Les APE sont une menace pour la souveraineté alimentaire

Agriculture

Objectif du Millénaire pour le Développement 1: Eradiquer l’extrême pauvreté et la faim

 

Le nombre de personnes sous-alimentées en Afrique a augmenté, passant de 165 millions en 1990 à 209 millions en 2006. La plupart des états africains obtiennent de pauvres résultats dans l’Index de la faim dans le monde[1] et ils ne pourront pas atteindre l’Objectif du Millénaire pour le Développement : diminuer de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim d’ici 2015. Les Accords de partenariat économique (APE) risquent d’aggraver la situation malgré l’article 3.3 de la directive de l’UE pour la négociation des APE avec les pays et les régions ACP, qui déclare que « l’accord inclura des dispositions visant à promouvoir la sécurité alimentaire en accord avec les règles de l’OMC. »

 

Les menaces sont en relation avec l’incapacité de la production domestique en Afrique de soutenir la concurrence des importations agricoles de l’UE, les restrictions potentielles sur les gouvernements africains qui traiteraient des hausses subites d’importations susceptibles de miner la production alimentaire locale, et les limites de la liberté des pays ACP d’utiliser une politique de droits de douane et de régulation du marché, plus généralement de promouvoir la fourniture domestique d’aliments de base.

 

Les impacts négatifs potentiels d’une plus grande libéralisation du commerce sur les petits propriétaires fermiers des pays ACP, spécialement à cause de la compétition inégale avec la production hautement subsidiée de l’UE, ont été soulevés à maintes reprises parmi d’autres par l’ancien Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler. Il a aussi demandé si l’élimination des droits de douane sur les importations de l’UE pourrait compromettre le financement de programmes sociaux par le gouvernement et par là menacer la capacité des gouvernements de répondre à leurs obligations en termes de droits économiques, sociaux et culturels, y compris le droit à l’alimentation[2].

 

Elimination des droits de douane et souveraineté alimentaire

 

Des droits de douane plus bas ou inexistants sur des biens importés[3] encourageront des importations plus importantes, ce qui mènera à des pressions sur des producteurs locaux de denrées alimentaires qui pourraient perdre leurs moyens de subsistance sans trouver d’autres formes d’emploi. Ceci est particulièrement pertinent, étant donné que la grande majorité des Africains sont toujours employés dans le secteur agricole.[4]

 

Les pays africains ont pu exempter certains produits agricoles de la libéralisation des droits de douane dans les négociations des APE. Par conséquent, ces produits ne feront pas face à la concurrence des produits européens qui entrent dans les marchés locaux sans devoir payer de droits. Cependant, les produits agricoles restants feront face à la concurrence des biens européens, ce qui peut potentiellement exclure du marché les producteurs locaux.

 

Les droits de douane appliqués actuellement par des pays africains prennent en compte le fait que l’importation de certains produits agricoles est plus importante que d’autres pour eux. Au Cameroun, par exemple, les droits de douane sur les produits alimentaires importés vont généralement de 20% à 30%, mais ils sont abaissés spécifiquement à 5% pour les importations de poudre de lait et de brisures de riz, ce qui suggère que le gouvernement avait à l’esprit des objectifs de politique particuliers lorsqu’il a établi ces droits. Le même schéma est évident au Ghana où la plupart des droits de douane sur les importations alimentaires varient de 10% à 20%, mais sont abaissés spécifiquement à 5% pour la poudre de lait et la farine de blé.

 

Tous les APE incluent une disposition de blocage qui stipule qu’aucun nouveau droit de douane ne sera introduit pour le commerce avec l’UE, et que ceux qui sont déjà appliqués ne seront pas augmentés, dès l’entrée en vigueur de l’accord. L’effet principal de la disposition de blocage est d’ajouter une discipline qui empêche les états APE d’augmenter aussi les droits de douane sur les produits qui ne sont pas désignés pour la libéralisation. Dans certains accords (SADC[5], les Caraïbes et le Pacifique), cette discipline ne s’applique pas parce que la clause de blocage ne s’applique qu’aux produits sujets à la libéralisation.

 

Les exportations d’agro-alimentaire sont tombées comme une partie de l’ensemble des exportations des ACP vers l’UE, de 27% du panier total à 16% entre 1996/97 et 2006/07. Graduellement, les destinations des exportations des ACP en dehors de l’UE se sont diversifiées, la part de l’UE tombant de 55% à 46% au cours de cette période. En partie à cause de ceci ; la part des ACP dans le total des importations de l’UE est tombée de 15% à 13% au cours de cette période. Du côté des importations, l’UE compte pour 26% des importations agro-alimentaires. Celles-ci constituent 10% de toutes les importations des ACP à partir de l’Europe, et elles comptent pour 8% du total des exportations agro-alimentaires de l’UE.

 

Dispositions dangereuses dans les APE

 

Les APE contiennent aussi des dispositions sur des mesures ‘frontières’ dont certains craignent qu’elles puissent restreindre la capacité future des pays ACP d’assurer la souveraineté alimentaire. Des normes limitant l’usage de restrictions quantitatives, de taxes à l’exportation et de sauvegardes réduiront l’espace politique disponible pour les gouvernements ACP. Il y a des différences subtiles, mais potentiellement importantes, dans les engagements entrepris par les pays dans chaque région.

 

Tous les APE contiennent des dispositions qui traitent de la ‘prohibition de restrictions quantitatives’, qui exigent des pays africains qu’ils éliminent immédiatement, dès l’entrée en vigueur de l’accord, toutes les restrictions quantitatives sur les importations et les exportations. Ceci empêchera certains pays ACP de poursuivre un développement agricole actuellement couronné de succès et des politiques de souveraineté alimentaire.

 

La Namibie, par exemple, a un schéma de régulation du marché pour des ‘produits contrôlés’ spécifiquement définis, ce qui implique un mécanisme de prix de référence soutenu par des contrôles des importations grâce à des licences d’importation administrées par le Conseil agronomique de Namibie. Le maïs (blanc) entier, le millet perlé (mahangu) et leurs produits moulus sont des produits contrôlés en Namibie et sujets à des restrictions d’importations saisonnières, selon lesquelles aucune licence d’importation n’est délivrée avant que toute la production domestique n’ait été vendue. Normalement, l’importation de farine de blé en Namibie est interdite, bien que des importations puissent être permises selon les conditions du marché. La restriction vise à promouvoir l’industrie domestique de transformation.

 

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) prévoit un nombre limité de cas spécifiques où des exemptions de la prohibition générale des restrictions quantitatives sont possibles. La plupart des APE (Afrique orientale et méridionale, Afrique occidentale, Afrique Centrale, les Caraïbes et le Pacifique) ne permettent même pas ces exemptions limitées. L’Accord de la communauté d’Afrique orientale permet l’usage de restrictions temporaires à l’exportation pour résoudre une pénurie critique de produits alimentaires ou d’autres produits essentiels, tandis que seul l’Accord de SADC incorpore toute la série d’exemptions de l’OMC. Les signataires des autres Accords n’ont plus le droit d’imposer des restrictions temporaires d’exportations sur des exportations vers l’UE ; cela fait partie d’une mesure pour aider à maintenir le prix domestique des produits alimentaires sous le niveau du prix mondial au cours d’un pic de prix comme il y en a eu en 2007-2008.

 

Tous les APE interdisent aussi l’introduction de taxes à l’exportation, nouvelles ou augmentées, dans le commerce avec l’UE. Par conséquent, cet outil de politique ne peut plus être utilisé pour stimuler un traitement de valeur ajoutée de manière à étendre des opportunités de gain dans des régions rurales, ou pour protéger des fournitures domestiques de nourriture dans des périodes où les prix mondiaux des produits alimentaires sont élevés.

 

Certains Accords énumèrent des circonstances exceptionnelles où les Etats APE peuvent introduire, après consultation de l’UE, des taxes ou charges temporaires à l’exportation sur un nombre limité de produits là où c’est justifié par des besoins spécifiques. Cependant, utiliser ces mesures serait très difficile et prendrait beaucoup de temps, puisque le consentement préalable de l’UE est nécessaire et qu’il faut faire une étude effective de cas pour obtenir le consentement. De plus, les mesures devraient être limitées dans le temps.

 

Comme l’usage de taxes à l’exportation n’est pas officiellement discipliné par les accords de l’OMC, les pays ACP sont allés au-delà de leurs obligations en acceptant une disposition qui les empêche d’introduire de nouvelles taxes à l’exportation ou d’augmenter les taxes existantes sur leurs exportations vers l’UE.

 

Conclusions

 

Les APE contiennent une série de dispositions, qui constituent une menace à la souveraineté alimentaire des pays africains. Ils seront forcés d’ouvrir des parties de leurs marchés à la compétition internationale, ce qui constitue un risque pour les producteurs locaux. Une plus grande dépendance vis-à-vis des marchés internationaux pour la nourriture signifie aussi que les pays africains devront compter sur des importations aléatoires et incertaines pour une proportion significative des approvisionnements de denrées alimentaires d’un pays. Pour aggraver la situation, des pays africains ont accepté des dispositions qui ne leur permettraient plus de faire au moins usage d’une de ces quelques sauvegardes prévues au niveau de l’OMC, pour protéger leur propre souveraineté alimentaire en péril. En mettant en danger la souveraineté alimentaire de l’Afrique, les APE rendent encore plus difficile la réalisation de l’objectif 1 des OMD, de diminuer de moitié la faim d’ici 2015.

 

Thomas Lazzeri

 



[1] http://www.ifpri.org/node/8029

[2] Conseil des Droits humains des Nations unies, 2008. Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler.

[3] Les droits de douane sont les droits qui doivent être payés quand des biens sont importés.

[4] Matthews, A., 2010, Economic Partnership Agreements and Food Security. (Accords de partenariat économique et sécurité alimentaire)

[5] SADC : Southern African Development Community : Communauté de développement d’Afrique australe

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