Les médicaments de qualité bon marché mis en danger?

La mondialisation a fait changer la manière d’agir et de faire des bénéfices dans le monde des affaires. Aujourd’hui, beaucoup de profits générés par l’industrie et les services proviennent des droits d’auteurs, des inventions et autres par le biais des lois régissant la « propriété intellectuelle » (PI). Ceci a des implications dans l’accès à la technologie, à l’information, aux médicaments et aux semences.


La règlementation de la propriété intellectuelle est devenue la nouvelle arme par laquelle les pays riches « contrôlent » les pays du Sud. Ces règlementations très strictes ont aussi un impact dans l’organisation de la santé publique dans les pays en développement.


Les accords ADPIC sur les Droits de la propriété intellectuelle, négociés en 1994, obligent tous les membres de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) d’établir dans leur pays, pour 2005, la protection des brevets. Ceci fut considéré comme une entrave à la santé publique dans les pays à revenu faible ou modéré. Ces règlementations de PI ont provoqué un décroissement dans l’accès aux médicaments bon marché, répliques des médicaments protégés par les brevets. Suite aux protestations des pays concernés et de leur société civile, l’OMC a accepté la Déclaration de Doha en 2001. Celle-ci permet aux pays en développement de passer outre les brevets lors d’urgences dans le domaine de la santé publique, en utilisant les « licences obligatoires »1 et les autorise à produire ou importer des médicaments génériques.


Les médicaments génériques sont un facteur important du progrès de la santé publique dans les pays en développement. Ces génériques sont aujourd’hui de bonne qualité et coûtent en moyenne un tiers du même médicament breveté. Les règles strictes de la PI montent les prix des brevets et assurent la cherté des produits, elles réduisent et retardent aussi l’Afrique dans la compétition pour les génériques. Ceci affecte les soins de santé dans ce continent.


Au fil des ans, les pays occidentaux ont tendance à imposer des règles de propriété intellectuelle plus strictes. Ils font cela par l’usage des accords de libéralisation du commerce avec le Sud. Les conflits entre les défenseurs de la loi de la PI et ceux de la santé publique se sont intensifiés ces derniers temps. Nous trouvons d’un côté de la barre les grandes sociétés pharmaceutiques, l’OMC, les USA et l’UE, et de l’autre, la société civile et les institutions de la santé publique. Ces deux groupes s’affrontent pour l’accès aux médicaments dans les pays en développement. Au centre du combat, on retrouve la valeur et le rôle des brevets dans la production pharmaceutique et leur impact négatif dans la protection de la santé publique.


L’accord ADPIC, malgré ses limites, reconnaît les besoins des pays dans le domaine de la santé publique et permet une certaine flexibilité. L’UE, quant à elle, dans les accords économiques postérieurs, tels les accords de partenariat économique (APE) avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), ajoute des clauses sur la PI qui vont bien au- delà des exigences de l’OMC. La validité des brevets s’étend à 20 années et l’octroi de licences obligatoires est réduit ; les marchés africains se voient donc retardés dans leur accès aux génériques. Les règles de l’UE protègent et étendent les monopoles des produits pharmaceutiques brevetés et autorisent les sociétés détentrices de prélever des prix en lien avec leur monopoles, une source de bénéfices plantureux. Ces bénéfices commerciaux sont réalisés au détriment de la santé des africains. Vu la marginalisation des génériques, le prix des médicaments montent en général et réduit l’accès aux médicaments de base. Voilà l’effet des règles strictes de PI.


La Commission européenne affirme que le Cariforum-APE (la seule région qui a signé l’APE final) promeut la flexibilité de l’ADPIC pour l’accès aux médicaments et pourtant certains craignent l’imposition d’une règlementation forte de la PI, lors des négociations de l’APE avec les régions d’Afrique.


L’UE a tendance dans ses relations avec les pays en développement de reprendre d’une main ce qu’elle venait de donner de l’autre. L’UE, dans sa politique de développement s’est fortement impliquée pour améliorer la santé des populations et pourtant, l’imposition de règles strictes de PI dans les accords économiques qu’elle doit signer avec les ACP mine cet engagement. Il faut souligner que les règles de PI que l’UE essaie d’imposer aux régions africaines sont en opposition avec les résolutions du Parlement européen et avec les engagements pris par l’UE dans le domaine de l’accès aux médicaments.


 L’ « Anti-Counterfeiting Trade Agreement », (ACTA - Accord commercial sur la Contrefaçon) représente actuellement un autre danger pour l’accès à des médicaments bon marché. Cet accord est en cours de négociation entre des pays riches tels les USA, le Japon, le Canada, l’Australie et l’UE. Il fait partie d’une stratégie plus large qui appuie une rigidité renforcée  des droits de PI. En effet, il va certainement compromettre l’accès à des médicaments génériques à bas prix qui seront considérés comme des produits de contrefaçon. La saisie de génériques faite récemment par la douane hollandaise illustre cette crainte. Ces médicaments étaient de « bonne qualité » et transitaient par les Pays-Bas (destinés pour une part au Brésil et pour l’autre au Nigeria et venant tous deux d’Inde). Alors que les autorités officielles déclarent ces médicaments être contrefaits, en violation avec les lois liées aux brevets, UNITAID2, agence dont le siège est à Genève, qui a payé ces produits, a demandé leur remise en circulation et déclaré que les plaintes n’étaient pas justifiées.


La société civile, en Afrique comme  ailleurs dans le monde, peut jouer un rôle pour empêcher ces menaces de devenir réalité. Il faut maintenir la cohérence entre les Accords de Partenariat Economique (APE) et la politique européenne de santé publique pour les pays en développement. Les accords devraient souligner que le renforcement des mesures de PI ne détourne pas les ressources de secteurs prioritaires tels la santé.
L’UE doit mettre en premier lieu dans les APE son engagement à soutenir le développement plutôt que l’assurance de l’application rigoureuse des règlementations de PI.

Begoña Iñarra

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