La question des semences

Résumé

Les semences sont à la base de nombreuses cultures alimentaires. L’accès à des semences de qualité, adaptées aux conditions locales et à prix abordable et la protection de la biodiversité sont donc deux points cruciaux pour les agriculteurs. Or l’accès libre est menacé par des conventions et par le paiement de droits de propriété intellectuelle qui ont été considérablement renforcés ces dernières années partout dans le monde, à la demande des pays développés et au profit de leurs industriels. Les pays du Sud ont dénoncé les abus de l’industrie semencière. Ils revendiquent la protection de la diversité biologique, la reconnaissance et la juste rétribution de la contribution des agriculteurs à la sélection et la multiplication des ressources phytogénétiques et enfin, un partage équitable des avantages liés à l’utilisation des ressources génétiques.

 

Le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture (TIRPAA) signé en 2005 reconnait les droits des agriculteurs de conserver, utiliser, échanger et vendre les semences de ferme, mais sous réserve des lois nationales. Cependant ces droits, sous la responsabilité des Etats, ne sont pas encore appliqués.

Les semences, base de l’agriculture

Les semences sont à la base de nombreuses cultures alimentaires telles que le riz, le maïs, le blé, le sorgho, le millet et tant d’autres. Les semences sont donc essentielles à l’agriculture. Les autres formes de multiplications depuis longtemps utilisées par l'homme sont le  bouturage (manioc) et le marcottage (arbres fruitiers), et d’autres plus formes de clonage plus récentes comme la culture in vitro à partir d'explant (extrémité de plante). À la différence du semis qui donne de nouveaux spécimens grâce à la nouvelle combinaison génétique, la multiplication végétative génère des clones.

 

La qualité des semences détermine la productivité et la résistance aux maladies. Les agriculteurs ont besoin de semences adaptées à leurs conditions de culture, à la demande des clients (qualité gustative, durée de cuisson) et aux défis que le changement climatique impose à des systèmes agro-écologiques en évolution. Plus il y a de variétés dans les semences utilisées,  plus il y a d’opportunités d’obtenir une meilleure résistance aux maladies et une meilleure résilience aux changements de conditions environnementales, et par conséquent, une meilleure production sans ajout d’intrants (engrais, pesticides).

 

Semences « paysannes » et semences industrielles

Les semences dites « paysannes » répondent à ces critères. Reproduites au champ en pollinisation libre, les semences paysannes évoluent et se diversifient constamment pour s’adapter à la diversité et à la variabilité des terroirs et des climats[1]. Depuis l’origine de l’agriculture, l’homme sélectionne et multiplie ce type de semences. Les agriculteurs ont aussi l’habitude d’échanger leurs semences et leurs connaissances. Cela se fait encore dans certaines « banques de semences » comme l'ONG kényane Green Earth Programme (Planète verte) qui a créé un réseau de banques de semences communautaires afin d'aider les paysans à mieux conserver leur matériel cultural et à l'échanger entre eux[2], ou comme le Réseau Semences Paysannes créé en France en 2003 pour assurer le travail de conservation, de sélection et de multiplication des semences[3] indépendamment des industries.

Ces semences « paysannes » sont appelées aussi « ressources phytogénétiques » par l’industrie semencière qui puise dans les réserves et les connaissances des agriculteurs pour sélectionner des variétés dont elle fixe les caractéristiques pour obtenir une culture homogène, plus adaptée à l’agriculture mécanisée et à l’industrie agro-alimentaire qui transforme ces récoltes. Cette homogénéité perd en résistance et en résilience qui sont alors compensées à l’aide d’engrais et de pesticides.

 

L’industrie semencière cherche à vendre ses semences sélectionnées et à étendre son marché. Elle promeut ses produits et certaines techniques agricoles directement auprès des producteurs ou par le biais de politiques, de subventions et de fonds d’aide. Elle protège également son travail de sélection et d’obtention de nouvelles variétés par des brevets et des certificats d’obtention végétale (COV), lesquelles deviennent un but en soi puisque ces ‘droits de propriété intellectuelle’ (DPI)  rapportent des devises.

La politique d’extension de l’agriculture industrielle a abouti à ce qu’aujourd’hui :

  • 12 espèces végétales et 14 espèces animales assurent l’essentiel de l’alimentation de la planète.
  • 75 % au moins de toutes les cultures vivrières connues ont disparu dans le courant du siècle dernier.(CTA [4])
  • le commerce mondial de semences qui pèse 37 milliards $ US (25 milliards €) est monopolisé par dix compagnies. (ONU [5])

Le brevet dure 20 ans et confère à son titulaire le monopole de toute utilisation  de la semence, les cellules végétales ou la séquence ADN brevetée. Les certificats COV interdisent aux agriculteurs de semer une part de leur récolte issue de semences brevetées ou certifiées, de vendre, multiplier ou produire ces semences et de les détenir pour vendre ou échanger sans autorisation de l’obtenteur. L’Etat ne peut pas autoriser les agriculteurs à échanger ou vendre les semences provenant de récoltes issues de variétés protégées. La variété peut être certifiée COV si elle est nouvelle, distincte, homogène et stable (art 5.1 de la convention de l’UPOV). Cela exclut toute semence paysanne qui, par nature, est hétérogène et instable.

Accès aux semences et préservation de la diversité

Or la circulation et l’échange libres du matériel génétique au sein des filières paysannes est à la base de la très grande majorité de l’agriculture en Afrique Sub-saharienne (et en Asie du Sud). 90 % du matériel de plantation utilisé par la petite agriculture est sélectionné et conservé par les femmes[6]. L’accès à des semences de qualité, adaptées aux conditions locales et à prix abordable et la protection de la biodiversité sont donc deux points cruciaux pour les agriculteurs. L’accès libre est menacé par des droits de propriété intellectuelle qui ont été « considérablement renforcés ces dernières années partout dans le monde, à la demande des pays développés et au profit de leurs industriels. » (6) «On assiste en même temps à la réaffirmation de la souveraineté des États sur leurs ressources génétiques, en reconnaissance de la contribution des États et des communautés à la préservation de la biodiversité.  L’accessibilité des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture vient d’être reconnue comme un élément primordial de la sécurité alimentaire, et un ambitieux système multilatéral d’accès et de partage des avantages a été mis en place pour concilier les besoins en matière d’innovation et la diversité génétique des cultures. » (6) La biodiversité est menacée par les pratiques des industriels et par le risque de détournement de ressources génétiques, y compris dans les banques de collections qu’elles ont développées à partir des collections des Etats et des paysans. Ainsi le Fond fiduciaire mondial pour la diversité des cultures,  dont les premiers donateurs sont les fondations Rockefeller et Bill Gates, a inauguré en  2008 la banque de Svalbard en Norvège. « Ces mêmes fondations industrielles se gardent bien de verser les mêmes sommes pour la conservation « in situ » et les droits des paysans », déclare Guy Kastler. Cette banque ‘ex situ’ de Svalbard ne préserve pas le pouvoir germinatif des graines puisque l'industrie a seulement besoin de lire la séquence du matériel génétique pour la reproduire dans les laboratoires. A l’inverse les banques ‘in situ’ des agriculteurs conservent le matériel vivant et le pouvoir germinatif; il faut donc resemer les graines et préserver la variété en évitant les pollinisations croisées qui mélangent le matériel génétique.

« La Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992 a été conçue en partie pour prévenir ce risque [d’accaparement des ressources génétiques], son objectif étant la conservation de la diversité biologique et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques (art. 1). » (6

Le Traité International et les droits des agriculteurs

Au vu de la situation actuelle, il est urgent de renforcer la protection des droits des agriculteurs dans les législations nationales et le droit international, en particulier le droit des agriculteurs de conserver, utiliser, échanger et vendre les semences. Ce droit d'accès aux semences est vital.

Ce droit des agriculteurs est cité dans le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture (TIRPAA) signé en 2005. Il règle le "système multilatéral d’accès". "Les signataires du Traité et toute partie (état ou personne privée) qui met ses propres ressources à la disposition du système multilatéral ont librement accès à l’ensemble des ressources qui y ont été cédées par les autres parties. Cet accès est libre pour la conservation, la recherche ou la formation, l’accès des agriculteurs reste soumis au bon vouloir des états. En contrepartie, les états signataires s’engagent à respecter les « droits des agriculteurs » qui ont conservé, conservent et conserveront ces ressources. Ces droits, qui restent la partie non mise en œuvre du Traité, sont ainsi définis :

•   la protection des savoirs traditionnels,

•   le partage des bénéfices issus de l’exploitation commerciale de leurs ressources,

•   la participation aux décisions nationales concernant les ressources.

Le Traité cite aussi les droits des agriculteurs de conserver, utiliser, échanger et vendre les semences de ferme, mais sous réserve des lois nationales. L’application de ces droits reste sous la responsabilité des états et non du Traité : la plupart des pays les ignorent totalement, certains tolèrent hors du cadre légal les échanges informels de semences entre agriculteurs, quelques rares pays les transcrivent partiellement dans leur législation nationale (Brésil, Inde, Pérou, Equateur, Suisse...). » (1)

 

Olivier de Schutter, rapporteur spécial sur le droit à  l’alimentation est très critique  : « Les soi-disant « droits » des agriculteurs demeurent des droits sans voies de recours: ils n’ont de droits que le nom. La disposition reste vague et son application est très inégale selon les États parties. Le contraste avec la protection internationale des droits des obtenteurs et des brevets pris par les industriels est tout à fait frappant. Qui plus est, il n’existe aucune instance qui permettrait d’examiner la réalisation des droits des agriculteurs dans différents contextes de manière à avoir des points de repère et des exemples de bonnes pratiques à proposer aux gouvernements. » (6

 

En vue de l'application des droits des agriculteurs

Lors de sa troisième session (Juin 2009), l'Organe directeur du Traité a rappelé l'importance de mettre pleinement en application les Droits des agriculteurs et a demandé au Secrétariat de convoquer des ateliers régionaux sur les Droits des agriculteurs afin de discuter des situations nationales qui s'y rapportent. Le problème principal est que le financement du Secrétariat dépend des signataires, or la contribution des pays où l’industrie semencière est basée suffit à peine pour le maintien de ce secrétariat et ne permet pas un fonctionnement efficace de celui-ci. La Norvège et la Suède, qui ont peu d’intérêt en semences, ont rendu possible la consultation  mondiale sur les Droits des agriculteurs comme stipulé à l'article 9 du Traité. Le financement étant limité, le Secrétariat va « d'abord procéder à des consultations par e-mail (courrier électronique) afin de faire participer autant de secteurs/personnes concernées que possible dans toutes les régions du monde. » « [Il s’efforcera] de lever les fonds nécessaires à l'organisation d'une conférence de consultation vers la fin de l'année, qui sera ensuite à l'échelle mondiale avec des composantes régionales. Les résultats du processus de consultation mondiale seront présentés à l'Organe directeur du Traité en question, lors de sa quatrième session en 2011, comme base de ses délibérations sur la promotion de l'application des Droits des agriculteurs au niveau national. » (Communication du secrétariat du Traité, pour participer: http://www.farmersrights.org/FR/concernant_traite4.html )

 

 

 

Pour plus d'information, lire: « Politique foncière et droit à l’alimentation : accroître l’agrobiodiversité et encourager l’innovation », Note du Secrétaire général, A/64/170, 23 juillet 2009



[1] Source : « TIRPAA : droits des paysans ou marché de dupes ? » Guy Kastler, Seedling, October 2009 http://www.grain.org/seedling/?id=638

[2] Source : « Miser sur les semences locales, Reportage au Kenya », Spore 145, février 2010, CTA

[3] Source : Guy Kastler entretien avec Sophie Chapelle pour BastaMag, 11 mars 2009 (Guy Kastler est délégué général du Réseau semences paysannes, chargé de mission pour Nature et Progrès, membre de la Confédération paysanne et de la commission Biodiversité de Via Campesina)

[4] Source : « Agrobiodiversité. Une longueur d’avance» dossier, Spore 147, juin-juillet 2010, CTA

[5] Source : « Politiques semencières et droit à l'alimentation », rapport de l'ONU paru en 2009

[6] Source : « Politique foncière et droit à l’alimentation : accroître l’agrobiodiversité et encourager l’innovation », Note du Secrétaire général, A/64/170, 23 juillet 2009

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