Les activités de l’Eni au Congo-Brazzaville
Les activités du géant italien de l’énergie Eni au Congo-Brazzaville est un exemple intéressant du comportement douteux des entreprises multinationales Européennes, opérant à l’étranger, et spécialement dans les pays en développement.
Vue d’ensemble de la situation
En mai 2008, l’Eni a annoncé un nouvel accord de 3 milliards de dollars d’investissements pour exploiter des sables bitumeux, des palmiers à huile pour produire du biodiesel et de l’électricité au Congo-Brazzaville. L’ Eni se classe parmi les plus grandes compagnies dans le secteur de l’énergie et jouit d’une forte présence en Afrique avec un marché d’un million de barils par jour et des réserves de 5 milliards de barils.
En termes de profit, l’ Eni est la 26ème
plus grande compagnie du monde. Le Gouvernement italien, avec 30% de parts,
reste le plus grand actionnaire d’Eni. Le Congo-Brazzaville est un pays dont
70% de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, alors que le pays est
le 5ème plus grand producteur de pétrole de la région
sous-Saharienne de l’Afrique. Le pays a un écosystème fragile, avec deux tiers
du pays en forêts tropicales qui sont des ressources-clés pour les populations
locales et jouent un rôle essentiel pour protéger l’équilibre climatique.
Aucun des termes de l’accord entre l’Eni et le Gouvernement congolais n’a été
rendu publique pour protéger la confidentialité du contrat. Ceci va à
l’encontre du code éthique de l’Eni qui stipule ceci : Les
activités commerciales et professionnelles de l’Eni doivent être menées de
manière transparente, honnête et juste (p. 11) et encore : L’Eni s’engage à fournir aux autres parties
contractantes une information vraie, rapide, transparente et exacte (p.21).
La nature secrète des accords est même plus inquiétante, compte tenu que le
Congo-Brazzaville est l’un des pays qui jouit du taux le plus élevé de
corruption au monde.
L’accord a été signé sans consultation de la société civile des régions
concernées par l’accord. Ceci viole encore le code éthique d’Eni qui affirme
cela : On adopte systématiquement
des manières de faire qui impliquent les partenaires, privilégiant le dialogue
en vue d’une responsabilité durable et coopérative (p. 13). Et encore
ceci : L’Eni encourage le dialogue
avec les institutions et les associations de la société civile, dans tous les
pays où elle opère. (p. 21). Les paysans dont les terres ont été saccagées par
les missions d’exploration se sont plaints de n’avoir pas été avertis à
l’avance de la destruction de leurs terres, et aussi de n’avoir reçu aucune
compensation, ni de l’Eni, ni du
Gouvernement congolais.
L’ extraction des sables
bitumeux
L’accord entre l’Eni et le Gouvernement congolais prévoit l’extraction des
sables bitumeux sur une superficie de 1790 kilomètres carrés.
La production d’un baril de pétrole extrait de ces sables bitumeux produit généralement
une émission de gaz à effet de serre de 3 à 5 fois plus élevée que la
extraction habituelle du pétrole. De plus, cette production d’un baril de
pétrole utilise 2,5 à 4 barils d’eau. Au Canada, qui est le seul pays au monde
à le faire, l’extraction des sables bitumeux à entraîner la pollution des eaux
et de l’environnement, la destruction des forêts et a accru les maladies, dont
le cancer. Les terres, une fois utilisées pour l’extraction des sables bitumeux sont pratiquement inutilisables et ne peuvent
être ensemencées.
Le Président de l’Eni, Paolo Scaroni, a affirmé publiquement que l’ Eni ne
procéderait pas à l’extraction de sables bitumeux en régions tropicales du
Congo. Mais d’après une analyse de la Fondation Heinrich
Böll[1] selon
les documents internes de l’Eni, au moins 50% de la zone d’extraction prévue
selon les plans engloberait soit des
forêts tropicales, soit des terres agricoles.
Au Congo, il n’y a ni législation ni
moyens de forcer une multinationale comme l’Eni à protéger
l’environnement. On doit donc s’en
remettre à la seule conscience de ces sociétés.
La pratique de la torchère
Au Congo, l’Eni continue la pratique de la torchère. Cette pratique, les
compagnies pétrolières l’utilisent sur les sites de forages, là où en même
temps que le pétrole s’échappent des gaz. Il est plus profitable de
les brûler sur place plutôt que d’essayer de les récupérer ou de les réinjecter
dans les sols.
Cette pratique est très contestable, à cause de son impact sur l’environnement et notamment les émissions de gaz à effet de serre. Dans les pays Occidentaux, 99% des gaz sont récupérés ou réinjectés dans les sous-sols. En Afrique, la pratique de la torchère est largement répandue. En 2009, on a estimé que le volume de gaz brûlé, sur le site de M'Boundi où opère l’Eni depuis 2007, s’élève à plus de 1 milliard de mètres cubes par an. L’Eni déclare formellement son intention de ne pas utiliser la pratique de la torchère, partout dans le monde, mais malheureusement elle n’a pas encore mis fin à cette pratique au Congo. En 2007, une loi interdisant la pratique de la torchère a été adoptée au Congo. Mais cette loi prévoit en même temps la possibilité de demander un permis spécial pour continuer cette pratique. En raison de l’accord confidentiel entre l’Eni et le Gouvernement congolais, on ne sait pas si l’Eni a fait la demande d’un permis spécial ; on ne connaît pas non plus les arguments qui ont été avancés et à quelles conditions il a été octroyé.
Les habitants des villages proches du site de M'Boundi, qui sont les victimes
directes des conséquences de la pratique de la torchère, se sont plaints de son
impact sur leur santé et sur leurs terres. Malheureusement l’Eni a refusé
d’admettre que ces gaz brûlés au Congo pouvaient avoir des effets nuisibles sur
la santé, en mettant alors en avant que les populations locales souffraient
seulement des maladies tropicales typiques à cette région. Cependant, des
témoignages reçus parlent de bronchites,
de problèmes respiratoires, de maux de tête, d’infections de la peau et
d’autres maladies sérieuses, et aussi de pollution de l’eau et des récoltes.
Par ailleurs, la poursuite de la pratique de la torchère n’est pas dans la
ligne du code éthique de l’Eni qui fixe ceci :
Les activités de l’Eni doivent
être conduites en veillant à la santé et à la sécurité des travailleurs, selon
des accords de protection de l’environnement et du public, d’après les législations et les normes
internationales et enfin d’après les lois, les règlements, les pratiques
administratives et les politiques nationales des pays où elle opère (p.39).
La production de biocarburants
L’Eni et le Gouvernement congolais ont signé un Memorandum d’Entente concernant
la culture de palmiers à huile sur environ 70 000 hectares. Cet investissement
devrait produire environ 340 000 tonnes d’huile de palme brute par an.
Malheureusement, nous ne savons pas plus précisément le lieu où doit
s’implanter le projet. Il y a tout à penser que cela peut amener la destruction
de la forêt tropicale, le déplacement forcé des populations. L’Eni s’est
simplement limitée à assurer que les
forêts tropicales, les zones agricoles et d’environnement qualifié ne seraient pas touchées. En
2009, au cours d’une rencontre avec la Fondazione Culturale Responsabilità Etica, l’Eni
a affirmé que le projet serait mené par un consortium, auquel participeraient le Ministre
congolais de l’Agriculture et des organisations internationales, dont l’Union
Européenne. Il semble, cependant, que la délégation de l’Union Européenne au
Congo soit complètement ignorante de l’existence de tels projets et du
consortium.
Les activités d’AEFJN
En mars 010, l’antenne italienne d’ AEFJN
a envoyé une lettre à l’Eni pour lui exprimer ses préoccupations concernant
l’impact des activités de l’Eni au Congo, sur les populations et
l’environnement. Une même lettre a été envoyée au Ministre italien de
l’Environnement, car le Gouvernement italien est le principal actionnaire de
l’Eni. Dans sa réponse, l’Eni affirme seulement de manière très générale que “sa présence au Congo est fondée sur le
désir de contribuer à une croissance durable en lien avec les partenaires
locaux”, sans répondre directement à ce qui nous préoccupe. Le Gouvernement
italien n’a pas encore répondu. L’antenne italienne a aussi participé à un
débat sur les activités de l’Eni à l’étranger, organisé en Mai 2010 lors de la
rencontre Terra Futura, à Florence.
Le secrétariat international d’AEFJN à Bruxelles rencontre de nombreux membres
italiens du Parlement Européen pour les
mettre au courant de tout ce qui nous préoccupe dans les activités de l’Eni.
Thomas Lazzeri
[1] Heinrich Böll Stiftung, 2009, Energy Future? Eni’s new investment in tar sands and agro-fuels in the Congo Basin