L’L'UE doit-elle suivre la légalisation Dodd-Frank?

Exploitation minière artisanale
Exploitation minière artisanale

Depuis presque vingt ans maintenant, la République Démocratique du Congo (RDC) paie un lourd tribu à cause de la richesse de son sous-sol en ressources naturelles. Malgré la signature d’accords de paix en décembre 2002, l’Est du pays est toujours en proie à une violence armée provoquée par de nombreux groupes rebelles. Ceux-ci sont parvenus à développer une activité économique parallèle via la contrebande de minerais dont le coltan très demandé sur le marché mondial de l’électronique.

 

La communauté internationale a longtemps placé le besoin d’accords de paix et la tenue d’élections libres en RDC en tête de son agenda politique. Par conséquent, la problématique des ressources naturelles, déjà décriée depuis 2001 par un Groupe d’experts du Conseil de Sécurité, a longtemps été reléguée au second plan. C’est suite à plusieurs rapports des Nations-Unies mettant au jour l’implication de plusieurs compagnies internationales dans ce commerce, que la question a pris l’ampleur qu’elle connaît aujourd’hui.

Le 21 juillet 2010, le président des Etats-Unis Barack Obama signait la loi de réforme financière Dodd-Frank qui, dans sa section 1502, impose aux entreprises américaines achetant du minerai de la RDC d’établir si leurs produits contiennent des minerais de conflit en soumettant leur chaîne d’approvisionnement à des normes de diligence raisonnable. En réaction à cette loi qui doit encore entrer en vigueur, certaines sociétés l’appliquent de manière anticipée depuis avril 2011 en n’achetant plus de minerai congolais. En conséquence, l’activité commerciale des minerais est presque à l’arrêt, touchant certains groupes rebelles et des mineurs artisanaux sans distinction aucune.

De fait, cette initiative politique constitue l’approche politique à grande échelle pour lutter contre la contrebande des ressources minières en RDC. L’idée est de tarir la source de financement des groupes rebelles pour forcer leur désengagement et améliorer les conditions devant mener à une pacification de la région. Cependant, ces initiatives ont largement été décriées sur le terrain comme contre-productives. Il s’en est suivi un large débat entre les donateurs internationaux, acteurs sur le terrain et agences gouvernementales quant à la manière d’amener la paix dans la région. Partisans[1] et opposants[2] à ces initiatives s’affrontent. Les premiers soulignent l’urgence de mettre fin à une situation humanitaire désastreuse qui dure depuis plus de 16 ans. Les seconds dénoncent ces lois parce qu’elles touchent une partie de la population locale en la privant de son unique revenu, parce qu’il existe des raisons politiques qui poussent les groupes rebelles à se battre et parce que 8% seulement des sites miniers abritent des groupes armés [3].

 

Le prix de la paix au Congo


Deux décennies de conflit dans l’Est du Congo et le déclin des industries minières dans la région font que l’exploitation minière est aujourd’hui redevenue artisanale, fournissant un moyen de subsistance pour des millions de congolais. Plus d’un cinquième de la population congolaise dépend de cette activité comme principale source de revenu [4]. Aujourd’hui, la situation économique des creuseurs qui travaillent pour une bouchée de pain dans des conditions exécrables est devenue encore plus difficile. Le kilo de cassitérite au Sud-Kivu se vend aujourd’hui 3,5$, un prix qui a diminué de moitié en un an. A l’exception des Chinois, tout les comptoirs ont fermé, déstabilisant encore plus l’équilibre entre offre et demande.

 

Une situation complexe qui appelle des instruments complets


En parallèle aux mesures instaurées par les Etats-Unis, il existe d’autres approches au problème qui datent d’avant la signature de la loi Dodd-Frank. Sur base de résolutions du Conseil de Sécurité en la matière prises entre 2003 et 2009, des instruments de certification et de traçage des minerais ont été mis en place. Parmi les plus importants, il y a le Certified Trading Chains (Chaines de commerce certifiées) et ITRI Tin Supply Chain Initiative (Initiative de l’Institut international de recherche sur l’étain sur les chaines d’approvisionnement du même minerai) qui opèrent de concert à travers la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL).

 

J’ai eu l’opportunité de travailler comme auditeur sur le projet pilote de certification de minerais en RDC et de constater la plus-value réelle que ces dispositifs apportent au règlement du problème. Premièrement, ces initiatives apportent, paradoxalement, une solution à l’arrêt des ventes rencontré sur le terrain. C’est seulement via un système de vérification international que les minerais de l’Est de la RDC parviendront à trouver acheteur. Deuxièmement, ces approches pratiques se focalisent aussi sur les services d’encadrement de l’activité minière. Ces initiatives étudient la nomenclature des taxes, les dispositifs légaux quant à un investissement industriel sur un site minier artisanal, le soutien administratif et matériel aux mineurs, la lutte contre la corruption, l’impact sur l’environnement ou encore le contrôle du travail infantile. Enfin, la seule mise en place de ces dispositifs nécessite la collaboration de l’Etat Congolais et donc le retrait de toute force militaire sur le site minier. Chose positive puisque très souvent les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) sont un facteur important de contrebande. Groupement hétérogène de rebelles désarmés puis remobilisés plutôt qu’une armée nationale, les FARDC sont connus pour leur implication dans le trafic illicite en saisissant les minerais directement à la sortie de la mine ou bien en imposant des « taxes » de sécurité sur les mineurs.

 

Dans son dernier rapport datant de Décembre 2011, le Groupe d’experts des Nations-Unies sur la RDC constate l’effet de la loi Dodd-Frank car les revenus des groupes armés et autres réseaux criminels ont diminué en général. Il remarque aussi une amélioration de la bonne gouvernance du secteur minier dans les zones où les comptoirs et les négociants ont introduit des systèmes de traçage. Au contraire, le rapport souligne une détérioration dans les zones où aucune de ces mesures n’a été mise en place, couplée à une hausse de la contrebande de la part des FARDC et des bandes armées. Le rapport mentionne que, pour compenser des revenus en baisse, ces groupes se sont tournés vers la contrebande d’or, minerai difficilement traçable, mais aussi vers d’autres ressources naturelles non-minérales. Dès lors, les possibilités pour les mineurs artisanaux de survivre à la loi Dodd-Frank en se tournant vers l’agriculture sont limitées car les revenus des cultures sont aussi sous la menace des groupes rebelles.

 

A travers ces observations, il apparait que les mesures de certification et de traçage paraissent en mesure de pallier à la déficience majeure de la loi Dodd-Frank qui est le ralentissement de l’activité commerciale des sites miniers non concernés par le trafic illégal de minerais. Une législation imposant des restrictions aux compagnies internationales est insuffisante car elle n’assiste pas les acteurs congolais à prouver eux-mêmes l’origine de leurs minerais. La situation dans l’Est du Congo est aujourd’hui le résultat d’une défaillance de l’appareil étatique où les autorités administratives, corrompues, favorisent les réseaux de commerce parallèles, freinent tout développement socio-économique et où les forces armés génèrent l’insécurité. Seule une approche pratique de la communauté internationale basée sur la bonne gouvernance, la réforme des services de sécurité, la consolidation des services juridiques peut permettre à l’Etat Congolais de régler le problème des groupes armés non-étatiques selon ses propres termes. Un cadre d’action que les mesures de certification et de traçage des minerais du secteur minier suivent justement.

 

L’Union européenne cherche une réponse par rapport à la Loi Dodd-Frank

 

Au niveau européen, le lien entre secteur minier et développement apparait très clairement dans le Plan d’Action 2011-2012 de la Stratégie commune Afrique-Europe. Il y est fait référence à la nécessité, selon une vision cohérente du développement, de promouvoir le commerce minier. Aussi, en réponse à la situation dans l’Est du Congo, le Parlement européen a souligné la nécessité d’adopter une législation similaire à la loi Dodd-Frank dans une résolution datant du 15 décembre 2010 et portant sur l'avenir du partenariat stratégique UE-Afrique à la suite du troisième sommet UE-Afrique.

 

Si l’UE s’est penchée sur la question, elle ne sait toujours pas dans quelle mesure elle doit s’aligner sur la loi américaine alors que le marché européen est l’un des consommateurs principaux des minerais congolais. Si un tel texte est nécessaire, il faut qu’il aille au-delà de la loi Dodd-Frank. Comme le souligne bien Nick Westcott, directeur pour l’Afrique du Service européen pour l’action extérieure  lors d’un discours le 18 octobre 2011: "Comme le cas de la RDC l’atteste, parvenir à la paix signifie plus que mettre fin à un conflit. Il s’agit de construire des institutions qui sont suffisamment robustes pour préserver la paix et ses libertés [5]".

 

C’est pourquoi une loi européenne sur la question doit inclure et soutenir les efforts de certification et de traçage des acteurs de la société civile internationale et des pays producteurs de la région des Grands Lacs. A ce sujet, il convient de préciser que la CIRGL est la seule organisation à œuvrer simultanément à la réforme de la gouvernance, du secteur de la sécurité et au développement dans la région des Grands Lacs et à avoir élaboré une Initiative régionale contre l’exploitation des ressources naturelles. Qui plus est, les efforts en termes de traçage et de certification ont été approuvés en décembre 2010 à Lusaka par les Chefs d’Etats de la région, signe que la question est abordée sérieusement sur le terrain.

 

Enfin, une législation européenne est aussi primordiale pour sensibiliser les autres Etats à jouer le jeu. Une cohérence internationale est nécessaire pour éviter une distorsion de la compétition et pour qu’il y ait une pression nécessaire sur les fournisseurs en RDC. Les compagnies européennes et asiatiques devraient être sujettes aux mêmes régulations que les compagnies américaines. Ceci est d’autant plus vrai que le dernier rapport du Groupe d’experts sur la RDC a mis en évidence l’achat par des comptoirs chinois de minerai provenant de réseaux criminels.

 

Sébastien Porter



[1] Bahati Jacques & Hall Aaron, “US Conflict Mineral Law Opens the Door to Peace in the DRC”, http://afjn.org/focus-campaings/promote-peace-d-r-congo/71-policy-objectives/994-us-conflict-mineral-law-opens-the-door-to-peace-in-the-drc.html

[2] Aronson David, “How Congress Devastated Congo”, The New-York Times, 7th August 2011, http://www.nytimes.com/2011/08/08/opinion/how-congress-devastated-congo.html?_r=3

[3] Seay Laura E., “What’s Wrong with Dodd-Frank 1502? Conflict Minerals, Civilian Livelihoods, and the Unintended Consequences of Western Advocacy”, Center for Global Development, Working Paper n°284, January 2012, Washington D.C, p 17-19.

[4] Garrett Nicholas, “The Extractive Industries Transparency Initiative (EITI) & Artisanal and Small-Scale Mining (ASM)”, Extractive Industries Transparency Initiative, 22 Octobre 2007, p 6.

[5] Discours entier: http://eeas.europa.eu/top_stories/2011/181011_en.htm

Go back