Le rôle de la BEI en Afrique
La Banque Européenne d'Investissement (BEI) a été créée en 1958 comme banque interne de l'Union européenne. Ses actionnaires sont les états membres de cette Union. Elle fut fondée dans le but de financer des projets valables en son sein. Elle fut crée comme corps financier indépendant, avec sa personnalité juridique propre, sa structure administrative, pour fonctionner efficacement en tant qu'institution financière. Même si elle a commencé à financer des projets en Afrique dès les années 1960, son engagement en dehors de l'Union est resté très limité jusqu'à ces dernières années.[1]
Récemment, on remarque qu'un pourcentage de plus en plus élevé d'opérations de la BEI s'est fait en dehors de l'UE, là où l'absence de normes contraignantes pour les opérations est aggravée par la non application de la législation de l'UE qui régit la BEI en son sein. En 2008, la BEI a prêté environ 6,1 milliards d'€ en dehors de l'Union, ce qui représente autour de 10% de l'ensemble des prêts. La BEI prête à partir de ses propres ressources et gère de plus en plus les ressources du budget de l'UE du Fonds Européen de Développement (FED) alimenté à partir des fonds des états et généralement administré par la Commission Européenne.
Un engagement controversé
Pour les prêts envers les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), le mandat de la BEI tombe sous l'Accord de Cotonou qui a comme objectif de travailler pour «la réduction et même l'éradication de la pauvreté en lien avec l'objectif d'un développement durable et d'une intégration progressive des pays ACP dans l'économie mondiale »[2].
Néanmoins, les objectifs de la BEI dans ses prêts à l'extérieur sont surtout centrés sur le soutien du secteur privé de l'UE. La BEI a des projets financiers controversés dans les secteurs de l'infrastructure et des mines. Entre 2000 et 2006, la BEI a accordé des prêts jusqu'à 364 millions d'€ dans des mines de pays ACP, mais pas un seul projet pour l'éducation ou la santé n'a eu de crédit. En 2007, seuls 300 millions d'€ supplémentaires en termes de prêts furent accordés au secteur minier.[3]
Les choix de la BEI pour les destinataires de ses prêts se comprennent partiellement vu l'exigence à la base des prêts qui veut que les projets soient financièrement sains et générateurs de profits, ce qui couvre l'investissement. Ceci exclut donc beaucoup de projets valables au plan social mais non générateurs de profits économiques de la liste des bénéficiaires de prêts de la BEI. Cela montre aussi clairement que la BEI n'est p as une banque de développement et est mal équipée pour soutenir des projets de développement. Cela éclaire aussi l'existence d'un conflit dans son mandat entre le bénéfice financier et les objectifs fixés dans l'Accord de Cotonou.
Les activités de prêts de la BEI dans les pays en développement sont souvent sujettes aux attaques des parlementaires européens et des organisations de la société civile à cause du manque de clarté, d'engagement social, environnemental et pour le développement. De plus ses normes et procédures vont à l'encontre d'un appui à un développement durable dans les régions où elle exerce ses activités. Les activités financées par la BEI dans les pays en développement ne sont pas aussi bien documentées que celles d'autres institutions internationales comme la Banque Mondiale[4]. Cas très particulier, les contrats financiers dans lesquels les responsabilités du promoteur du projet sont décrites restent confidentiels pour empêcher le public informé de les scruter et d'évaluer leur contribution à l'éradication de la pauvreté et au développement durable.
Le personnel de la BEI ne s'élève qu'à 1.300 personnes tandis que celui de la Banque Mondiale en compte 10.000, qui prête environ la moitié annuellement, ce qui influence l'aide accordée et manque de compétence et d'expertise pour examiner en profondeur tous les aspects des projets. La BEI n'a que trois bureaux en Afrique qui devraient superviser les projets de tout le continent. De plus, une grande partie du personnel est formée d'économistes et ingénieurs et l'unité spécifique au développement est maigre. Le fait que la BEI n'a qu'une faible capacité pour étudier ses projets en profondeur et une capacité encore plus faible pour surveiller leur mise en application est un fait interpellant.[5]
Ce qui inquiète encore davantage, c'est que la BEI n'a pas de normes contraignantes quant au respect de l'environnement et du domaine social pour les projets financés en dehors de l'UE. A titre d'exemple, en 2007, la BEI a financé le projet du barrage Bujagali en Uganda par un prêt de 92 millions d'€ ; malgré les protestations de la société civile pour les effets néfastes sur les pêcheries de la région, les dégâts possibles dans le lac Victoria et l'absence de protection du tourisme, la corruption endémique qui ont été liés au projet et aussi parce que ce projets n'apporterait pas d'électricité à un prix raisonnable à la majorité de la population ougandaise.[6]
L'intérêt de la BEI pour le secteur minier
Comme mentionné plus haut, la BEI a approuvé des prêts d'un montant de 364 millions d'€ pour l'investissement minier dans des pays ACP entre 2000 et 2006 et un prêt supplémentaire de 300 millions d'€ en 2007. La BEI assure que « les projets dans le secteur minier sont en fait des projets primordiaux pour ajouter de la valeur aux ressources naturelles indigènes, engendrant un accroissement des revenus liés à l'exportation et générant une entrée fiscale pour le pays par le biais des royalties et des taxes pour les entreprises. De plus, ces projets créent des emplois permanents directs ou en sous traitance et assurent une formation qui améliorent les compétences locales. » [7]Les exemples qui suivent vont montrer que c'est rarement le cas.
En 2002, la BEI a accordé un prêt de 14 millions d'€ à la mine Bwana Mkubwa en Zambie, sans faire d'étude préalable sur l'impact environnemental. Cet impact a été désastreux. Les techniques d'extraction utilisées et les substances acides ont pollué l'eau et l'air. La rivière Munkulungwe a été polluée et les fermiers de Munkulungwe et Mutalula ont vu leurs récoltes diminuer.[8] Pour la mine de cuivre de Mopani, toujours en Zambie, pour laquelle la BEI a octroyé un prêt de 50 millions d'€, les termes du contrat prévoient que le gouvernement zambien ne recevra que 0,6 des royalties, à l'opposé des assurances de la BEI que ces activités dans le secteur minier procurent au gouvernement beaucoup d'entrées.[9]
En 2007, la BEI a approuvé un prêt de 100 millions d'€ pour le projet minier de Tenke Fungurume en République Démocratique du Congo (RDC), un des plus grands gisements de cuivre-cobalt du monde. Le contrat entre le gouvernement et le consortium minier sert de base légale au projet. C'est un des nombreux projets dont la signature a eu lieu pendant la guerre en RDC, et qui sont aujourd'hui suspects d'irrégularités, telles le manque de transparence, les conflits d'intérêt non déclarés, les questions liées aux paiements ainsi que des termes défavorables au gouvernement congolais qui y sont inclus.
De plus, les financements des grands projets miniers ne correspondent en aucune manière aux priorités définies par l'UE dans sa collaboration avec la RDC. Ces grands projets génèrent des déplacements de la population locale. Dans le cadre du projet Tenke Fungurume, les villageois de Mulumbu ont été déplacés avant même que la construction du nouveau village ne soit commencée. L'extraction minière crée des emplois précaires et sans qualification pour les hommes et met un terme aux activités traditionnelles dans le secteur comme l'agriculture ou l'extraction minière à toute petite échelle, tout à fait interdite. Les droits fondamentaux de la personne dans la mine de Tenke Fungurume ne sont pas respectés et la direction fait souvent appel à des travailleurs sans contrat et sans respecter leurs droits. Le projet ne répond en rien aux objectifs de l'accord de Cotonou puisque l'extraction minière, par sa définition même, n'est pas durable.[10] On peut donc dire, en conclusion, que les compagnies transnationales essaient de bénéficier de tout le soutien accordé par la BEI dans le secteur minier tandis que les populations locales souffrent de tous les maux qui y sont liés.
Des chances d'amélioration de cette situation
Il y a pourtant de l'espoir pour du changement dans la manière d'agir de la BEI. En 2007, la BEI a annoncé sa décision d'accorder un prêt de 50 millions d'€ pour le barrage Gilgel Gibe III sur la rivière OMO en Ethiopie. Le projet menaçait le système écologique déjà fragile de cette région, inonderait des centaines d'hectares de terres vouées à l'agriculture et forcerait des centaines de familles à perdre leurs habitations et leurs moyens de subsistance. Grâce à une forte pression d'organisations de la société civile, la BEI a annoncé en juin 2009 qu'elle renonçait au financement de ce projet.[11]
En novembre 2008, la Cour Européenne de Justice (CEJ) a décidé que le Parlement Européen doit recevoir un rôle de codécision dans la formulation des mandats extérieurs de la BEI. Le mandat en cours a été étendu temporairement jusqu'en novembre 2011 et la présentation des premières propositions pour un nouveau mandat au Parlement par la commission est attendue pour le printemps 2010. En 2010, la révision de la politique de prêts de la BEI aux pays ACP, sous l'accord de Cotonou, débutera. Le rôle accru du Parlement Européen offre une opportunité excellente pour essayer de changer la manière d'agir de la BEI en Afrique et la forcera à plus de transparence.
Conclusions
La BEI, surtout dans ses engagements en Afrique, a commencé à agir comme une grande institution de développement sans en avoir l'expertise, la capacité d'action ou les principes opérationnels exigés par une telle institution. La BEI travaille, à ce jour, pour une grande part, en dehors de la trame de l'efficacité de l'aide et fait peu pour adhérer aux principes que cela engage. Si la BEI ne peut faire mieux en Afrique, il vaudrait mieux qu'elle fasse moins ou rien. La BEI devrait donner la priorité à une série de mécanismes qui vont assurer que ses activités en Afrique encouragent réellement le développement, adoptent les lignes de conduite nécessaires à cet effet, emploie un personnel suffisant pour assurer une vraie supervision des projets qu'elle finance, arrête de mettre l'accent sur le profit dans ses projets pour favoriser plutôt le développement et qu'elle agisse avec plus de transparence pour permettre le contrôle public. Alors seulement la BEI pourra recommencer à financer des projets dans le continent africain.
Thomas Lazzeri
[1] Contrebalance, 2008, Guide des citoyens pour la Banque européenne d'Investissement
[2] Accord de Cotonou, Art. 1
[3] Les Amis de la Terre, Banque européenne d'investissement - L'Europe mine l'Afrique
[4] Ceci ne vaut pas du tout dire qu'il n'y a pas de problèmes dans les méthodes de fonctionnement de la Banque Mondiale.
[5] Contrebalance, 2008, Guide des citoyens pour la Banque européenne de développement
[6] Contrebalance, 2009, Le rôle de la Banque européenne d'investissement dans le développement
[7] http://www.eib.org/projects/news/eib-financing-for-mining-projects.htm
[8] Les Amis de la Terre, Banque européenne d'investissement - l'Europe mine l'Afrique.
[9] Friends of the Earth International, 2006, The European Investment Bank in the South - In Whose Interest ?
[10] Contrebalance, 2008, Soul mining : The EIB's role in the Tenke Fungurume Mine, RDC
[11] http://www.amisdelaterre.org/Succes-la-BEI-renonce-à-financer.html