L’agriculture familiale, une alternative face à la crise

L'Organisation des Nations Unies a proclamé l'année 2014 comme " Année internationale de l'agriculture familiale (AIAF) ", pour sa capacité de lutter pour lutter contre la faim et la pauvreté et de préserver l'environnement et la biodiversité. Cette année est un hommage aux plus de 3 milliards d'hommes et de femmes engagés dans l’agriculture familiale: artisans pêcheurs, éleveurs, travailleurs indigènes et paysans sans terre, qui procurent plus de 70 % de la nourriture de l’humanité. Cette Année internationale reflète aussi le cri de ces agriculteurs pour que leurs produits soient payés au juste prix.

 

L'agriculture familiale (AF) a une fonction sociale : elle fournit de l’emploi, génère du bien-être, stabilise la population dans les zones rurales et préserve des valeurs culturelles et historiques. Elle génère des revenus, et la croissance du PIB provenant de l’AF est deux fois plus efficace pour la réduction de la pauvreté que celle des autres secteurs productifs. Les pauvres en milieu urbain bénéficient également de la croissance agricole, à cause de la proximité des denrées alimentaires. L'AF protège la biodiversité et, contrairement à l'agriculture industrielle, elle préserve l’agro-diversité en utilisant des variétés de semences et des races d'animaux d'élevage indigènes. Elle assure également la sécurité et la souveraineté alimentaires et la qualité des aliments. Dans cette agriculture, les femmes productrices représentent environ la moitié de la main-d'œuvre agricole dans les pays en développement (43 % selon la FAO et entre 60 et 80 % selon UNIFEM).

 

L'abandon subi par l'agriculture familiale, le manque de soutien politique, économique et social, et une propagande nocive font que nous associons les agriculteurs familiaux aux modèles d’agriculture traditionnelle et à une faible capacité d'adaptation. Cependant, pendant des siècles les agriculteurs ont procuré une alimentation saine et ont préservé la biodiversité. Plusieurs études, y compris le rapport de l'IAASTD[1], reconnaissent que les petites exploitations sont souvent plus productives et durables par unité de terre et d'énergie consommée que l'agriculture industrielle conventionnelle.

 

Un nouveau mouvement voit l'agriculture familiale comme une alternative d'avenir aux crises actuelles. Cette vision solidaire, provenant du contact avec la terre où sont nos racines et d’où nous recevons la vie et des aliments sains, peut devenir le nouveau paradigme de l’humanité. Face à la crise alimentaire, où 842 millions de personnes n'ont pas assez à manger, cette agriculture est mieux préparée à lutter contre la faim, à condition d’être soutenue et protégée. Face à la crise environnementale qui menace de détruire l'humanité et la Terre, les agriculteurs familiaux respectent et gèrent l'environnement et conservent la biodiversité pour les générations futures. Face à la crise de l’emploi, l’AF est en mesure d'absorber la main-d'œuvre, comme elle l’a prouvé par le passé lors de la crise industrielle et dans la crise économique actuelle. Face à la crise de l’énergie, l'agriculture familiale utilise moins de pesticides, d'herbicides ou d'engrais à base de pétrole que l'agriculture industrielle.

 

Mais l’AF est aujourd'hui confrontée à de nombreux ennemis extérieurs. Les plus dangereux sont les intérêts de l'agriculture industrielle et l'accaparement des terres. La crise des prix de 2008 a orienté les investisseurs vers la terre pour produire de la nourriture ou des biocarburants. Des pays qui manquent d’eau ou de terre arable pour couvrir leurs besoins alimentaires, des investisseurs et des entreprises, achètent des terres dans des pays en développement pour produire des agrocarburants ou des aliments destinés à l’exportation. Cet accaparement des terres expulse de nombreux agriculteurs de la terre héritée de leurs ancêtres. Perdre l'accès à la terre et à l'eau signifie perdre leur gagne-pain, donc ils sont contraints de migrer vers les villes à la recherche d’un emploi le plus souvent inexistant.

 

L'agriculture familiale est une économie locale, sans ambition d’exporter ni de conquérir d'autres marchés, mais qui vise à vivre dignement dans son territoire. L'agriculture familiale a ses propres valeurs, apprises du contact avec la nature, et qui méritent le respect de l'humanité.

 

En tant que chrétiens, nous sommes appelés à vivre dans la solidarité. Le Pape François nous le rappelle "Dieu nous demande à tous : «Où est ton frère ? » (Gn 4, 9) … Où est celui que tu es en train de tuer chaque jour dans la petite usine clandestine, dans le réseau de prostitution, dans les enfants que tu utilises pour la mendicité, dans celui qui doit travailler caché parce qu’il n’a pas été régularisé? Ne faisons pas semblant de rien. Il y a de nombreuses complicités. La question est pour tout le monde[2] ! ² et il pourrait ajouter aussi " Où est celui que tu es en train de tuer chaque jour avec tes investissements dans des fonds de pension qui spéculent sur la terre et les produits agricoles, avec l'indifférence envers ceux qui meurent de faim, en payant des prix ridicules pour quelques produits agricoles ? ²… Notre désir pour cette Année internationale de l’AF est que les exploitations familiales reçoivent le soutien nécessaire pour se développer et puissent ainsi devenir une agriculture au service d'une vie meilleure pour tous ainsi que pour la Planète.

 

Begoña Iñarra

Secrétaire Exécutive de AEFJN



[1] L’Evaluation Internationale des Connaissances Agricoles, de la Science et de la Technologie pour le Développement (EICASTD) publiée en 2008, avec l'aide de 400 experts, 30 gouvernements, 30 groupes de producteurs et des groupes de consommateurs et des organisations internationaux. Il s'agit de la seule étude qui traite de la production et de la productivité, ainsi que de la multifonctionnalité de l'agriculture ; elle évalue à la fois la science et la technologie et les savoirs locaux et traditionnels.

[2] Exhortation apostolique La joie de l’Evangile, n. 211 - Pape François 

 

Go back