1606 En Namibie, les dieux sont vraiment tombés sur la tête

En 1990, dans le berceau de son indépendance de l’Afrique du Sud, la Namibie avait alors beaucoup d’atouts enviables : 2,5 millions d’habitants pour une surface 825.000 km2, pas de dettes, des diamants, de l’uranium, du cuivre, des poissons, de la viande, des infrastructures routières excellentes, de l’électricité, des institutions bien établies pour fonctionner comme un état de droit, des paysages grandioses, etc. Quelques ombres au tableau cependant : un chômage entre 20- 40 %, mais surtout des promesses idéologiques faites par la SWAPO, parti actuel au pouvoir, à la Chine dont l’aide avait été très modeste à l’époque (1960-65), une « dette » idéologique à son égard qui plombe maintenant le pays. Ceci sans comparaison avec l’aide et le soutien à l’époque de l’ONU, de l’Europe, des Eglises, des mouvements anti-apartheid à la Namibie. Ainsi, pendant 20 ans, enfant chéri de l’Afrique, le pays a été un modèle de démocratie, de respect des droits de l’homme pour lesquels l’ancienne génération avait combattu afin de se libérer de la tutelle sud-africaine et de son apartheid. Aujourd’hui, 26 ans après, force est de reconnaître une certaine usure du pouvoir due aux vautours extérieurs que sont la mondialisation commerciale qui accélère les inégalités sociales et certaines multinationales qui dépècent la Namibie à petites et grandes bouchées.

 

Des signes inquiétants montrent que les Chinois (gouvernement, hommes d’affaires, employés) ont leur mot à dire dans la gouvernance namibienne par ministres interposés. Ils ont introduit la corruption à grande échelle avec pour conséquence l’affaiblissement de la démocratie étant donné que pour eux, les droits de l’homme sont «secondaires» comme l’avait déclaré l’ancien président Hu Jintao. La pauvreté a aussi explosé dans une grande partie de la population. Le chômage hypothèque la vie des jeunes qui n’ont pas tous des formations professionnelles adéquates. Les vautours de l’intérieur, en grande partie «les élites», vraie caste de nantis, ont tissé des liens entre le public et le privé, et sont saisis par la folie des grandeurs avec l’aide d’hommes d’affaires chinois notamment.  Ils vendent leur pays au plus offrant. Qui s’occupe des pauvres ? Pour un petit pourcentage le gouvernement, mais surtout des ONGS, les Eglises ou des privés. A signaler cependant une aide aux vieux, - il n’y en a pas beaucoup-,  qui reçoivent une assurance vieillesse de 80frs/mois. L’inflation de 3 % a rendu la vie très chère et l’on se demande comment vit la majorité des habitants. Pour la première fois en 26 ans, les Namibiens vont marcher sur le parlement le 16 juin à l’appel du mouvement « Affirmative Repositioning » pour dénoncer les incompréhensibles déviances de leur gouvernement et un néolibéralisme mortifère.

 

En voici les raisons entendues ces jours : le mot magique « Harambee », plan de lutte contre la pauvreté pour apaiser les rancoeurs. « Hélas, ce ne sont que des mots », écrit Gwen Lister dans The Namibian du 27 mai, une journaliste namibienne admirable qui avait combattu la présence sud-africaine pendant des années et mis sa vie en danger, «c’est en totale contradiction avec les faits ». Ensuite, le gouvernement envisage la construction d’un nouveau parlement, car l’ancien construit par les Sud-Africains, même rénové, ne suffit plus aux parlementaires qui ont besoin de plus de luxe et de prestige : 300 bureaux, 400 chambres pour eux-mêmes, fitness, centre médical, amphithéâtre. Coût 2,4 milliards de dollars namibiens ou Rands (153 millions Frs.) auxquels s’ajoute aussi une somme astronomique pour la rénovation du bureau du président. « En trois ans, ajoute Gwen Lister, l’évaluation de la somme a triplé ! », ce sont les petits vautours qui picorent à droite et à gauche pour s’enrichir rapidement. Qui aide à la rénovation de ce bureau ? Une compagnie chinoise China Jiangsu International Group par l’intermédiaire d’un Namibien Nghipondoka qui a reçu le contrat.

 

A ces folies, s’ajoutent celles du président Hage Geingob lui-même et à son partenaire chinois, M. Jack Hang, pour une transaction privée effectuée par une société Africa Sunrise Investment Pty Ltd. où les arrangements juridiques sont bien établis : il s’agit de construire un quartier de 400 habitations, 24 villas, deux grands bâtiments et un hôtel. Ceci sur une surface agricole ce qui est en contradiction avec la loi, puisque la terre ne peut être vendue à des étrangers… Les Namibiens, qui n’étaient pas habitués à ces extravagances et « petits arrangements » comme dans d’autres pays, sont ulcérés et tristes, car il y a d’autres priorités. Ils comprennent peu à peu que tout cela est préparé pour les Chinois qui continueront d’arriver. La presse encore libre comme sous l’apartheid (mais pour combien de temps encore ?), s’en fait les échos. Un fait les a particulièrement choqués : il paraît que les entrepreneurs sud-africains devront demander un visa pour venir en Namibie, alors que leurs liens sont étroits depuis 1920 ! Rectification alambiquée du gouvernement. Mais on peut imaginer facilement que les entrepreneurs et hommes d’affaires chinois sont là pour faire ce travail et faire venir tous les matériaux depuis la lointaine Chine. Tout est préparé pour la venue de nombreux citoyens chinois. Les dieux namibiens vont-ils quand même sauver l’authenticité de leur pays ?

 

Christine von Garnier, sociologue et journaliste, de retour de Namibie qu’elle connaît depuis 50 ans et où elle a vécu 20 ans. 

 

 

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