La dépollution d’Ogoniland prendra jusqu’à 30 ans

Ogoniland @UNEP
Ogoniland @UNEP

La restauration environnementale d’Ogoniland pourrait s’avérer l’exercice de dépollution le plus vaste et le plus long jamais entrepris dans le monde, s’il faut ramener à la santé pleine et productive l’eau potable, la terre, les criques et des écosystèmes importants comme des palétuviers. Une nouvelle évaluation scientifique importante, exécutée par le Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE)[1], montre que la pollution résultant de plus de 50 ans d’opérations pétrolières dans la région a pénétré plus loin et plus profondément que beaucoup pourraient l’avoir supposé.

 

Sur une période de 14 mois, l’équipe du PNUE a récolté plus de 4.000 échantillons de terre, poissons, air, y compris de l’eau prise de 142 puits creusés spécifiquement pour l’étude et des terres extraites de 780 forages ; elle a étudié en profondeur 69 fuites de pétrole parmi des centaines survenues en Ogoniland au cours des 50 dernières années. Le PNUE a examiné plus de 200 lieux, étudié 122 kilomètres d’oléoducs, revu plus de 5.000 dossiers médicaux et engagé plus de 23.000 personnes dans des réunions de communautés locales.

 

Exploitation pétrolière en Ogoniland

 

L’Ogoniland est une région qui couvre environ 1.000 km² au sud-est du bassin du delta du Niger. Elle a une population de près de 832.000 habitants, principalement de l’ethnie Ogoni, d’après le recensement national de 2006. La région a connu des troubles sociaux récurrents au cours des dernières décennies ; ils portaient sur les opérations de l’industrie pétrolière et la distribution de ses revenus. Du pétrole a été extrait de la région pour plus de 30 milliards de livres, mais la majorité des gens sont moins bien lotis qu’avant l’arrivée des sociétés.

 

La prospection a commencé en Ogoniland dans les années 1950 et des installations de production extensive furent établies au cours des trois décennies suivantes. Ces opérations étaient menées par Shell Petroleum Development Company (Nigeria) Ltd (SPDC), une entreprise commune entre la compagnie nationale nigériane pour le pétrole, Shell International, Elf et Agip. Des incidents touchant l’environnement, tels que des fuites et des embrasements incontrôlés, ont commencé dans la région dès le début des opérations et les réactions furent lentes et inadéquates. Le Mouvement pour la survie des Ogoni fut fondé, en partie en réponse aux conséquences écologiques de la production de pétrole, sous la direction de l’auteur nigérian Ken Saro- Wiwa. Celui-ci critiquait les sociétés pétrolières et la politique du gouvernement quant au pétrole. En 1993, une marche rassembla 300.000 Ogoni pour demander une part des revenus du pétrole et une plus grande autonomie politique. En conséquence de la violence qui a suivi, la prospection et les activités de production en Ogoniland cessèrent la même année.

 

L’étude conclut que le contrôle, l’entretien et la reconversion de l’infrastructure des gisements pétrolifères en Ogoniland sont inadéquats. Alors qu’aucune production de pétrole n’a eu lieu en Ogoniland depuis 1993, les installations elles-mêmes n’ont jamais été reconverties. Certains oléoducs transportant du pétrole produit dans d’autres parties du Nigéria passent encore par l’Ogoniland mais ceux-ci ne sont pas entretenus adéquatement. Par conséquent, l’infrastructure s’est détériorée graduellement, par l’exposition aux processus naturels, mais aussi suite à des dommages criminels, causant davantage de pollution et exacerbant l’empreinte écologique. Il en résulte que, bien que les opérations aient cessé en Ogoniland, des fuites de pétrole continuent à se produire avec une régularité alarmante.

 

Les meilleures pratiques de l’industrie et les propres procédures de Shell n’ont pas été appliquées, ce qui crée des problèmes de sécurité publique. Dix des 15 sites étudiés, qui, d’après les rapports de Shell, ont subi une remédiation complète, ont toujours un taux de pollution qui dépasse les valeurs de remédiation de Shell et du gouvernement. L’étude a trouvé que, sur huit de ces sites, la contamination a pénétré dans l’eau souterraine. En janvier 2010, un nouveau système de gestion de la remédiation a été adopté par Shell. L’étude a trouvé que, bien que les nouveaux changements soient une amélioration, ils ne répondent pas encore aux exigences locales de régulation ou aux meilleures pratiques internationales.

 

 

Les découvertes du rapport

 

La pollution du sol par les hydrocarbures du pétrole en Ogoniland est extensive dans les terres, les sédiments et les marais. Sur deux tiers des sites terrestres contaminés proches des installations de l’industrie pétrolière qui ont été évalués en détail, la contamination du sol dépasse les normes nationales nigérianes, telles qu’elles sont fixées dans les directives et normes environnementales pour les industries du pétrole au Nigéria (EGASPIN).

 

Comme l’Ogoniland subit de fortes pluies, tout délai dans le nettoyage d’une fuite de pétrole mène à ce que le pétrole soit emporté par les eaux, traversant des terres agricoles et arrivant presque toujours dans les criques. L’impact du pétrole sur la végétation des palétuviers a été désastreux. La pollution par le pétrole dans beaucoup de criques soumises aux marées a laissé les palétuviers – lieux de développement des alevins et filtres naturels de la pollution – dénudés de feuilles et de tiges, avec des racines couvertes d’une couche d’une substance bitumineuse épaisse parfois d’au moins un centimètre. Certaines régions, qui semblent intactes en surface, sont en réalité gravement contaminées en sous-sol, et l’action pour protéger la santé humaine et réduire les risques pour les communautés touchées devrait être entreprise sans délai. En un endroit, Ejama Ebubu, l’étude a trouvé une lourde contamination causée par une fuite qui a eu lieu il y a plus de 40 ans, « malgré des essais répétés de dépollution ».

 

Le contrôle et l’entretien de l’infrastructure des gisements pétrolifères d’Ogoniland ont été et restent inadéquats : les propres procédures de Shell n’ont pas été appliquées, ce qui crée des problèmes de santé et de sécurité publiques. La communauté Ogoni est exposée chaque jour aux hydrocarbures par de multiples voies : dans l’air extérieur et l’eau potable, parfois avec des concentrations élevées. Une contamination par les hydrocarbures a été trouvée dans l’eau extraite de 28 puits dans 10 communautés adjacentes à des sites contaminés. Pour sept puits, les échantillons sont au moins 1.000 fois plus élevés que la norme nigériane pour l’eau potable. Les communautés locales sont conscientes de la pollution et de ses dangers, mais elles déclarent qu’elles continuent à utiliser l’eau pour boire, se baigner, laver et cuisiner car elles n’ont pas d’alternative.

 

Sur 41 sites, la pollution par les hydrocarbures a atteint l’eau souterraine à des niveaux qui dépassent les normes nigérianes. Les cinq concentrations les plus hautes de Total Petroleum Hydrocarbons dépassent un million de microgrammes par litre – à comparer à la norme nigériane pour l’eau souterraine, de 600 microgrammes par litre. Le secteur des pêcheries souffre à cause de la destruction de l’habitat des poissons et de la contamination hautement persistante de beaucoup de criques. Là où les entrepreneurs ont établi des pêcheries, par exemple, leurs affaires ont été ruinées par une couche toujours présente de pétrole flottant.

Lorsqu’une fuite de pétrole se produit sur un terrain, des feux se déclarent souvent, tuant la végétation et créant une croûte sur la terre, ce qui rend difficile la remédiation ou la végétalisation. Sur certains sites, une croûte de cendres et de goudron est en place depuis plusieurs décennies.

 

Les conclusions du rapport

 

Alors que certains résultats en surface pourraient être immédiats, en général le rapport estime que contrer et nettoyer la pollution et catalyser une récupération durable de l’Ogoniland pourrait prendre 25 à 30 ans. Ce travail demandera le déploiement de la technologie moderne pour dépolluer les terres et les eaux contaminées, une surveillance améliorée de l’environnement et des règlements et une action en collaboration entre le gouvernement, la population Ogoni et l’industrie pétrolière.

 

Achim Steiner, Sous-Secrétaire général des Nations unies et Directeur exécutif du PNUE, dit que le rapport a fourni la base scientifique sur laquelle une restauration concertée de l’Ogoniland, due de longue date, peut commencer. « L’industrie pétrolière est un secteur clé de l’économie nigériane depuis plus de 50 ans, mais beaucoup de Nigérians ont payé le prix fort, comme cette évaluation le souligne », dit-il.

 

"Le PNUE espère que les conclusions peuvent mettre fin à des décennies de stagnation dans la région et fournir le fondement sur lequel baser la confiance et entreprendre l’action pour remédier aux multiples problèmes de santé et de développement durable auxquels la population de l’Ogoniland est affrontée. De plus, l’évaluation offre un plan pour la manière dont l’industrie pétrolière – et les autorités publiques de régulation – pourraient opérer de manière plus responsable en Afrique et au-delà, à une période de production et de prospection croissantes à travers de nombreuses parties du continent », dit M.Steiner.

 

Le rapport suggère la création d’un Fonds environnemental de restauration pour l’Ogoniland, à établir avec une injection initiale de capital d’un milliard de dollars apportée par l’industrie pétrolière et le gouvernement, pour couvrir les cinq premières années du projet de dépollution. Des groupes écologiques et des Ogonis ont bien accueilli le rapport, mais ils ont dit qu’il fallait 100 milliards de dollars pour nettoyer le delta entier, et pas seulement l’Ogoniland.

 

A quel point l’action est urgente est aussi confirmé par d’autres nouvelles récentes qui viennent de l’Ogoniland. En août, Shell a accepté la pleine responsabilité de deux fuites massives de pétrole qui se sont produites en 2008 et qui ont dévasté Bodo en Ogoniland, où vivent 69.000 personnes, et qui pourrait demander au moins 20 ans de dépollution[2]. Des experts disent que l’ensemble des deux fuites pourrait être aussi vaste que le désastre d’Exxon Valdez en Alaska en 1989, où 40.000 tonnes de pétrole ont détruit le littoral lointain. Ils croient qu’il pourrait en coûter plus de 100 millions de dollars pour nettoyer correctement et restaurer les forêts de palétuviers dévastées, qui longeaient les criques et les fleuves mais qui ont été tuées par le pétrole. Avant le mois d’août dernier, Shell avait prétendu que moins de 150.000 litres avaient été répandus. Aucun effort n’a été fait en 2008 pour nettoyer le pétrole, qui s’est accumulé sur les bords des criques, a été entraîné par les marées montantes et descendantes et a pénétré profondément dans le niveau hydrostatique et les terres agricoles. Le changement d’opinion de Shell et son acceptation entière de la responsabilité pour les fuites a suivi un recours collectif de communautés locales dans un tribunal britannique. Ceci pourrait aussi constituer un précédent important pour que d’autres communautés du delta recherchent des dédommagements pour la pollution par le pétrole dans les tribunaux britanniques.

 

 

Thomas Lazzeri



[1] UNEP, 2011, Evaluation environnementale d’Ogoniland.

[2] 'Shell accepts liability for two oil spills in Nigeria' (‘Shell accepte la responsabilité de deux fuites de pétrole au Nigéria’), The Guardian, 03/08/2011, http://www.guardian.co.uk/environment/2011/aug/03/shell-liability-oil-spills-nigeria. Voir aussi http://www.lefigaro.fr/international/2010/06/15/01003-20100615ARTFIG00767-au-nigeria-une-catastrophe-ecologique-passee-sous-silence.php

 

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