Les biens communs ou biens publics, une alternative au néolibéralisme

L’Afrique qui possède d’abondantes ressources naturelles - énergétiques, minérales, terre, eau et forêts - devrait pouvoir en jouir, mais souvent ces richesses deviennent une sorte de « malédiction » pour la population des régions où ces richesses se trouvent. Le problème est lié à la manière néolibérale de gérer les échanges commerciaux entre les pays riches en ressources et ceux qui désirent obtenir ces ressources. La reconnaissance des «biens communs ou biens publics» et l’intervention de la population dans leur gestion pourraient être une alternative au néolibéralisme, car elles touchent celui-ci en son centre même: le commerce.

 

Aujourd’hui un mouvement croissant considère les ressources naturelles comme des « biens communs» qui devraient être gérés par la communauté, afin qu’elles bénéficient à la population et pas seulement aux investisseurs et aux élites locales.

 

Historiquement, chaque société et civilisation a développé des services publics: puits communal, lavoir public, espaces communs, marchés, routes, etc. que tous les membres de la communauté peuvent utiliser. A côté de cela il y avait aussi des biens communs ou biens collectifs: pâturages, forêts pour le bois de chauffage et de construction, la cueillette des champignons, plantes médicinales et fruits de saison ; les réseaux d’irrigation, etc. Tous les membres de la communauté avaient accès à ces ressources, mais l’accès et l’usage (en proportion des besoins de la famille) étaient contrôlés de façon à garantir la pérennité du bien. Ces biens sont gérés de façon collective, souvent par quelqu'un à qui la communauté des usagers en confie la responsabilité, et qui rend compte de sa gestion devant tous les membres de la communauté. Il n’y a pas de « bien commun » sans une communauté qui le contrôle et le gère au service de tous. Les biens communs peuvent être traditionnels - fleuves, forêts, cultures, eau - et modernes - internet, propriété intellectuelle, énergie solaire, etc. Les biens communs désignent des ressources qui échappent à la propriété individuelle et au registre marchand.

 

Aujourd’hui, dans un monde globalisé, le concept de biens communs doit s’élargir à des catégories de biens beaucoup plus larges qui peuvent aussi être gérés «en commun». Ce sont les biens publics/communs mondiaux envisagés à l’échelle mondiale (l’ONU y travaille). Ce sont des ressources nécessaires à la vie et ils peuvent être des ressources naturelles : l’air, l’eau, la biodiversité, les forêts, le soleil, le climat, l’énergie, mais aussi des ressources immatérielles, comme les connaissances, Wikipédia, les logiciels libres, etc. Alors que l’utilisation des ressources naturelles les soumet à la dégradation ou à l’épuisement, les biens immatériels s’étendent à mesure qu’ils sont partagés par d’autres. La gestion et le droit d'en user doivent être réglementés par une entité mondiale démocratique qui établirait des règles de gestion et d'usage, de manière à garantir la durabilité de la ressource et le droit collectif d’en disposer en quantité et qualité suffisantes.

 

Parfois le Nord invoque les biens communs de l’humanité pour justifier l’exploitation, par des entreprises, des ressources naturelles du Sud ; ex. « l’Amazone est le poumon du monde » pour empêcher l’auto-détermination des Brésiliens et des peuples autochtones; l’accès à des métaux nécessaires au développement industriel, sans donner le droit aux populations de décider de leur ressources.

 

Foi chrétienne et biens communs

 

La notion de biens communs est un concept biblique enraciné dans les principes de la Bible et vécu par l’Eglise chrétienne primitive.

 

Lorsque Dieu donna la Loi à Israël, Il instruisit “ceux qui ont” de pourvoir à “ceux qui n’ont pas”. Dans le Deutéronome 24:19-21 Il dit à son peuple de laisser dans le champ un peu de grain, d’olives, de raisin de sa récolte pour l’étranger, l’orphelin et la veuve. En Israël c’étaient ceux qui n’avaient pas de droits.

 

Dieu demandait aux Israélites d’être généreux envers leurs frères et de prêter aux pauvres ce dont ils avaient besoin. Deutéronome 15:1-2 mentionne que tous les sept ans, les Israélites devaient supprimer les dettes qui leur étaient dues.

 

Les premiers chrétiens allaient même au-delà. En voyant les besoins des autres, ceux qui avaient beaucoup se rendaient compte que ce qu’ils possédaient n’était pas vraiment leur, mais que Dieu le leur avait donné pour répondre aux besoins des autres. Aussi décidèrent-ils volontairement d’abandonner la propriété individuelle de certaines de leurs possessions. Ils choisirent de mettre ces choses en commun, de manière à pouvoir répondre aux besoins des nécessiteux.

 

Tous ceux qui croyaient étaient ensemble et ils avaient tout en commun. Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et ils en partageaient le produit entre tous, en fonction des besoins. Actes 2:44-45[1]

 

La situation de l’Eglise primitive est semblable à la situation du monde au 21e siècle: certaines personnes manquent du nécessaire pour vivre, tandis que d’autres sont dans l’abondance et peuvent répondre aux besoins des nécessiteux si elles choisissent de le faire. Si la situation d’aujourd’hui est semblable, pourquoi la solution ne serait-elle pas aussi la même, en partageant au moins ce qui est nécessaire pour que d’autres vivent ? “Ils avaient tout en commun”. Est-ce que Dieu a changé d’avis, ou est-ce que les femmes et les hommes du XXIe siècle ne veulent pas écouter ce que Dieu leur demande ? Les structures pour permettre le “glanage” et “avoir tout en commun” doivent être adaptées au XXIe siècle, et devenir des “structures” qui pourvoient au bien-être de tous. Les “biens communs” gérés au niveau local et les “biens communs universels” gérés au niveau mondial peuvent être certaines de ces structures.

 

Les biens communs, une alternative au néolibéralisme

 

La notion de biens communs est liée à une autre vision du monde, de la société et de l’économie, plus solidaire, interdépendante, communautaire, dans un partage des biens de la terre qui appartiennent à tous. Elle représente une alternative capable de développer un autre système de production et d'échange, dans lequel le droit d’accès aux ressources serait indépendant de leur prix. Ce système respecterait la vie pour tous sur la planète et pourrait être la base d’une autre économie et d’un autre ordre social où l’Afrique aurait sa place dans le monde.

 

La gestion démocratique des biens communs s’oppose à la logique capitaliste/néolibérale de la propriété privée. Les biens communs sont un moyen de réaliser les droits humains (socio-économiques, culturels, politiques, etc.) et écologiques en accordant aux communautés l’organisation de l’accès aux ressources. De ce fait ils établissent des relations nouvelles entre les personnes, la communauté et certaines ressources, entre la population et l’état, et entre les êtres humains et la création.

 

Des exemples de biens communs

 

Un regard sur ce qui arrive par rapport à l’exploitation de l’eau et du pétrole nous montrera ce mouvement mondial vers les biens communs.

 

L’eau. Des mouvements populaires pour l’accès à l’eau et contre sa privatisation ont surgi partout dans le monde, de l’Afrique du Sud au Ghana, à la Colombie, à l’Argentine et aux Philippines et se sont ralliés pour que l’eau soit gérée de façon participative et démocratique, afin qu’elle soit disponible pour ceux qui en ont besoin. La campagne européenne le «droit à l'eau» va dans ce sens.

 

Le pétrole. Dans le Delta du Niger la communauté Ijaw[2] demande que le pétrole de son territoire devienne un bien commun. Des mouvements similaires existent au Mexique (Chiapas), en Equateur et en Colombie. Des économistes islamiques réclament pour la communauté Islamique la propriété des champs pétroliers qui se trouvent sous le territoire des pays islamiques, et le droit de les réguler.

 

La notion chrétienne des biens communs est un ensemble de ressources chrétiennes, publiées par leurs propriétaires respectifs sous des licences ouvertes qui garantissent à chacun la permission légale de transformer et utiliser le contenu sans permission et sans payer de droits d’auteurs.

 

Begoña Iñarra

Secrétaire Exécutive d’AEFJN



[1] Voir aussi Actes 4:32; 4:34.

[2] Déclaration de Kaiama 1998

 

 

 

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