La malédiction des ressources

Congo
@Eric Feferberg/AFP/Getty Images

Comment se fait-il qu'un pays aussi riche en ressources que la République démocratique du Congo (RDC) puisse être affronté à des troubles sociaux, politiques et économiques? Dotée de quantités variables de diamants, or, cuivre, cobalt, coltan et étain, la RDC fait face aujourd'hui à ce qui est connu comme la malédiction des ressources.


D'après la malédiction des ressources, les pays qui dépendent de ressources sont sujets aux malédictions suivantes: une augmentation de la corruption, une probabilité plus forte d'un gouvernement autoritaire et un risque plus élevé de guerre civile. Avec un excès de richesse provenant d'un secteur de l'industrie, l'état échoue à promouvoir d'autres parties de l'économie. Le fait de ne compter que sur les revenus de l'extraction des ressources induit le risque, pour la nation, de devenir un "état rentier". C'est un pays dans lequel des élites achètent le soutien plutôt que d'investir dans une bonne performance économique. Avec des revenus des ressources en croissance rapide, des sociétés multinationales s'alignent de plus en plus sur le gouvernement.

 

L'extraction des ressources et la distribution des revenus commencent à l'emporter sur tous les autres secteurs de développement institutionnel. La société commence à apprécier le droit de propriété plus que la représentation, affaiblissant les liens de l'état vers la démocratie. Chacun veut une part de la prospérité. Les agendas économiques jouent un rôle central dans la création de conflits violents. La guerre civile est beaucoup plus probable dans un état riche en ressources.

 

L'exploitation minière finance des groupes armés


Les Nations unies ont estimé que, dans de nombreuses parties des provinces du Nord- et du Sud-Kivu en RDC, des groupes armés contrôlent le commerce des minerais. Le contrôle des mines est la principale source de revenus pour les seigneurs de guerre, et souvent la seule raison qui maintient ces groupes en fonction. En 2002, par exemple, les Nations unies estimaient qu'aucune quantité de coltan ne quittait l'est de la RDC sans profiter, soit aux groupes rebelles, soit aux armées étrangères. On estime que les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) récoltent chaque année des millions de dollars du commerce illégal de minerais en RDC orientale. Aussi longtemps que ce commerce reste profitable pour eux, de tels groupes rebelles n'ont aucun intérêt à mettre fin au conflit armé.

 

Malgré cette évidence, beaucoup de sociétés occidentales continuent à acheter des minerais provenant de ces régions. Par exemple, la société britannique de commerce des minerais Afrimex et sa filiale congolaise Kotecha payaient des taxes aux groupes rebelles afin de pouvoir continuer à exporter du coltan du Sud-Kivu, soutenant par là leurs activités militaires. AngloGold Ashanti extrayait de l'or à Mongbwalu, qui était sous le contrôle d'un groupe armé nommé Front des Nationalistes et Intégrationnistes (FNI). En fait, AngloGold a demandé à FNI la permission d'y commencer l'extraction de l'or. AngloGold payait une taxe à FNI pour chaque kilogramme d'or qui était envoyé hors de Mongbwalu, et il fournissait aussi une assistance en logistique et transport, par exemple en permettant à FNI d'utiliser les véhicules 4X4 de la société.

 

Le projet d'exploitation minière Tenke Fungurume (TFM) au Katanga – Un exemple de corruption et de guerre civile.


Tenke Fungurume au Sud-Katanga, RDC, était un des plus grands dépôts intouchés de cuivre et de cobalt du monde. En 1996 les droits d'exploitation furent accordés à la société suédoise Lundin Holding. De sérieux problèmes de transparence et de corruption entourent la signature du contrat.

 

Les négociations pour le contrat ont eu lieu dans le secret total. De plus, le propriétaire de la société, Adolf Lundin, offrit à Mobutu, qui était alors président, de financer sa prochaine campagne électorale. Le résultat final fut une transaction injuste qui favorisait Lundin et nuisait aux intérêts congolais. En mai 1997, Mobutu fut renversé et remplacé par Laurent-Désiré Kabila. Peu après, Lundin Holding fit le paiement de 50 millions de dollars, comme dépôt prévu par le contrat, mais la moitié de cet argent fut transférée sur les comptes d'une société que Kabila possédait en partie.

 

En 1999, Lundin gela ses activités, à cause de la guerre civile au Congo. En 2005, un nouveau contrat fut signé avec le gouvernement provisoire. Une fois de plus, les négociations pour le contrat eurent lieu en secret. Une évaluation externe indépendante des contrats d'exploitation minière existants était en cours au moment où le nouveau contrat fut signé, mais on n'attendit pas ses conclusions. D'après divers analystes, les termes des accords de 2005 étaient encore plus biaisés en faveur de Lundin que ceux de l'accord de 1996.

 

En 2007, une commission indépendante établie par le ministère congolais des mines conclut que le contrat devait être renégocié. Néanmoins le projet d'exploitation minière se poursuivit comme prévu et l'exploitation commença en 2009. En octobre 2010, les renégociations ont été terminées, avec seulement des concessions mineures de la part de l'investisseur en faveur du gouvernement congolais et en laissant intouchés, par exemple, les termes fiscaux du contrat original.

 

Extraction pétrolière dans le Delta du Niger


La RDC n'est pas le seul pays d'Afrique à souffrir de la malédiction des ressources. Un autre exemple est le Nigéria. Suivant la règle militaire en 1966, le gouvernement fédéral obtint le contrôle du secteur pétrolier nigérian. L'exploitation commerciale du pétrole avait commencé en 1956 avec une structure institutionnelle qui favorisait les trois groupes majoritaires du pays. Des résultats du développement furent compromis et le gouvernement fut miné par l'augmentation de nouvelles unités sous-nationales de l'état.

 

Les gens qui vivaient dans le Delta du Niger, une minorité ethnique, commencèrent à se sentir exclus du processus de gouvernance, à cause d'un manque de transparence. Des questions de droit de propriété de la terre, de dégradation de l'environnement, de manque de compensations et de perte de moyens de subsistance sont, sans exception, toujours des problèmes importants aujourd'hui. La violence est devenue un problème plus grave lorsqu'une vague de mobilisation de la jeunesse, des voyous locaux étant armés pour des objectifs électoraux. La violence était aussi la réponse des sociétés pétrolifères et du gouvernement nigérian hostile aux plaintes légitimes. Alors que la population locale souffrait des conséquences négatives de l'extraction du pétrole – au moins 400.000 tonnes de pétrole se sont répandues dans le sol du Delta au cours des dernières décennies – elle n'a rien vu de la richesse générée par le pétrole: alors qu'en 1980, 28% de la population vivaient sous le seuil de pauvreté, en 2000 le nombre était monté à 60%.

 

Le manque de contrôle des ressources dans la région du Delta du Niger a mené à un point mort. En octobre 2009, en lien avec le Mouvement pour l'émancipation du Delta du Niger, les dirigeants militants ont accepté l'amnistie offerte par le Président nigérian Ya'ardua. La région reste très fragile. Le conflit violent est un résultat de griefs accumulés en relation avec le contrôle des ressources.

 

Conclusion


La malédiction des ressources s'est produite dans beaucoup de pays riches en ressources, comme la RDC ou le Nigéria, et elle est alimentée par un mélange meurtrier entre des autorités corrompues et incompétentes, des groupes rebelles intéressés à avoir leur part des revenus générés par les ressources naturelles, et des sociétés occidentales qui, sans scrupule, font des transactions avec les deux côtés pour s'assurer l'accès à ces précieuses ressources, sans se soucier de l'impact de leur action sur la population locale. Un changement d'attitude de la part de ces trois acteurs est nécessaire pour mettre fin à la malédiction. Une manière importante dont l'Ouest peut y contribuer est de demander aux sociétés de rendre compte des conséquences de leur action. Le "Dodd-Frank Act"[1] est un premier pas important dans la bonne direction, mais d'autres pas sont nécessaires, y compris une législation qui permette à des cours européennes de justice de demander compte à des sociétés de leurs crimes commis en Afrique.

 

Thomas Lazzeri & Carleigh Rixon



[1] Le "Dodd-Frank Act" demande aux multinationales cotées à Wall Street de divulguer leurs paiements à des gouvernements étrangers et à des acheteurs de minerais provenant de zones de conflit, pour prouver que cela n'a pas contribué à l'enrichissement de groupes armés. Pour plus d'informations sur Dodd-Frank, voyez aussi CSR State of Play (état du jeu) – October 2010 disponible à http://www.aefjn.org/index.ph/369/articles/csr-state-of-play-october-2010.html

Go back