Le gisement de gaz Logbaba à Douala

Durant sa visite au Cameroun en mai, l’auteur de cet article a visité le district Ndogpassi à Douala[1]. A Ndogpassi se situe le gisement de gaz Logbaba sur la terre ferme. "Rodeo Development Limited", une filiale qui appartient entièrement à la compagnie anglaise "Victoria Oil and Gas", a le permis d’exploration depuis 2001 et a commencé à exécuter des forages exploratoires avec "RSM Production Cooperation" et avec son partenaire camerounais "Société Nationale des Hydrocarbures (SNH)" en 2009.
Environ 155.000 personnes vivent à Ndogpassi. Une grande partie des résidents n’a pas d’accès à l’eau potable, et les connexions téléphoniques qui fonctionnent sont virtuellement absentes. La collecte des déchets ne fonctionne pas non plus et environ un tiers des ménages n’a pas accès à l’électricité. Du gaz a été découvert à Ndogpassi pour la première fois dans les années 1950 quand le Cameroun était encore une colonie française.
La société française ELF a exécuté des forages exploratoires, mais le projet a été abandonné alors, parce qu’ELF s’intéressait à découvrir du pétrole, pas du gaz naturel qui, à l’époque, n’était pas considéré comme intéressant pour le commerce. Maintenant le projet est remis en route et les forages exploratoires de Rodeo ont montré apparemment que le gaz est de très bonne qualité. Entre-temps, la phase d’exploration est terminée et, en avril 2011, un décret présidentiel a autorisé le début de l’exploitation commerciale du gaz. La cérémonie officielle d’inauguration a eu lieu il y a quelques semaines.
Le manque d’information
J’ai rencontré un résident local dans sa maison, avec l’antenne locale camerounaise d’AEFJN et avec l’ONG camerounaise FOCARFE. Pendant le court laps de temps que nous avons passé là à écouter ses préoccupations, une vingtaine d’autres résidents sont arrivés pour nous faire part de leurs soucis. La première doléance sérieuse qu’ils ont exprimée est qu’ils n’avaient reçu que peu ou pas d’information sur le projet. Ni l’Etat camerounais ni Rodeo n’avaient rempli leur obligation envers la communauté locale de lui fournir des informations accessibles de manière opportune. Ceci s’est passé malgré la Loi-cadre du Cameroun de 1996 sur l’environnement, qui prévoit clairement le principe de participation, selon lequel chaque citoyen aura accès aux informations sur l’environnement, y compris des informations sur les substances et activités dangereuses.
Rodeo a tenu ses quelques sessions d’information seulement en août 2010, plusieurs mois après le début des forages exploratoires. Les documents d’information que Rodeo a mis à la disposition des citoyens étaient en anglais, une langue non parlée par la plupart des résidents, qui parlent français. Il est notable que l’étude d’évaluation de l’impact environnemental et social a été effectuée aussi en anglais. Apparemment, la pratique de donner des documents en anglais à des personnes de l’endroit qui ne parlent pas la langue est relativement répandue parmi les sociétés internationales qui fonctionnent au Cameroun. Les sociétés utilisent le statut officiellement bilingue du Cameroun (français et anglais) comme excuse pour donner aux résidents des régions francophones – qui constituent la majorité – des documents rédigés en anglais et par conséquent souvent incompréhensibles pour eux.
La question de propriété du terrain et compensation
D’après l’information disponible, une grande partie du terrain utilisé pour l’exploitation du gaz est un Domaine National, appartenant à l’Etat et classé comme propriété publique de l’Etat. La propriété publique de l’Etat est inaliénable. Cependant, le droit d’occuper une telle propriété peut être accordé par un permis ou un contrat d’occupation. Au début, les forages exploratoires avaient eu lieu sur une surface de 16 ha, maintenant l’exploitation a été autorisée sur une surface de 20 kilomètres carrés.
Les zones affectées par les activités de Rodeo ont été déclarées « inconstructibles » par la municipalité locale en 1998, rendant illégales toutes les constructions ultérieures dans la zone. Cependant, la plupart des résidents locaux n’étaient pas conscients de ce fait et, étant plus familiers des aspects coutumiers de la propriété terrienne que de détails légaux, ils ont continué à bâtir dans cette zone. Certains prétendent même avoir reçu des permis de bâtir après 1998, une revendication que nous avons été incapables de vérifier nous-mêmes. L’étude de l’impact environnemental et social reconnaît que Rodeo doit adopter une “approche extrêmement délicate” des expropriations, ce qui entraîne une “consultation intensive” de la communauté par le biais de ses dirigeants et de ses structures administratives, couvrant des questions telles que le timing et le modus operandi des expropriations. L’étude mentionne aussi la nécessité pour Rodeo d’élaborer un Plan de relogement.
Au cours d’une des très rares sessions d’information tenues à Douala en août 2010, Rodeo a déclaré en fait qu’il cherchait du terrain pour reloger les habitants de la zone touchée par l’extraction du gaz. D’après les résidents locaux auxquels nous avons parlé, rien de ceci ne s’est produit, et la plupart d’entre eux attendent encore à la fois des informations et la compensation concrète. Les quelques heureux qui ont reçu une compensation l’ont reçue en espèces, et n’ont pas été relogés. La compensation en espèces est risquée, car elle donne une richesse soudaine aux bénéficiaires qui, dans la plupart des cas, ne sont pas habitués à gérer de telles sommes et risquent de les dilapider, plutôt que de les investir dans l’achat d’un nouveau terrain ailleurs. AEFJN a demandé par écrit des informations au sujet des plans de relogement ; cette demande est restée sans réponse de Rodeo.
Des résidents locaux avaient essayé de s’organiser en comité civil lorsque la phase d’exploration a commencé, mais l’effort est vite retombé. Le plus grand propriétaire terrien de la zone a reçu sa compensation et a déménagé ailleurs, quittant le comité. D’autres membres du comité s’en sont retirés après avoir reçu des menaces. La situation politique est généralement tendue au Cameroun. Le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, a l’intention de se représenter pour un nouveau mandat lors des élections prévues pour cet automne, et les révoltes dans le monde arabe aussi bien que la crise en Côte d’Ivoire ont sonné l’alarme et ont amené le gouvernement à resserrer la vis.
Thomas Lazzeri
[1] Cet article se base sur des entrevues avec des personnes de l’endroit, , la lettre du president du Victoria Oil & Gas' aux actionnaires en mai 2011 et l’étude d’évaluation de l’impact environnemental et social du projet.