Le transfert des armes légères et leur transport aérien
Si les armes légères ne sont pas la cause première de la violence, elles l’accroissent drastiquement. Chaque jour, environ 1.000 personnes décèdent, victimes des armes à feu et 3.000 sont blessées par elles.
La prolifération des armes légères génère guerres et conflits à un taux qui varie de 60 à 90% pour les décès en lien direct avec eux, une paix fragilisée car les armes restent présentes longtemps après la fin des conflits. Ceci cause un taux élevé de violence, de crimes liés aux armes à feu qui peuvent monter aussi haut que les morts et blessures provoquées par les guerres et les conflits. La violence domestique est plus mortelle s’il y a une arme dans la maison et les suicides le plus souvent par l’emploi d’une arme à feu.
Environ 8 millions d’armes légères sont fabriqués annuellement, mais ce qui frappe encore plus, c’est le mouvement des armes à feu de seconde main qui passent d’un utilisateur à un autre. Les armes à feu vivent pendant de longues années et sont souvent recyclées entre des guerres ou des conflits. En Afrique occidentale, centrale et orientale, les armes à feu se sont déplacées de conflit en conflit durant la dernière décade, passant des conflits sans contrôle de la Sierra Leone au Liberia, la Côte d’Ivoire, la RD Congo, la Somalie, le Soudan, l’Ouganda, le Kenya, le Burundi, la République Centrafricaine, etc. ainsi que le crime de guerre en Afrique australe.
Le transfert des armes légères en Afrique est une menace énorme à la sécurité de la personne humaine, à la paix, à la stabilité. AEFJN et d’autres membres de la société civile à travers le monde travaillent pour obtenir une règlementation meilleure pour le contrôle du transfert des armes légères tant par les Nations-Unies que par l’Union Européenne.
Un contrôle renforcé des armes transportées par cargos aériens permet une saisie plus large des armes.1
Le transport aérien a joué un rôle clé en renforçant les économies guerrières qui ont tant dévasté l’Afrique ces dernières années. Les compagnies de fret aérien sont engagées dans le transport illicite des armes déstabilisatrices ainsi que dans le transport d’autres biens sensibles aux conflits tels les diamants, le pétrole, le coltan et autres minerais précieux.
Pour empêcher le transfert illégal d’un pays à l’autre des armes, un mécanisme inattendu – l’accroissement des mesures de sécurité dans le fret aérien encouragé par la lutte anti terroriste- s’est révélé être très efficace dans le contrôle du transport illégal des armes.
Les mesures de contrôle de sécurité pour le transport sont en fait un bon « goulot d’étranglement » pour la déstabilisation des mouvements des armes et des marchandises. Le transport aérien et maritime doit identifier son moyen de transport, avion, bateau ainsi que les compagnies associées. Les transporteurs sont les seuls agents non-étatiques engagés à dénoncer toute déstabilisation ou mouvement illicite de marchandises et ce, pour travailler ouvertement. Ceci permet de les suivre par le biais des rapports aériens ou maritimes et de les soumettre à un contrôle.
Les mécanismes de sécurité aérienne de l’UE ont déjà pointé une large palette de compagnies aériennes engagées dans le mouvement des armes et les ont bannies de son espace aérien. Ces compagnies sont donc interdites d’accès à l’UE, le marché mondial le plus important. Ceci peut obliger des compagnies à changer de comportement ou à faire faillite et cela peut mettre les trafiquants d’armes hors du circuit commercial.
AEFJN demande à l’UE de soutenir les efforts de ses partenaires africains pour améliorer les règles de sécurité du transport aérien grâce à des projets qui leur permettent de viser plus spécifiquement les compagnies de fret aérien qui sont engagées dans la déstabilisation du mouvement des marchandises.
Les avions cargos aident les économies de guerre en Afrique2
Les économies de guerre engagent de manière typique les états, les groupes armés et les hommes d’affaires privés qui veulent initier ou continuer les conflits pour un gain économique et ou politique. En Afrique, les agents économiques de ces conflits se concentrent sur le contrôle des matières premières et les terrains nécessaires pour leur extraction et transport. Pour contrôler et commercialiser ces biens, le marché des ressources locales et l’acquisition d’armes et de munitions se base sur la contrebande pour l’accès au marché mondial et ce sont surtout les avions cargos qui assurent ce transport vu le danger lié au réseau routier et son mauvais état.
ANGOLA. Dans une économie basée sur le diamant qui a dominé en Angola pendant deux décades (1992-2002), les avions cargos ont été intimement liés au transport des armes légères, des diamants et de l’équipement minier. Entre 1994 et 1997, on estime que l’UNITA a exporté des diamants pour une valeur de 1.9 milliards de $. Le transport aérien était en même temps la source principale d’approvisionnement des forces de l’UNITA pour le pétrole et autres marchandises indispensables aux opérations militaires et à l’utilisation des véhicules, des générateurs d’énergie, ainsi que pour la nourriture, la bière et le matériel médical.
RD CONGO. Depuis 1997 jusqu’à ce jour, dans l’économie de guerre de la RD Congo3, les compagnies de fret aérien ont joué un rôle de premier plan dans les transactions liées à l’exportation pour les minerais, tels le cuivre, les diamants, le coltan, la cassitérite et l’or. Les avions cargos, dans tous les conflits, ont servi au transport et à la contrebande de larges quantités de cassitérite et de coltan provenant des régions minières sous le contrôle d’un groupe armé particulier, et aussi à partir des villes plus importantes de Bukavu et Goma dans l’Est de la RDC vers les marchés internationaux, surtout vers le Rwanda et le Kenya. En 20084, ce commerce représentait plus de 150 tonnes et une valeur à l’exportation de plus de 150 millions de $. Les trafiquants d’armes ont loué un avion cargo à des chefs de milice pour exporter frauduleusement du coltan du pays. En plus du transport de minerais, les avions cargos font d’autres transports pour les chefs de milice ou autres acteurs. Ils transportent de l’or hors de la zone des conflits, des diamants, des diamantaires, des soldats et de l’équipement militaire. Dans certains zones contrôlées par des forces rebelles, des équipages d’avions cargos soviétique ont effectué parfois jusqu’à 24 vols par jour à partir des routes goudronnées, tarmacs improvisés.
LIBERIA. Lors des nombreux conflits qui ont touché le Liberia dans les années 1980 et 1990, l’économie de guerre a couvert toutes les activités en lien avec l’extraction illégale, les taxations et l’exportation des ressources naturelles du pays, surtout le bois, le caoutchouc, les diamants et l’or. Ceci a généré une telle source de profit pour le président Charles Taylor et ses associés que l’ONU a mis un embargo sur le commerce des diamants et du bois provenant du Liberia. Alors que les concessions de bois furent accordées à des hommes d’affaires liés aux compagnies maritimes, les principaux diamantaires du pays, blâmés par le président Taylor, ont organisé des avions cargos en union avec des partenaires du monde des affaires. On lit dans un rapport du gouvernement des USA que des opérateurs de fret aérien engagés dans l’approvisionnement d’armes et des opérations d’extraction minière en Angola, RD Congo et au Rwanda étaient payés au Liberia soit en diamants, soit en d’autres biens de valeur. Le bureau des Affaires Maritimes du Liberia servait de couverture et alimentait les fonds pour les armes et le transport, en violation avec les sanctions de l’ONU.
SIERRA LEONE. De 1991 à 2001, le président Taylor, du Liberia, a sponsorisé le groupe rebelle de Sierra Leone RUF en leur procurant armes et munitions par air. Il voulait ainsi s’assurer que les RUF contrôlaient les mines de diamant qui produisaient beaucoup plus de diamants bruts que celles du Liberia.
SOMALIE. En Somalie, les marchandises ne jouent pas un rôle aussi important dans l’économie de guerre qui s’articule plus autour des importations clés, de l’exportation, de la distribution et du transit et donc des ports maritimes, des aéroports, des ponts, des nœuds routiers et des marchés. Les groupes de milices taxent les exportations de bananes, de charbon de bois, des hommes d’affaire, des organisations humanitaires qui veulent apporter de l’aide. Les chefs des milices contrôlent l’importation des narcotiques et du khat et emploient les revenus produits par leur vente pour financer les achats d’armes légères. Les avions cargos jouent un rôle premier dans l’importation et la diffusion du khat qui est consommé par beaucoup de chefs de milice. Certains chefs de guerre ont des parts dans la propriété des avions cargos qui importent le khat en Somalie et sont aussi mêlés à la diffusion des armes légères. Les avions cargos qui transportent le khat et les armes de manière illicite vers la Somalie étaient précédemment sous contrat avec les forces ougandaises opérant en RDC.
SOUDAN. Les conflits continuels au Soudan sont causés et entretenus, en partie, par la compétition pour le contrôle des champs pétrolifères. La découverte de puits de pétrole au Darfour et les concessions accordées à certaines compagnies étrangères dont certains partenaires sont des membres de famille de personnes du gouvernement soudanais a mis en lumière le lien entre les contrats pétroliers, la circulation des armes et les conflits et déplacements de population au Soudan. Au Sud Soudan et au Darfour, les forces gouvernementales et les rebelles ont fait appel à des acteurs du secteur privé comme sources d’approvisionnement pour les revenus nécessaires et pour la création des connections internationales requises pour l’accès aux armes et pour que le conflit continue. Ces acteurs du secteur privé ont fait usage d’avions cargos internationaux et domestiques pour assurer le service exigé par l’industrie du pétrole en utilisant les aérodromes. L’industrie du pétrole au Soudan central et du Sud est desservie par certaines compagnies d’avions cargos citées dans le Rapport du Conseil de Sécurité de l’ONU comme violatrices de l’embargo sur les armes au Darfour. D’après les rapports d’Amnesty International et Human Rights Watch, les avions cargo Antonov de la compagnie de pétrole basés à Heglig ont aussi bombardé des villages du Sud Soudan.
Grâce à une liste complète de données qui fait figurer tous les noms des transporteurs aériens et des compagnies qui pratiquent ce commerce illégal, ainsi qu’un renforcement sérieux de la sécurité aérienne et plus de compétence en Afrique, on pourrait disposer d’un atout majeur pour lutter contre le transfert illégal d’armes et de munitions. Il faudrait encore que naisse et se développe une volonté politique de faire stopper ces transferts illégaux et l’économie guerrière.
Begoña Iñarra
1 Rapport de l’Institut International de Recherche pour la Paix (SIPRI), mai 2009
2 Idem
3 UN Security Council Report and other arms trafficking-related reports. U.S.- based campaign, targeting mineral exports from the Democratic Republic of the Congo http://www.raisehopeforcongo.org/resources
4 D’après le données exportées d’une source officielle du gouvernement de la RDC, connue comme Centre d’Evaluation des diamants et métaux précieux