L’Afrique assoiffée de respect

Cardinal André Vingt-Trois, président de la conférence des évêques de France, a participé au 2è synode pour l’Afrique. Extraits du bilan dressé le 1er novembre 2009 à Notre Dame de Paris. Article publié dans la revue Pentecôte des Spiritains.

Ce synode a permis de réfléchir aux grandes dépendances auxquelles sont soumis les Africains. L’imposition d’une exploitation anarchique des ressources avec la corruption qui en découle. La domination économique des pays industriels qui se nourrissent toujours des matières 1res et la production agricole de l’Afrique. La dépendance morale devant l’invasion militante ou insidieuse des modèles et des standards de vie occidentaux.


Les évêques pensent, croient et espèrent que l’Afrique a le moyen de vivre, qu’ils ne doivent pas succomber perpétuellement à l’humiliation de l’assistance, que des gouvernants efficaces se lèveront plus nombreux pour permettre que les ressources de l’Afrique soient vraiment au service des peuples africains et non pas au service de certaines familles ou de certains clans. Sans cette espérance, ils craindraient avec raison la violence suicidaire et le désespoir social de jeunes hommes et de jeunes femmes arrachés au cadre habituel de leur existence et jetés sans aucun projet de vie autour des grandes villes. Car quand on n’a plus rien, on n’a rien à sauvegarder, on peut tout perdre.


Le 1er objectif est donc de nourrir cette conviction que les hommes et les femmes de l’Afrique sont réellement capables aujourd’hui de surmonter les handicaps de leur situation pourvu que la gouvernance de leurs États soit raisonnable et transparente.


Un second objectif consiste à mettre en œuvre la mission prophétique de l’Église qui porte sur les peuples d’Afrique un regard positif et qui espère qu’ils peuvent non seulement se convertir mais qu’ils peuvent transformer leur pays.
Prophétique est d’abord le signe que l’Église donne (ou s’efforce de donner), en constituant une « famille de Dieu » qui dépasse les divisions ethniques, culturelles, nationales et continentales.


L’Église témoigne de cette espérance par sa lutte incessante contre les fléaux sanitaires, en particulier contre le sida où elle est fortement engagée au quotidien par des programmes de prévention, d’accueil et de soin. (n° 31).
L’Église est prophétique par son engagement social et politique pour la réconciliation entre les ethnies et entre les peuples par des commissions nationales de conciliation ou de réconciliation, ou des commissions de gestion de crise.
L’Église est prophétique en appelant les responsables politiques au respect de la démocratie et à la lutte contre la corruption active et passive et en s’engageant fermement à l’égard des dirigeants chrétiens qu’elle exhorte.
Prophétique aussi est l’implication de l’Église dans le développement économique et la réalisation de micro projets, prophétique est l’appel qu’elle adresse à ses membres de pratiquer la gouvernance de l’Église d’une façon transparente et désintéressée, prophétique par le soutien qu’elle apporte aux familles et à leur stabilité, prophétique par son engagement dans la promotion de la femme africaine...

Le cardinal reprend appel pressant  lancé par le synode. « Aux grandes puissances de ce monde, nous disons : traitez l’Afrique avec respect et dignité. L’Afrique en appelle à un changement de l’ordre économique mondial, à cause des structures injustes qui s’entassaient sur elle. La récente turbulence dans le monde financier démontre qu’il est temps d’opérer des changements radicaux dans les règles du jeu. Mais ce serait une autre tragédie si ce réajustement devait viser les intérêts des riches au détriment des pauvres. La plupart des conflits, des guerres et des situations de pauvreté en Afrique proviennent essentiellement de structures injustes... Un ordre mondial juste et nouveau n’est pas seulement possible, mais nécessaire pour le bien de toute l’humanité. Un changement est nécessaire pour ce qui concerne le poids de la dette pesant sur les nations pauvres, mortel pour leurs enfants. Les multinationales doivent arrêter la dévastation criminelle de l’environnement dans leur exploitation vorace des ressources naturelles. C’est une politique à courte vue qui fomente des guerres pour obtenir des gains rapides à partir du chaos, au prix des vies humaines et du sang répandu. N’y aurait-il personne dans leur rang qui soit capable et désireux d’arrêter ces crimes contre l’humanité. » (n° 32 et 33)


« Le Synode s’attriste en remarquant que c’est la honte qui caractérise plus d’un pays africain. Nous pensons en particulier au cas lamentable de la Somalie empêtrée dans de violents conflits depuis près de deux décennies, avec des conséquences sur les nations avoisinantes. Nous n’oublions pas non plus la tragédie des millions de personnes dans la région des Grands Lacs et la durable crise au nord de l’Ouganda, au sud Soudan, au Darfour, en Guinée Conakry, et en d’autres endroits. Les gouvernants de ces nations doivent prendre leur responsabilité devant leurs prestations génératrices de douleur. En bien des cas, on se trouve devant la situation de soif du pouvoir et des richesses au détriment du peuple et de la nation. Quel que soit le niveau de responsabilité attribuable aux intérêts étrangers, on ne peut nier une honteuse et tragique complicité des leaders locaux : des politiciens qui trahissent et mettent leurs nations aux enchères, des hommes d’affaires éhontés qui se coalisent avec les multinationales voraces, des africains vendeurs et trafiquants d’armes qui spéculent sur les armes légères cause de la destruction de vies humaines, des agents locaux d’organisations internationales qui se font payer pour diffuser des idéologies nocives auxquelles ils n’adhérent pas eux-mêmes. Les conséquences néfastes de toutes ces menées ne sont cachées pour personnes : pauvreté, misère et maladie, des réfugiés dedans, dehors et outre-mer, recherche d’une meilleure vie qui conduit la fuite des cerveaux, migrations clandestines, trafics d’hommes, guerres, effusion de sang, souvent par personnes interposées, atrocité d’enfants soldats, l’indicible violence faite aux femmes. Comment peut-on être fier de régner sur un tel chaos ? Qu’est devenue la pudeur traditionnelle africaine ? Ce Synode le proclame haut et fort : le temps est venu de changer des habitudes pour l’amour du présent et des générations futures. » (n° 36-37)

Revue Pentecôte - Spiritains

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