L’industrie des armes en UE et la crise de l’UE

La mondialisation a fortement modifié le commerce des armes. La crise qui affecte l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis a contribué au déplacement de la principale destination de l’équipement militaire vers le Moyen-Orient et l’Asie. L’industrie militaire de l’UE qui, dans le passé, dirigeait sa production vers l’UE et les Etats-Unis, exporte actuellement sa production vers les pays en développement[1]. Les dépenses militaires, qui génèrent moins d’emplois que les mêmes dépenses pour l’éducation, la santé ou les transports publics, devraient être fortement diminuées pour permettre à cet argent de créer de nouveaux emplois.

 

La crise financière et économique qui affecte l’UE et les mesures d’austérité qui ont suivi ont exercé un impact sur les budgets de la défense dans la plupart des états membres de l’UE. Depuis 2008, 21 pays ont diminué leurs dépenses militaires. De 2007 à 2012, seuls Chypre, la Finlande, l’Allemagne, le Luxembourg, la Pologne et la Suède ont augmenté leurs dépenses militaires. En 2011, la Grèce a diminué ses dépenses de 36%, l’Italie de 37%, le Portugal de 16% et l’Espagne de 18%. Mais les réductions proviennent principalement d’une diminution du personnel et d’une réduction des salaires et des pensions, tandis que les dépenses pour les armes ont à peine été réduites, excepté pour le démantèlement et l'annulation d'instruments militaires lourds ou sa réduction dans le nombre.

 

Dans beaucoup de pays de l’UE, l’achat d’équipement militaire excessif et trop sophistiqué a contribué à la crise en augmentant le fardeau de la dette, car ils doivent payer le service de la dette, les coûts opérationnels et d’entretien pendant des années. Malgré des réductions dans l’acquisition d’armes défensives, 2 ans après la crise, les budgets pour l’équipement militaire ont augmenté de 38,8 milliards d’euros en 2006 à 42,9 milliards d’euros en 2010. L’Italie, avec une dette de 1.800 milliards, dépense actuellement pour son équipement militaire une plus forte proportion de son PIB qu’en 1995[2]. Les dépenses militaires ont joué un rôle, non seulement en causant la crise, mais plus encore en la perpétuant. Lorsque de l’argent fut prêté (en guise de renflouement) à des pays en difficulté, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ont insisté sur le priorité du paiement des dettes aux fournisseurs d’armes, tout en imposant des mesures d’austérité et de fortes réductions des dépenses publiques.

 

D’après SIPRI[3], pour la période de 2008 à 2010, le volume des transferts internationaux d’armes conventionnelles a augmenté de 14% par rapport à la période de 2003 à 2007. Les principaux exportateurs d’armes sont les Etats-Unis (30%) et la Russie (27%), mais les états membres de l’UE totalisent ensemble 28% des ventes mondiales d’armes, faisant de l’UE dans son ensemble le second exportateur d’armes, un marché qui vaut 37.218 millions de dollars. Les grands exportateurs vers le marché mondial sont l’Allemagne (8%), la France (6%), le Royaume Uni (R.U.) (3,7%), l’Espagne (3%) et l’Italie (2,4%). Les Pays-Bas, la Suède, la Belgique, la Pologne, la Finlande, le Portugal, l’Autriche, la Roumanie, l’Irlande, le Danemark, la République tchèque, la Bulgarie, la Slovaquie, le Luxembourg, la Hongrie suivent par ordre d’importance. Le R.U. qui occupait la 5e place comme exportateur mondial d’armes a été remplacé par la Chine. De 2008 à 2012, les dépenses militaires mondiales ont augmenté, les principaux acheteurs étant la Chine, l’Inde, l’Arabie Saoudite, le Pakistan, la Corée du Sud et Singapour. L’industrie des armes de l’UE a saisi cette occasion d’étendre son marché vers des pays en développement.

 

Différents facteurs ont contribué à la réorientation du marché des armes. Le prix croissant du pétrole et des minerais a permis à des pays producteurs d’augmenter leurs budgets de la défense. Les conflits au Moyen-Orient et en Asie ont poussé des pays de la région à augmenter leurs dépenses militaires. La compétition entre les industries militaires et les nouveaux pays producteurs facilite l’achat d’armes. Les fortes sommes des contrats d’armes permettent à l’acheteur d’imposer ses conditions à l’industrie, en exigeant fourniture de services, entretien et formation aussi bien qu’en établissant ses propres capacités de production.

 

Il en résulte que les industries militaires de l’UE accordent des licences pour la production, en échange du paiement de redevances, à des filiales dans d’autres pays, en transférant la production d’armes, de munitions ou de composants. Ceci représente un avantage pour l’entreprise, mais entrave le contrôle et la connaissance de la destination finale des armes, puisque la société productrice peut exporter sa production d’armes ou de munitions vers n’importe quel pays problématique auquel les pays de l’UE refuseraient une licence d’exportation.

 

Les industries d’armes sont soutenues par leurs gouvernements nationaux. La demande décroissante dans le pays augmente le soutien politique à l’industrie par la promotion de ventes d’armes à l’étranger, souvent avec l’intervention directe de premiers ministres[4] ou de la famille royale. Des gouvernements accordent différentes formes de subsides cachés: favoriser leurs propres industries dans leurs acquisitions d’armes, les aider à se procurer des marchés à l’étranger, permettre l’exemption de taxes, offrir des bourses pour la recherche et, ce qui est pire, accorder aux exportateurs des crédits garantis par le gouvernement, en les protégeant du défaut de paiement par un importateur. Ceci signifie l’allocation de subsides publics à l’industrie d’armes qui utilise souvent la corruption pour obtenir des marchés d’armes, et qui vend des armes et des équipements militaires même à des régimes dictatoriaux, comme des véhicules militaires espagnols vendus au Zimbabwe.

 

Le puissant lobby de l’industrie des armes de l’UE à Bruxelles, “L’Association des industries aérospatiales et de la défense d’Europe” exige un soutien plus fort de l’UE à l’industrie militaire pour : recherche et développement, législation favorable et financement de ses projets. Elle prétend que toute réduction des dépenses militaires est un désastre pour l’économie de l’UE par la perte d’emplois. Cependant des études de recherche montrent que l’investissement dans le domaine militaire est la manière la moins efficace de créer des emplois. Une étude de l’Université de Massachusetts montre qu’un milliard de dollars dépensé pour la défense crée un total de 8.555 emplois, le même montant pour la consommation personnelle génère 10.779 emplois, pour les soins de santé 12.883 emplois et pour l’éducation 17.687 emplois. La défense génère le plus petit nombre d’emplois parmi les alternatives présentées. Le nombre total d’emplois créés avec les mêmes dépenses en éducation et transport public est plus du double par rapport à la défense. Faire passer des fonds dans l’énergie propre, les soins de santé et l’éducation crée des opportunités pour l’emploi significativement plus grandes que la dépense de la même quantité de fonds pour le secteur militaire.

 

Dans une période d’austérité où la création d’emplois s’impose, les dépenses en équipement militaire ne peuvent être justifiées. Il est nécessaire de renverser la tendance des dépenses militaires. Cependant le fort lobby de l’industrie des armes rendra très difficiles des réductions efficaces des dépenses militaires. Un autre moyen que l’UE devrait utiliser pour combattre la crise est la suppression des dettes odieuses, illégales ou illégitimes causées par des transactions sur les armes conclues par corruption ou pression. Ceci serait un pas pour faire payer la crise par ceux qui l’ont causée. Ces mesures iraient dans la direction désirées par les citoyens de l’UE plutôt que par ses bellicistes.

 

Le niveau des dépenses militaires est difficile à expliquer dans un monde d’après la guerre froide et au milieu d’une crise financière mondiale. Les économistes appelleraient ceci un « coût d’opportunité”. Je l’appelle “une opportunité humaine perdue”. Ban Ki-Moon, Secrétaire général de l’ONU.

 

Begoña Iñarra

Secrétaire Exécutive d’AEFJN



[1] Harmonized EU Arms Exports Policies in Times of Austerity? (Politiques harmonisées d’exportations d’armes d’UE en temps d’austérité?) par Jan Grebe- BICC- Juin 2013  http://www.greens-efa.eu/fileadmin/dam/Documents/Studies/Study%20arms%20exports.pdf

[2] Europe’s guns, debt and corruption (Fusils d’Europe, dette et corruption) par Franks Slikper, Avril 2013 http://www.opendemocracy.net/frank-slijper/europe%E2%80%99s-guns-debt-and-corruption

[4] Au début de 2013 le président français François Hollande a visité les Emirats arabes unis pour les pousser à acheter l’avion de combat Rafale. Le premier ministre du R.U., David Cameron, a visité les Emirats et l’Arabie Saoudite en novembre 2012 pour promouvoir d’importantes ventes d’armes. L’Espagne espère gagner un contrat hautement controversé d’Arabie Saoudite pour 250 tanks Leopard 2, contrat pour lequel il est en concurrence avec l’Allemagne – constructeur original du tank..

 

 

 

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