1405 - Après des années de service j’ai toujours un rêve !

Begoña Iñarra

Les adieux éveillent des sentiments mêlés : la joie des résultats obtenus ; la tristesse de laisser derrière soi des ami(e)s, compagnes et compagnons, collaborateurs, collaboratrices et lieux ; la vive émotion d’aller vers du neuf et la certitude que, où que nous allions, Dieu nous mène vers quelque chose de merveilleux. C’est ce que je suis en train de vivre en ce moment, puisqu’à la fin de juin 2014 je quitterai le secrétariat d’AEFJN où j’ai servi depuis 2006. Je suis certaine que dans ma nouvelle nomination je rencontrerai de nouvelles personnes et de nouveaux défis et malgré la diminution de ma force, j’espère que d’autres aspects de mon être vont croître… Ce moment est une occasion de regarder en arrière sur ces années – presque une décennie – pour revoir les changements dans le monde, en Afrique, dans l’Union Européenne (UE) et à AEFJN.

 

Au niveau global, 2008 a marqué le début de la crise mondiale qui tourbillonne sur les pays riches, en prenant dans son mouvement nombre de pays en voie de développement, dont certains ont surmonté la crise beaucoup mieux que l’Europe. Les solutions prises par les personnes au pouvoir étaient les mêmes que celles qui furent imposées à l’Afrique par le FMI dans les années 80 et 90 : les programmes d’ajustement structurel (PAS). Les politiques PAS ont eu un effet durable très négatif dans des pays africains qui ne s’en sont pas encore remis. Des coupes drastiques dans les budgets nationaux, la privatisation et la libéralisation ont détérioré les services publics, rendu la vie beaucoup plus chère et des entreprises ont dû cesser, en augmentant le chômage et la pauvreté. Cependant la ‘Troika’ (le FMI, l’UE et la Banque centrale européenne) n’en a pas tiré les leçons et a imposé des ‘solutions’ similaires à des pays européens affectés par la crise, en augmentant le nombre de pauvres.

La crise a fait espérer que la fin du système néolibéral était proche. Cependant, depuis lors, c’est exactement le contraire qui se passe, avec des conséquences désastreuses pour ‘les victimes du système’ qui, maintenant, ne sont pas seulement dans le monde en voie de développement, mais aussi dans les ‘pays riches’. Des politiques néolibérales plus dures continuent à être imposées par des accords internationaux et commerciaux, menant au sommet de l’injustice : ceux qui ont provoqué la crise (banques et finances) augmentent leurs bénéfices tandis que les victimes paient pour cela, car leurs économies et leurs conditions sociales se détériorent. Et beaucoup de ces victimes sont en Afrique, bien que pas seulement là !

 

Au cours de la dernière décennie, l’Afrique est passée de ‘continent oublié’ à ‘continent convoité’, grâce d’une part à de nouvelles sources de pétrole et de minerais, et d’autre part à l’importance de ses ressources pour les nouvelles technologies en cours de développement. De plus, six des dix pays du monde qui progressent le plus rapidement sont dans le continent qui a expérimenté une croissance moyenne de 4,8%. Cependant cette croissance n’est pas retombée sur la majorité de la population qui fait face au chômage, à la pauvreté, à la maladie et à une mortalité infantile élevée. Néanmoins, la classe moyenne est en progression. Tout ceci a changé la perception de l’Afrique qui est devenue une terre d’opportunités pour les investisseurs. La ruée vers la terre et les minerais, le pétrole et le gaz naturel profite aux investisseurs mais elle a des conséquences terribles pour la plupart de la population des régions où se trouvent les ressources. La croissance du terrorisme autour du Sahel est devenue une menace sérieuse pour l’Afrique et pour le monde, en favorisant des interventions militaires étrangères dont le but final caché est d’assurer leur accès aux matières premières.

 

AEFJN a essayé de répondre aux nouvelles situations. Au cours de ces années, le réseau est devenu plus africain à la fois dans ses membres, à l’exécutif et dans les antennes. En suivant ce mouvement, le prochain Secrétaire exécutif sera un Nigérian. Les antennes européennes sont maintenant ouvertes à la diaspora africaine. En Afrique, des groupes chrétiens sont prêts à collaborer avec AEFJN. Les visites en Afrique ont renforcé le partenariat avec des groupes chrétiens et d’autres groupes africains qui travaillent sur des objectifs similaires. Le besoin ressenti de renforcer la capacité de nos membres et des groupes partenaires sur la justice économique a mené au Manuel d’AEFJN sur les questions économiques que vous pouvez trouver sur notre site web.

 

L’effort fourni ensemble avec beaucoup d’autres pour conscientiser au sujet de l’impact des questions économiques sur les conditions de vie de la population africaine a porté du fruit. Davantage de membres, de congrégations et d’antennes nationales répondent à nos actions. Avec joie nous accueillons le changement de mentalité dans les Eglises africaines, apparent dans leurs engagements, déclarations, lettres pastorales et spécialement dans les propositions audacieuses du Synode africain des évêques de 2009, encourageant les Eglises à s’engager envers la justice et la paix ; à faire pression sur les gouvernements ; condamnant l’accaparement de terres, l’exploitation injuste des matières premières et la prolifération des armes, aussi bien qu’en appelant les gouvernements et institutions africains et internationaux à agir en justice. Nous voyons, avec un mélange de tristesse et de fierté, des leaders chrétiens tués en Afrique pour leur prise de position courageuse sur des questions de justice.

 

Au niveau des politiques, certaines victoires ont été remportées, mais la guerre pour des relations justes et équitables entre l’Afrique et l’Europe n’est pas encore finie ! Nous voyons avec joie que la sécurité alimentaire et l’agriculture familialefigurent à l’agenda international. AEFJN appelle à un moratoire sur l’accaparement des terres afin de donner aux pays le temps d’établir une législation pour protéger la population et les usagers de la terre des investisseurs, et pour assurer aux populations locales l’accès à la terre. Les Accords de partenariat économique (APE) entre l’UE et les régions africaines, censés être signés en 2007, ne sont pas encore finalisés et la conscience du dommage potentiel des APE progresse dans les gouvernements africains et dans le public. Pour l’accès à des médicaments de qualité, le Commissaire au Commerce de l’UE a promis que les APE n’interfèreront pas avec l’accès aux médicaments. Le Parlement européen a rejeté l’Accord commercial contre les contrefaçons (ACTA) qui aurait affecté l’accès aux génériques, et l’UE a lancé un projet pour combattre les médicaments falsifiés dans les pays en voie de développement. Dans la lutte contre les armes légères, la Position commune de l’UE de 2008 requiert des états membres qu’ils respectent les droits humains et les critères de développement dans leurs exportations d’armes. Le Traité de commerce des armes (TCA) de l’ONU de 2013 contrôlera le transfert d’armes au niveau mondial. Pour les matières premières, la Directive de transparence de l’UE oblige les entreprises européennes qui travaillent dans le secteur du pétrole, du gaz naturel et des forêts à publier les paiements faits à des gouvernements étrangers pour obtenir des contrats d’exploitation. L’UE est en train de discuter une réglementation pour réduire les risques de financement de minerais de conflit et d’abus des droits humains dans des régions de conflits.

Dans le tumulte des multiples crises, AEFJN a continué à travailler pour des relations économiques plus justes entre l’Afrique et l’Europe. Nous traitons des questions concrètes à l’intérieur d’une vision pour un changement de société. Notre but à long terme est que les ressources africaines profitent à la population du continent et soient préservées pour les générations futures ; et que les relations entre l’Afrique et l’Europe soient équitables et permettent le plein développement de l’Afrique et de sa population. Mais maintenant notre vision et notre conviction nous mènent comme une étoile vers un système économique alternatif basé sur la solidarité et la durabilité, en respectant la planète de sorte que tous puissent avoir la vie en abondance.

 

Après ces années où j’ai traité avec des politiques et des personnes, je suis devenue plus consciente de mon rêve. Oui, comme Martin Luther King, j’ai un rêve ! Mon rêve est qu’un jour tous les hommes et toutes les femmes sur la terre, y compris les décideurs et les politiciens, les gouvernements nationaux et les institutions internationales, auront à cœur le bien-être de tous les gens de la terre, convaincus que ‘nous sommes tous dans le même bateau’ et que s’il coule, il coule pour tous. La solidarité entre riches et pauvres, le souci du bien-être et de la sécurité de tous mèneront à des politiques qui, à tous les niveaux, profiteront à la majorité de la population.

C’est ‘théorique’ mais mon rêve est ‘visible’. Je rêve qu’un jour le Président de l’UE, les Directeurs de la Banque Mondiale, du FMI, de l’Organisation mondiale du commerce, feront partie de ce mouvement de solidarité où chaque personne et chaque communauté sont respectées, ensemble avec la Terre. Et lorsqu’ils visiteront un pays africain ou rencontreront son président ou son ministre pour ‘parler affaires’ ils lui demanderont : Madame la Présidente/ Monsieur le Président, de quoi avez-vous besoin pour développer votre pays ? et ensemble ils trouveront les meilleurs mécanismes et politiques qui favoriseront le développement et la vie de la communauté globale, en ayant un souci spécial pour les plus pauvres et les plus vulnérables.

 

Begoña Iñarra

Secrétaire exécutive d’AEFJN

 

 

 

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