1507-1508 Antenne France : La fiscalité au secours du développement & du climat
Convergence de trois agendas
En ce milieu d’année 2015, dans notre village planétaire, on enregistre cinq chiffres de croissance inquiétants :
- La température moyenne du globe monte ;
- L’eau des mers et des océans s’élève ;
- La population mondiale augmente ;
- Le nombre de migrants, réfugiés et déplacés, explose ;
- Les inégalités s’accroissent (pour rappel, 84 personnes possèdent autant que la moitié des habitants de la planète !).
Dans le second semestre de cette année, trois rendez-vous majeurs pour essayer d’y faire face attendent l’Organisation des Nations Unies (ONU), laquelle réunit tous les états du monde.
Le dernier, la COP 21, 21e Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui se réunira à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015, prendra acte des engagements que chaque pays souscrira pour lutter contre le changement climatique.
Trois mois plus tôt, en septembre, à New York, l’Assemblée Générale des Nations Unies ratifiera le programme des Objectifs du Développement Durable (ODD), qui succède au Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et dont tous les Etats seront les acteurs/parties prenantes.
D’ici là, mi-juillet, à Addis Abéba en Ethiopie, les dirigeants du monde devront mettre en place les moyens de financement de cet ensemble ambitieux, mais pourtant minimum indispensable, dont dépend l’avenir de la planète et de ceux qui l’habitent.
Où prendre l’argent ?
L’argent aujourd’hui ne manque pas : il n’y en a même jamais eu autant dans le monde, qui circule à la vitesse de la lumière entre les donneurs d’ordre et ceux qui les exécutent. Chaque jour, internet transfère des centaines de milliers de milliards de dollars, plus de dix fois le Produit Intérieur Brut Mondial (toute la richesse produite par toute la planète !...). 25 à 30.000.000.000 (25 à 30 mille milliards) de dollars, fruits de l’optimisation et de la fraude fiscales ainsi que de toutes sortes de trafics (armes, drogues, organes, êtres humains…) sont localisés dans les paradis fiscaux.
En 2005, François-Xavier Verschave, fondateur de l’association Survie et concepteur de la « Françafrique », a créé la « Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires » qui regroupe une vingtaine d’associations et syndicats. En relation avec des représentants, députés nationaux et européens, sénateurs, avec des universitaires et des journalistes, avec d’autres organisations européennes et mondiales, avec des lanceurs d’alertes, elle lutte depuis dix ans contre ces refuges des détournements des richesses nationales pour faire avancer le droit.
Ces efforts conjugués ont produit un premier résultat. Depuis janvier 2014, l’article 7 de la loi bancaire du 26 juillet 2013 impose aux banques de rendre publics un certain nombre de renseignements : implantation géographique de leurs agences, pays par pays, chiffre d’affaires et bénéfice réalisés, nombre d’employés. A noter que, la même année, l’Union Européenne a adopté la même obligation dans la directive CRD IV pour ses états membres.
De l’examen des données fournies en 2014, il ressort que, pour les cinq plus grandes banques françaises :
- Plus d’un tiers de leurs filiales étrangères se situent dans des territoires opaques (paradis fiscaux).
- Plus du quart (26%) de l’activité internationale des banques est généré depuis des pays « paradisiaques », soit un montant total de 13.7 milliards d’euros.
- Les paradis fiscaux sont utilisés pour des activés de placement, de gestion d’actifs ou de financement structuré.
- Les salariés offshore sont en moyenne deux fois plus productifs que les autres.
- Le Grand duché du Luxembourg (qui s’est signalé cette année par le scandale luxleak) est le paradis fiscal préféré des banques françaises (pas besoin d’aller très loin…).
- Détiennent plus d’une quinzaine d’agences aux Iles Caïmans, mais aucun employé…
- Préfèrent les paradis fiscaux aux pays émergents promus par la diplomatie économique du Ministère des Affaires Etrangères et du Développement.
L’obligation a été étendue aux entreprises multinationales, mais avec une énorme réserve : le reporting pays par pays ne sera pas public, protégé par le secret des affaires lequel peut devenir un piège pour ceux qui s’intéresseraient de trop près aux opérations qu’elles mènent : journalistes, militants d’ONG, lanceurs d’alertes…
Justice fiscale
Chaque état est souverain pour lever l’impôt lequel finance le fonctionnement de la puissance publique, redistribue les ressources et corrige les inégalités, assure la réalisation des droits humains et protège les biens communs mondiaux. Mais, les taux différents d’imposition selon la politique fiscale de chacun entraînent un dumping fiscal qui favorise l’évasion des ressources. La réglementation internationale actuelle dans ce domaine permet aux acteurs de jouer de l’optimisation à la fraude entre les failles ou les vides du système. Il serait souhaitable que la troisième conférence sur le financement du climat à Addis Abébé se prononce positivement sur trois enjeux :
- Une amélioration de la gouvernance sur les questions fiscales mondiales, en particulier, en créant un organisme intergouvernemental en matière fiscale, ouvert à tous les membres de la communauté internationale et doté de ressources adéquates, dirigé sous les auspices des Nations Unies.
- Des mesures de transparence pour combattre l’évasion fiscale :
- Développement d’un standard onusien commun pour un échange multilatéral automatique des informations fiscales.
- Elimination de l’opacité qui entoure les bénéficiaires effectifs à travers le monde via la création de registres publics.
- Introduction d’une obligation de reporting annuel public, pays par pays, pour entreprises multinationales, comportant : bénéfices, chiffre d’affaires, nombre d’employés, impôts payés et subventions reçues.
- Promotion d’une fiscalité juste et progressive en déplaçant la charge fiscale qui pèse le plus sur des personnes en situation de pauvreté vers des secteurs extrêmement rentables et des individus fortunés.
Même si le rapport de forces est défavorable par le poids des lobbyings et des conjugaisons d’intérêts, la mobilisation citoyenne a montré qu’avec ténacité et persévérance elle peut faire bouger les lignes. Il s’agit éminemment d’un combat pour la justice qui n’est jamais définitivement gagné. Il est important que les victimes du changement climatique comme d’un développement déséquilibré, au nord comme au sud, puissent se faire entendre autant pour protester contre les injustices que pour participer à l’élaboration de solutions alternatives.
30 juin 2015
Jean-Louis Marolleau