1701 Les perturbateurs endocriniens
Après plusieurs années de tergiversations et de tensions, la Commission Européenne vient de publier une définition des perturbateurs endocriniens qui doit permettre de renforcer la protection contre les nombreuses substances - la plus connue est le bisphénol A des biberons – utilisées quotidiennement mais qui ont ou sont suspectées d'avoir des effets délétères sur l'organisme humain. Ces produits se substituent aux hormones humaines, causant les dommages surtout aux embryons et aux nourrissons. La proposition de la Commission Européenne doit encore être approuvée par les 28 pays et sera débattue au Parlement Européen. De nombreux groupes - y compris la majorité des parlementaires européens - estiment que la Commission, sous l'influence des lobbies, néglige le principe de précaution.
Définition
Selon l'OMS, un perturbateur endocrinien (PE) est une substance (ou un mélange) qui modifie les fonctions du système hormonal et qui a en conséquence des effets nocifs sur la santé ou la reproduction des populations, y compris à très faibles niveaux d'exposition. Les chercheurs retiennent la classification en trois catégories, comme pour les substances cancérigènes: PE certains, suspectés et substances actives qui peuvent modifier le système hormonal mais sans certitude de nocivité sur la santé. Mécanisme d’action :
"Tous les êtres vivants, des bactéries jusqu'à l'homme, émettent des hormones, destinées à gouverner les organes. Un PE est une substance qui mime l'hormone et vient tromper" l'organisme, résume le biologiste Gilles Boeuf.
Problèmes de santé
Les perturbateurs endocriniens sont présents dans de nombreux produits (630 produits répertoriés) de la vie quotidienne.
• Les perturbateurs endocriniens (PE) peuvent se retrouver dans les jouets, les peintures, les cosmétiques ou encore les contenants alimentaires (boîtes de conserve, emballages plastifiés contenant des phtalates...) mais aussi dans des eaux usées après purification (avec un effet bien connu sur les animaux qui dépendent de cet environnement).
• On les retrouve aussi dans les pesticides. Le glyphosate (Roundup), premier herbicide utilisé dans le monde, est ainsi soupçonné d'en faire partie.
• L'un des plus connus, le Bisphénol A, a été banni des biberons en 2011 au sein de l'Union Européenne. Seule la France est allée plus loin en l'interdisant également des autres contenants alimentaires depuis 2015.
Ils peuvent conduire à des pathologies et anomalies chez l'homme et l'animal.
• De nombreuses études ont démontré depuis longtemps que les PE diminuaient la fertilité humaine et avançaient l'âge de la puberté chez les filles.
• Scientifiques et médecins s'alarment en particulier de leur nocivité au stade embryonnaire. Les chercheurs ont ainsi repéré le lien entre ces substances et l'augmentation des cas d'hypospadias, une anomalie congénitale de la verge avec l'orifice de l'urètre anormalement positionné. Chez les filles, ils sont incriminés dans la recrudescence des cas de puberté précoce.
• Depuis quelques années, les PE sont aussi soupçonnés d'avoir des effets nocifs sur le système immunitaire et la fonction respiratoire chez l'enfant, mais également de favoriser le diabète et par conséquent, l'obésité.
Certains des effets indésirables causés par les perturbateurs endocriniens (par exemple les effets sur la reproduction) sont évalués depuis de nombreuses années et les substances ont déjà été interdites par l'UE. De même, quelques PE ont été interdits dans le cadre de l'accord REACH de 2006 (contrôle des produits chimiques). Les interdits concernent surtout les objets de puériculture et les jouets.
Problème politique
Depuis 2009, la Commission Européenne planche sur un cadre pour réglementer l'utilisation des perturbateurs endocriniens. Les critères scientifiques tardent à être définis. De grandes firmes et les négociations du TTPI ont combattu les premières régulations. Les 28 pays de l'UE ne sont pas d'accord entre eux. Les lobbies sont même parvenus à évincer la direction générale Environnement de la Commission mandatée pour définir les critères, favorable à l’application du principe de précaution, au profit de la direction générale Santé.
’Il s’agit de trouver le meilleur équilibre entre la protection de la santé humaine et les intérêts socio-économiques.’
La Commission Européenne a enfin publié ce 7 décembre 2016 ses propositions très attendues pour permettre de définir, et donc encadrer, les "perturbateurs endocriniens".
Selon les critères définis par Bruxelles qui se fondent sur ceux de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), un perturbateur endocrinien est une substance qui a des effets indésirables sur la santé humaine et qui agit sur le système hormonal, et dont le lien entre les deux est prouvé.
Les "critères stricts" proposés "fondés sur la science, (...) feront du système réglementaire de l'UE le premier dans le monde à définir ces critères scientifiques sur le plan législatif", s'est félicité dans un communiqué le président de la Commission Jean-Claude Juncker.
Des questions en suspens
• Les critères sont jugés trop stricts. L'étude des produits a commencé dans plusieurs pays (USA, France, Suisse, Belgique) mais il faudrait soumettre tous les produits suspects aux mêmes tests sur l'organisme humain que ceux employés pour les nouveaux médicaments et entre autres définir le mécanisme biologique selon lequel ils agissent. C'est impossible. En fait, les effets toxiques sont le plus souvent prouvés sur des animaux mais par sur l'homme. Moins de 70 substances (sur 630 répertoriées) risqueraient d’être interdites si ces critères venaient à être adoptés.
• Les PE ne sont pas tous connus, ce qui implique de mettre au point de nouveaux tests, par exemple pour mieux suivre les substances agissant sur la fonction thyroïdienne.
• Quel est l'impact exact de ces substances chimiques selon les doses? Quel est le risque potentiel lorsque ces substances sont mélangées entre elles?
• Il apparaît aussi une contradiction : d'un côté, nombre de pays européens poussent (par l'intermédiaire de réglementations) à la diminution de l'utilisation de ces agents chimiques, mais, d'un autre côté, l'importation ne semble pas disposer d'un système de contrôle suffisant.
Des recherches de solution
Les études en cours continuent pour améliorer les tests et pour définir l'impact de chaque PE suspect sur la santé.
Beaucoup de recherches s'orientent déjà sur les alternatives aux produits suspectés, entre autres les emballages[1].
Malheureusement au point de vue politique, il n'y a pas de consensus. Le Parlement Européen semble déterminé à ne pas accepter les critères restrictifs d'autant plus que la Commission a ajouté des possibilités de dérogation jugées inacceptables. En outre, comme les Etats ne sont pas d'accord entre eux, la Commission a dû pour le moment retirer sa proposition du vote.
Dr Daveloose
[1] En attendant que les réglementations évoluent, une chercheuse préconise quelques mesures "simples" : ne plus réchauffer au micro-ondes de la nourriture placée dans des récipients en plastique ou recouverts d'une pellicule en plastique et laver ces récipients utilisés à la main plutôt qu'au lave-vaisselle.