour est dessiné pour le modèle de la chaussure. Les contrôles des « points de référence » deviennent ainsi une discipline de gestion stratégique et permettent de comparer prix, productivité, ou qualité d'un processus spécifique ou d'une méthode par rapport à une autre considérée par une large part pour être la meilleure. Le dictionnaire Chambers donne un bref aperçu de la performance et vous aide à comprendre où l'on peut se trouver en lien avec une norme plus particulière. Cela peut permettre des changements bénéfiques.
Surveillance : ce terme (monitoring en anglais) est comme un parapluie pour tout ce qui a trait à la sauvegarde, l'observation ou la surveillance systématiques d'une opération ou d'un processus en cours par des aides techniques ou d'autres moyens d'observation. Cette surveillance a pour fonction d'intervenir dans une séquence ou un processus repérés s'ils ne suivent pas le cours attendu ou si certains seuils ne sont pas atteints.
Comme on l'a déjà dit, les APE devraient être des outils de développement en Afrique. La croissance économique est une condition nécessaire pour le développement mais seule, elle n'est pas suffisante pour l'assurer.
Pour être tête de pont du développement, la croissance doit profiter à une large part de la population et non à une seule minorité. Pour réduire la pauvreté d'une manière durable, il faut permettre la création d'emplois, des capacités de travail augmentées pour les ouvriers, des développements technologiques, l'accroissement des possibilités commerciales et un meilleur accès à la finance. L'agriculture est la source principale de moyens pour vivre pour les pauvres en Afrique et une productivité accrue dans ce secteur est vitale pour l'amélioration du bien-être de l'ensemble.
Les fruits de la croissance économique redistribués dans la population active dans son ensemble, en vue d'un vrai développement, vont permettre que les groupes marginalisés de la population, souvent les femmes, bénéficient d'un meilleur accès à l'éducation, la propriété, l'emploi et les revenus. La comparaison entre données statistiques du moment où les APE deviennent opérants et celles des années postérieures est une manière de mesurer l'impact des APE dans ces domaines. La collecte de récits de vie est peut-être la meilleure manière par laquelle AEFJN peut permettre que la voix des Africains soit entendue et complète les données statistiques arides par ces descriptions approfondies de cas concrets.
La croissance fait référence à la capacité à produire des biens commercialisables qui peuvent être vendus sur le marché domestique et international. Pour les pays en développement, la croissance de la production pour l'exportation de biens de première nécessité et peu transformés va permettre une importation accrue de biens technologiques et de niveau moyen, ou de produits finis qui ne peuvent être valablement fabriqués à un prix raisonnable par l'économie domestique.
Cette production accrue doit bien sûr répondre à une demande plus grande qui peut l'absorber. C'est en lien direct avec le commerce international. Les accords APE par leur accent sur la suppression des barrières économiques et la libre circulation des marchandises sont conçus pour créer cette croissance par le biais d'exportations plus importantes et d'un accès plus aisé au marché de l'UE.
Une production accrue est une condition nécessaire au développement économique. L'expérience antérieure prouve que le développement est étroitement lié à la diversification économique, à une modernisation notoire de l'agriculture et de l'industrialisation. Deux éléments variables, pour les exportations, vont nous permettre de voir si les APE ont été bénéfiques pour les pays africains. Pour l'un, il s'agit du volume général du commerce avec l'UE ; pour l'autre, de la composition de ce commerce. Le flux habituel du commerce en provenance d'Afrique provient surtout de matières premières ou de produits à faible valeur ajoutée tels les minéraux, le pétrole et les produits agricoles de base.
Les indicateurs économiques de croissance et de développement se reconnaissent dans l'industrialisation et la productivité du travail. L'industrialisation diversifie la productivité d'une production agricole à faible rendement vers une productivité industrielle, surtout dans la manufacture. Pour arriver à cette croissance, il faut augmenter les investissements dans l'infrastructure du transport, de la communication, de l'accès à l'eau et à l'électricité. Il faut, dans ce cas, observer si le réseau routier grandit, si l'accès à l'eau s'intensifie et si les moyens de communication, comme le téléphone et l'internet, s'élargissent.
D'autres indicateurs importants du développement et du bien-être d'une société se retrouvent dans ceux qui reflètent la qualité de vie, ainsi l'éducation et la santé. L'accroissement des investissements gouvernementaux dans les écoles et les universités ainsi qu'un meilleur taux d'alphabétisation sont des points de repère dans le secteur de l'éducation. L'espérance de vie allongée et la diminution du taux de mortalité infantile sont de bons repères dans le domaine de la santé. Les investissements dans le secteur social comme dans celui des infrastructures dépendent de la disponibilité d'un état d'utiliser ses ressources. Les APE auront sans doute un impact concret sur ceci puisqu'ils prévoient la réduction et l'annulation des droits de douanes sur les importations de l'UE. Ces taxes douanières représentent une part importante des recettes pour beaucoup de pays africains. A titre d'exemple, les taxes douanières constituaient, en 2005, 38% du revenu global de la Tanzanie, 49 % pour le Lesotho et 69 % pour le Swaziland. Il sera important de surveiller comment les gouvernements vont gérer ce manque important de revenus provenant des taxes douanières.
Ces aspects permettent d'observer assez facilement les voies par lesquelles les APE peuvent être contrôlés. Il est clair que la surveillance et l'étude des points de référence ne peut se faire en quelques semaines. Il faudra des mois et même parfois des années avant de rassembler assez de données pour avancer un argument concluant. Il faut pourtant, dès maintenant, cerner le processus et rassembler l'information nécessaire pour pouvoir, dans le futur, évaluer les APE et leur impact et présenter les conclusions de ces recherches aux institutions concernées.
Thomas Lazzeri
[1] Le conseil Joint est formé par le Conseil de l'UE, la Commission Européenne et les ministres des pays de la SADC