L’exploitation du pétrole au Tchad et la population de la région

Le projet pétrole Tchad qui avait éveillé tant d’espoirs pour le développement du pays est devenu, après 8 ans d’exploitation, un cauchemar qui a transformé le paradis rêvé en enfer. L’exploitation du pétrole a détruit le système de production paysanne, privant les agriculteurs de leurs moyens de subsistance, polluant les eaux, les sols et l’air, divisant la population et semant le désespoir surtout chez les jeunes.
Ma visite à la région m’a permis de voir l’impact de l’exploitation du pétrole sur le terrain. Pour les agents pastoraux avec qui j’ai fait cette visite, comme pour moi, la réalité s’avérait bien pire que celle que nous avions imaginée.
De 2004 à 2011, le budget de l’Etat est passé de moins de 300 milliards de francs CFA à plus de 1572,482 milliards de francs CFA, mais les retombées de cette manne ne bénéficient pas à la population. Ni les conditions de vie des 11 millions de Tchadiens, ni les services publics ne se sont améliorés. Les promesses faites par les compagnies et par le gouvernement n’ont pas été tenues et la Banque Mondiale a quitté le pays en 2008.
Actuellement le gouvernement est en train d’établir des contrats obscurs avec d’autres compagnies extractives : Chinoise, Taïwanaise… On est en train de prospecter d’autres minerais (uranium, or). L’exploitation de l’uranium est encore bien plus dangereuse que celle du pétrole.
Le pétrole, un projet controversé
Le projet d’exploitation du pétrole du Tchad, financé par la Banque Mondiale, a été très controversé depuis sa planification et encore davantage lors de sa réalisation. Les opposants au projet prévoyaient que, le Tchad étant un des cinq pays les plus corrompus de la planète, la population ne bénéficierait pas des redevances du pétrole mais en subirait les retombées négatives. Ceux qui y étaient favorables croyaient aux promesses du gouvernement, de la compagnie d’exploitation et de la Banque Mondiale, qui affirmaient que le pétrole mettrait fin à la pauvreté du pays.
Pour obtenir de la Banque Mondiale (BM) le financement du projet, le gouvernement s'était engagé à affecter 70% des revenus pétroliers à la réduction de la pauvreté, dont 5% réservés au développement de la région sud. La Banque Mondiale prétendait faire du projet pétrole Tchad un modèle où les ressources naturelles aideraient à éradiquer la pauvreté et profiteraient à la population.
Après 8 ans d’exploitation, les résultats dépassent les pires prévisions. La pauvreté s’est exacerbée dans le pays, particulièrement dans la zone pétrolière. En 2011 le Tchad était le 7ème pays le plus pauvre du monde[1]. Le Logone Oriental où se trouve le bassin pétrolier de Doba, région majoritairement rurale très productive et très peuplée (38% de la population), est aujourd’hui la troisième région la plus pauvre du Tchad malgré les milliers de barils de pétrole exportés chaque jour. 64,7% de sa population vit dans la pauvreté avec un revenu moyen de 396 F CFA, soit 0,56 euro par personne et par jour. Les paysans du bassin de Doba sont les grands perdants du projet pétrole.
La production pétrolière
La production de pétrole dans le bassin de Doba (Sud du Tchad) a commencé en 2003. Le pétrole est transporté du bassin de Doba au port de Kibri (Cameroun) sur l’Atlantique par un oléoduc de 1.070 km (dont 205 km au Tchad).
Les trois principaux gisements de Doba-Komé, Miandoum et Bolobo, totalisant 900 milliers de barils, sont exploités dans plus de 1000 puits dont le nombre augmente encore (le contrat en prévoyait 300). Les réserves totales du pays [bassins de Moundouli, Nya (sud) et Sidigui et Bongor (Lac Tchad)] dépassent 2.000 millions de barils. ESSO Consortium -formé par ExxonMobil et Chevron des Etats Unis et Petronas de la Malaisie - est responsable de l’exploitation et de l’exportation du pétrole. La qualité et la quantité produites, base des redevances payées au pays, ne sont contrôlées que par ESSO. Le Tchad n’a pas la volonté ou les moyens de faire ces contrôles. Mais le pays pourrait se procurer des techniciens et des technologies à cet effet.
Esso s’abrite derrière la confidentialité des contrats pour alimenter un système de corruption qui empêche un vrai contrôle des bénéfices du pétrole. Le Tchad a signé sa candidature à l'Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) en 2010, mais il n’a pas encore présenté son rapport.
Les redevances du pétrole
Le pays a commencé à percevoir des revenus du pétrole en 2004. Vu le manque de transparence de la part de l’administration et du Consortium, il est difficile de connaître les montants perçus par le gouvernement. La table qui suit présente les estimations des revenus du Tchad et des compagnies pétrolières de 2004 à 2007[2] pour une production moyenne estimée de 120.000 barils par jour :
Sources de revenus 2004 – 2007 |
Tchad (revenus en dollars) |
Consortium (revenus en dollars) |
Redevances et dividendes |
1.007.468.161 |
7.052.277.127 |
Impôt sur les revenus des sociétés |
1.304.220.935 |
-1.304.220.935 |
TOTAL |
2.311.689.096 |
5.748.054.192 |
Le manque de maîtrise des coûts opérationnels du projet et du contrôle de la quantité exportée réduit la part du Tchad qui ne reçoit que 28,69% des bénéfices pendant qu’ESSO en reçoit 71,31%. Entre 2004 et 2008, le Tchad, à cause de l’augmentation des prix du pétrole, obtint des revenus supérieurs à ceux prévus. Cela lui permit en 2008 de rembourser la dette à la Banque Mondiale (BM), poussant ainsi le retrait de la BM, sans que le pays respecte les exigences de l’accord. L’enquête de la BM de 2005 révéla que l'argent avait été gaspillé de façon abusive : matériel de mauvaise qualité, prix gonflés, des écoles et des hôpitaux non finis et surtout non équipés. Le collège de contrôle et de surveillance des ressources pétrolières est très affaibli et tourne au ralenti. Il n’est pas indépendant et son avis n’est pas souvent respecté.
L’impact du projet sur la population
1. L’impact sur la production agricole
La plupart des villages de la région de Doba avaient une bonne production agricole. Les familles avaient quelques bœufs, charrettes, vélos et un toit en tôle sur leurs maisons. Aujourd’hui la prospérité n’est qu’un souvenir et le désespoir grandit dans la région où la manne du pétrole s’est transformée en malédiction. Les plus de 4.000 familles affectées par le projet sont abandonnées à leur triste sort.
Le consortium d’exploitation ESSO a acquis plus de 60% des espaces cultivables de la zone pour ses multiples installations qui ont dépassé de beaucoup les prévisions. Les infrastructures pétrolières occupent des surfaces cultivables et réduisent l’espace vital de la population. Champs de cultures et infrastructures pétrolières s’entremêlent. Dans 25 villages il y a un total de 1.112 puits, 27 collecteurs, 6 unités de collecte et 34 carrières ! Des populations ont été déplacées ; la surface cultivable a diminué; les villages restent enclavés au milieu des installations pétrolières ; les sites sacrés ont été désacralisés. Savane, forêts, marécages et terrains en friche de plus d’un an sont pris sans dédommagement. Or, la population employait ces terrains pour des activités complémentaires à l’agriculture: champs de brousse, cueillette des champignons, fruits, miel, médicaments, bois, chasse, pêche, pâturages. Le système de production traditionnel a été détruit. Aucun accompagnement n’a été mis en place pour aider à la reconversion des populations qui ne peuvent plus vivre des produits de leurs terres.
Les paysans ne peuvent plus pratiquer librement la jachère, donc les terres agricoles s'épuisent et la production diminue. De plus, leurs mouvements dans leur propre terroir sont restreints (défense de sortir la nuit) à cause de la surveillance des installations pétrolières.
Malgré les nombreuses lignes à haute tension qui parcourent la région, les villages et les petites villes n’ont pas d’électricité et même les grandes villes sont souvent dans l’obscurité. Des camions citernes remplis d’eau circulent continuellement mais les villages n’ont pas d’eau potable.
Les populations des localités directement affectées sont exclues des retombées économiques et sociales de l’exploitation du pétrole. Elles sont passées de la pauvreté sans pétrole, à la misère avec le pétrole. D’où l’indignation et le désespoir qui règnent chez les populations des villages enclavés, surtout chez les jeunes qui ne voient pas d’issue pour leur avenir.
2. L’impact sur la vie
Le pétrole est un poison qui menace l’environnement naturel de la région et envenime la vie des communautés par ses impacts irréversibles qui affectent les eaux, les sols, la production, la santé, la faune et la flore. L’oléoduc passe à travers champs, tout près des villages et traverse plusieurs rivières qui sont des lieux de pêche. Leur lit asséché annuellement était utilisé traditionnellement pour les cultures maraîchères, le riz et le maïs. La forêt galerie qui longe ces cours d’eau est aussi menacée. Pire encore, ces cours d’eau se jettent dans la Pendé qui rejoint le Chari avant de se jeter dans le Lac Tchad, ce qui risque de propager les contaminations locales à une grande partie du pays.
La contamination est déjà bien présente. Les canaux de drainage des forages et des carrières contaminent les eaux de surface et la nappe phréatique dont l’eau est utilisée par la population. Des cours d’eau et des terrains ont déjà été contaminés par des déversements du brut et des ruptures de l’oléoduc. La compensation, si elle existe, ne couvre pas la perte. ESSO n’a pas de mécanismes pour détecter les déversements accidentels et emploie des villageois « marcheurs » pour détecter et signaler les fuites.
Les carrières - énormes fosses creusées pour obtenir de la terre et enterrer les déchets polluants – sont restituées aux paysans sans être décontaminées et restent infertiles. Des carrières non fermées accumulent des eaux de pluies. Ceci favorise les moustiques, augmente le paludisme et constitue un danger de noyade pour les animaux et les personnes. Plusieurs enfants et animaux y sont morts. Les plaintes déposées en justice sont restées sans suite à cause de la complicité des autorités avec ESSO.
L’air aussi est contaminé par les torchères qui brûlent le gaz de rejet, et la déchetterie qui occasionne des maladies dans le village voisin. Certaines plantes ne produisent pas de fruits. Les rendements agricoles ont diminué dans les zones proches des zones de combustion du gaz, même avec de bonnes pluies.
La pollution se répercute dans la santé des populations et des animaux. On a constaté un taux de mortalité infantile, d’avortements spontanés et de maladies bien supérieur au passé. Des enfants meurent à cause des anémies fulgurantes. Les courants de haute tension causent des problèmes de santé.
Le plan de gestion des déchets et de référence générale du projet n’est pas mis en œuvre. Les mécanismes de supervision et contrôle des aspects sociaux et environnementaux sont défaillants ou inexistants.
Le pétrole a permis de construire quelques infrastructures (écoles, hôpitaux, universités) dans le pays et d’améliorer le réseau routier. Mais plusieurs de ces infrastructures ne fonctionnent pas et d’autres sont une « vitrine » qui ne bénéficie pas à la plupart des Tchadiens.
3. Perversité du système de compensations
Les compensations sont non-transparentes, inadéquates et injustes et produisent des divisions dans les communautés. Puisque la terre appartient à l’Etat et que les villageois n’ont que le droit d’utilisation, ESSO ne compense que les champs cultivés ou en préparation et les récoltes perdues. Les indemnisations ne compensent absolument pas la perte de la terre « ressource » qui procure un moyen de subsistance. Elles permettent aux paysans qui ont perdu leurs terres de vivre tout au plus deux ou trois ans. Les fonds ne sont pas versés intégralement à la population affectée, mais profitent aux nombreux intermédiaires. L’exploitation du pétrole est source de conflits et de tensions entre les populations riveraines, les entreprises et le gouvernement.
Les 5% des revenus directs pétroliers de l’Etat étaient destinés à réduire les effets négatifs du projet sur les populations affectées dans la région productrice. Mais cet argent (€ 5,8 milliards) n’a pas bénéficié au Logone Oriental. Sur les 1027 villages que compte la région productrice, à peine 3% ont bénéficié des investissements issus des 5% des revenus pétroliers. Pendant que des villages affectés n’ont bénéficié d’aucune réalisation, d’autres villages « visibles » mais non affectés ont vu des réalisations démesurées, qui servent de vitrines pour les visiteurs.
A cause de l’existence des 5% pour la région productrice, l’Etat concentre ses investissements dans d’autres régions sans grande planification et parfois avec des problèmes de fonctionnement. La mauvaise gouvernance a engendré un gaspillage des fonds disponibles. Les infrastructures réalisées ne répondent pas aux besoins des populations pauvres et sont de mauvaise qualité. L’engagement d’affecter 70% des revenus pétroliers à la réduction de la pauvreté est resté une promesse non réalisée.
Des signes d’espoir
Devant cette situation peu reluisante pour la population de la zone pétrolière, plusieurs réseaux ont vu le jour et ont activement plaidé pour l’amélioration des conditions de vie de ces populations.
L’Eglise est en train de prendre conscience du problème et est décidée à accompagner les populations. Les évêques de la région pétrolière sont engagés dans des actions de plaidoyer auprès du gouvernement, de la compagnie et des Institutions internationales (EU, pays membres, organisations). La création du Cadre de Concertation et de Dialogue du Logone (CCDL) vient renforcer l’initiative des réseaux existants, et entend amorcer un dialogue franc et responsable avec Esso-Tchad, autour des problèmes de perte des terres, restauration des sols, compensations, libertés fondamentales et sécurité, dégradation de l’environnement, etc. qui affectent les populations de la zone pétrolière.
Begoña Iñarra